Avis de Adam Craponne : "Catalogue d’une exposition très canon"
De fin juin à début novembre 2010 se tient dans le bâtiment du Harnachement au musée du château de Nantes l’exposition temporaire La Soie et le canon ; elle a réuni le chiffre très estimable de 41 000 visiteurs. La volonté a été d’exposer l’évolution des relations entre la Chine et l’Europe occidentale et l’évolution de la vision des Chinois qu’ont les Français. L’exposition se décompose en trois espaces :
- Le première évoque les voyages en bateau depuis les ports bretons en direction de l’Empire du milieu, l’univers nantais du négoce des produis en provenance de Chine et recrée l’atmosphère marchande connue à Canton, la grande ville du sud de la Chine.
- Le deuxième illustre le goût pour la Chine dans les intérieurs européens.
- Le troisième montre la montée des tensions historiques avec les guerres de l'Opium, le sac du palais d’Eté, la situation des concessions …
L’Amphitrite est le premier bateau de commerce français à revenir de Chine et s’il accoste à Port-Louis c’est à environ cent cinquante kilomètres plus au sud dans la ville de Nantes que sa cargaison est vendue. Devant la diversité et l’originalité des objets et produits ramenés tout au long du XVIIIe siècle et la quête d’un modèle de souverain pour ce siècle des Lumières, la Chine va bientôt apparaître comme le pays à la mode. Si le commerce est en quantité très négligeable, l’influence de la Chine sur l’ensemble des productions artistiques occidentales est considérable. Le désir de posséder des objets de style chinois trouve une réponse secondaire dans la production par des Européens de décors chinois dans la faïence, porcelaine, peinture, tapisserie et littérature françaises. Des bâtiments sont construits en copiant le style de l’Extrême-Orient, ainsi des pagodes fleurissent à Chanteloup au bord de la Loire (non loin de Blois) ou dans les jardins royaux à Kew près de Londres. On connaît la fascination que Voltaire connaissait pour l’Empire du milieu et l’on sait que l’évocation idéale de ce pays était devenue une arme philosophique dans la quête d’une monarchie éclairée et d’une société libérée du poids des Églises chrétiennes.
Alors que l’Égypte détrône la Chine au siècle suivant, la fascination se transforme en convoitise et la dernière partie de cette exposition montre comment les Anglais en imposant le commerce de l’opium entraînent l’Empire du milieu vers un asservissement progressif. La présence française dans le Sac de Pékin est soulignée, la réaction admirable de Victor Hugo face à cet évènement est largement reproduite : « Nous, Européens, nous sommes les civilisés, et pour nous, les Chinois sont les barbares. Voila ce que la civilisation a fait à la barbarie. Devant l'histoire, l'un des deux bandits s'appellera la France, l'autre s'appellera l'Angleterre. Mais je proteste, et je vous remercie de m'en donner l'occasion ; les crimes de ceux qui mènent ne sont pas la faute de ceux qui sont menés ; les gouvernements sont quelquefois des bandits, les peuples jamais ». L’exposition se termine en rappelant le rôle protecteur de la France vis-à-vis de toutes les missions catholiques et la place des concessions françaises en s’attardant sur celle de Shanghai.
Cette exposition déploie des œuvres d’une rare qualité esthétique dont on peut retrouver la reproduction dans le catalogue d’exposition La Soie et le canon édité chez Gallimard au prix de 39 euros. L’ensemble des œuvres exposées se retrouvent dans le catalogue et parmi les objets phares on trouve une Vierge à l’enfant sortie des ateliers de Jingdezhen pour orner l’intérieur d’une église du Morbihan (département voisin de celui auquel Nantes appartient) dont la physionomie rappelle beaucoup celle de la déesse Matzu (Mazu 妈 祖). On voit deux très beaux portraits l’un de l’empereur Qianlong, l’autre d’une concubine réalisés par des jésuites présents à la Cour de Chine. Le paravent à douze feuilles en bois laqué de la période Kangxi retient l’attention de tous les visiteurs, il provient du musée Guimet. Ce dernier et le musée de l’Armée ont fourni entre autres des portraits et vêtements d’empereurs chinois, le musée des Beaux-arts de Rennes a prêté des aquarelles et gouaches sur papier de la collection Robien qui permettent en particulier d’évoquer différentes étapes du commerce du thé. Le musée de la Compagnie des Indes dit de Lorient (en vérité situé à Port-Louis) a permis de découvrir en particulier une robe en taffetas de soie vraisemblablement confectionnée en Chine pour être vendue à une riche Française. Le château de Fontainebleau a prêté des objets venus du pillage du Palais d’été et le musée Carnavalet à Paris a favorisé la présentation de tableaux présentant des décors chinois ou l’usage de produits venus de Chine (comme une aquarelle de Carmontelle où deux marquises et une comtesse prennent le thé, l’une d’elle issue d’une famille bretonne fut la maîtresse de Louis-Philippe d’Orléans), on notera une très belle collection particulière autour des objets liés à l’opium.
Ces œuvres servent à illustrer des chapitres dont la rédaction a été confiée à près de vingt universitaires ou conservateurs qui vulgarisent fort bien les idées essentielles, ainsi Brigitte Nicolas évoque les cargaisons de la Compagnie des Indes qui reviennent de Chine, Marie-Catherine Rey traite du goût pour la Chine qui envahit la France de l’époque tandis que l’évocation de l’ambassade de Lord Macarteney tient de Jean-Paul Desroches … La lecture de l’ouvrage La Soie et le canon serait judicieusement complété par la consultation d’un livre La Découverte de la Chine (lui aussi destiné au grand public) publié en 1981 par Bordas sous la plume de Jacques Brosse. Ce dernier trace le panorama des relations entre l’Occident et la Chine depuis l’époque romaine jusqu’à la naissance de la République populaire de Chine ; il nous permet de voir que si Magellan évite la Chine dans son tour du monde, les premiers Portugais arrivent à Canton en 1517 (comme une gravure de 1706 nous le rappelle) et montre le journal Le Figaro se rebaptisant pour un jour avec trois idéogrammes chinois évoquant la joie pour célébrer la victoire des armées françaises sur les troupes chinoises dans la baie d’Haïphong en 1884. Les établissements scolaires qui ont voulu prolonger la visite de l’exposition ont pu bénéficier du prêt de la part du Centre régional de documentation pédagogique d’une exposition consacrée à l’univers chinois, elle compte treize panneaux et est réalisée par les éditions Sepia.
Le musée du château possède des collections propres d'objets en provenance de Chine, tels que des services à thé en porcelaine de Jingdezhen ou des éventails en ivoire de Canton. Le commissaire de l'exposition a su découvrir à Nantes même dans le fonds patrimonial de la médiathèque de Nantes des ouvrages relatant les circonstances dans lesquelles le commerce français se développe avec la Chine au XVIIIe ou aux archives municipales des poèmes calligraphiés de l'époque de Kangxi et des documents autour de la vente d'objets en provenance de Chine. Il est à noter que le centre des archives diplomatiques françaises est situé dans la ville bretonne qui nous intéresse et qu’il possède également des documents concernant certaines missions catholiques dans l’Empire du milieu. C'est toujours dans cette même ville bretonne qu'il pu trouver auprès du musée départemental Dobrée une riche collection d'objets chinois. Pour l’exposition le prêt de plus intéressant du musée Dobrée est une série de peintures dite de l’école de Canton qui dépeignent l’univers des factories et des commerces dans la première partie du XIXe siècle.
Thomas Dobrée arme une première expédition commerciale vers la Chine en 1818 et dès cette date il demande au capitaine du vaisseau d’acquérir pour lui des objets chinois ou d’en faire fabriques selon certaines indications qu’il donne. De ce premier voyage le Fils-de-France ramène thé, des pièces de Nankin (toiles de coton), des éventails, des bois précieux… Son fils également nommé Thomas Dobrée devient un collectionneur passionné et éclectique ; à son décès le manoir de la Touche et le palais Dobrée deviennent la propriété du Conseil général qui réunit les collections de la Société archéologique à celle de notre personnage pour ouvrir le musée en 1896. Les collections du musée en matière d’objets chinois se trouvent diverses car Jean Charles Alexandre Hamot de Saint Léger né à Nantes en 1815 a légué des porcelaines de Chine au décor varié : paysages lacustres, vie quotidienne, compositions florales... Deux autres collections vers 1920 viennent enrichir le département chinois du musée : celle d’Albert Vigneron-Jousselandière (bouddhas, objets laqués en particulier) et de Paul Soullard (monnaies et sceaux principalement). Une large place était faite aux arts asiatiques dans l’exposition permanente, toutefois le musée Dobrée vient d’entrer dans une phase de rénovation qui s’étalera sur cinq ans aussi l’ensemble des objets chinois restera inaccessible (même aux sinologues) durant cinq ans. Après 2015 le grand public ne pourra plus retrouver les collections d’Extrême-Orient qu’à l’occasion d’expositions temporaires mais les sinologues pourront de nouveau venir les étudier.
Cette exposition a été l’occasion de réfléchir sur l’évolution du regard de l’ensemble des Français sur l’Empire du milieu et son peuple mais elle a également permis de souligner à quel point Nantes (d’ailleurs lieu de naissance de Jules Verne auteur des Tribulations d’un Chinois en Chine lues par de très nombreuses générations de Français) avait eu sa place dans le cadre des relations franco-chinoises et combien la ville par le biais des musées qu’elle abrite, du centre des archives diplomatiques en son sein et de son centre d’archives municipales et de sa médiathèque compte de documents propres à faire connaître ces relations et la civilisation chinoise. La dimension historique éclaire l’aspect artistique des objets présents et Alain Croix, professeur émérite d'histoire moderne qui a apporté sa collaboration à la conception de l’exposition et au catalogue de celle-ci a déclaré que cette « exposition ne peut que faire écho à l'actualité et à notre approche de la Chine d'aujourd'hui. Il n'est plus possible de méconnaître autant un univers qui rassemble un cinquième de l'humanité, et pour l'aimer, le critiquer, ou les deux à la fois, il faut d'abord le comprendre ».
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http://www.ccc-paris.org/Conference_Bernard_Brizay_Le_Sac_du_Palais_d_Ete.htm
http://actu.orange.fr/societe/culture/un-sceau-ayant-appartenu-a-l-empereur-qianlong-adjuge-980-000-euros-CNT000000O41fQ.html
http://www.20minutes.fr/nantes/2099023-20170704-nantes-sait-quoi-ressemblera-nouveau-musee-dobree-rouvrira-enfin-2021
https://www.futura-sciences.com/sciences/questions-reponses/histoire-chine-japon-deux-empires-fermes-xviie-siecle-10914/#xtor=EPR-72-[QUESTIONHISTOIRE]-20201210