Avis de Adam Craponne : "On creuse sa tombe avec ses dents et ses bras"
"On creuse sa tombe avec ses dents et ses bras" est inspiré d'un proverbe turc et signifie que selon ce que l'on mange et ses conditions de travail, on diminue sa longévité. Il s’agit du numéro 15 de mai 2024 d’une revue intitulée Les Débats de l’ITS ; il faut aller à la dernière page pour trouver le sens de ces initiales, il s’agit de l’Institut de Tribune socialiste. L’hebdomadaire Tribune socialiste qui de 1960 à 1982, fut l'hebdomadaire du Parti Socialiste Unifié (PSU). Situé bien à gauche de la SFIO puis du nouveau Parti Socialiste de Mitterrand, le PSU eut pour dirigeant notamment Michel Rocard qui le quitta en 1974.
Les Débats de l’ITS paraissent en moyenne une fois par an, avec parfois un numéro double. On trouve là des articles de chercheurs et d’acteurs du mouvement social sur un thème d’actualité. Certains des contributeurs de ce numéro ne sont plus très jeunes car ils ont milité au PSU qui s'est auto-dissout en 1990 alors qu’il était moribond depuis plusieurs mois. Ainsi note-t-on, comme anciens adhérents au PSU et éventuellement en prolongement à la GOP ou à la FGA, le médecin du travail tourangeau Dominique Huez qui a pris sa retraite en 2013 et Daniel Richter, ingénieur chimiste à l’usine Renault de Flins jusqu’au début des années 2000. Il n’est d’ailleurs pas signalé qu’Abraham Béhar (bizarrement orthographié ici "Behar") fut membre du PSU de 1962 à 1974.
On compte également en particulier des universitaires comme Jean-Paul Domin spécialiste en économie de la santé, un médecin urgentiste Christophe Prudhomme et des militantes d’associations comme Sonia Bisch du Collectif Stop aux violences obstétricales et gynécologiques en France.
La première contribution s’intitule "Santé au travail et démocratie". Après avoir réfléchi sur les dimensions que prend la question de la santé, l’auteur Gilles Seitz s’attache à définir les caractéristiques de la démocratie pour la France pour terminer de pointer, à travers la période du COVID, comment les mesures prises ont été d’une rare verticalité alors que médecins et scientifiques passant dans les médias faisaient preuve d’arguments d’autorité et combien les entreprises pharmaceutiques ont choisi de profiter au maximum de la situation pour en tirer le plus possible de profits. « Tout cela fait obstacle à toute vie démocratique, empêche les débats et les controverses qui amènent ensuite les décisions prises au niveau de ce que nous appelons peuple » (page 30).
Plus loin, ce même médecin du travail poursuit sa propre réflexion dans un autre texte où il démontre l’individu ne peut être acteur de sa santé que dans une société réellement démocratique car l’entreprise où il travaille s’insèrera alors dans cet ensemble. Dominique Huez traite également de ce thème dans une contribution nommée "Travail/santé-Aliénation/Coopération".
Le second texte revient aussi sur le COVID, racontant combien les modes de vie ont été touchés du fait de cette épidémie, quelles nouvelles concurrences entre individus sont alors nées, comment des gouvernements néolibéraux ont réhabilités l’action étatique, combien de nouvelles solidarités se sont mises en place, en quoi une réponse à une épidémie est dépendante des politiques de santé passées. « La santé constitue un patrimoine, individuel et collectif, lié au passé et déterminant de l’avenir » (page 42).
Le troisième article interroge sur la possibilité d’extension des droits du patient. L’arrivée du SIDA a constitué une étape importante en la matière, le Code de déontologie de 1995 a introduit de nouvelles perspectives, l’impératif écologique a amené certains pays à la délivrance à l’unité des médicaments. Le budget 2024 de la Sécurité sociale a permis certaines évolutions en matière de délivrance et réalisation des médicaments. Pour les médicaments, en tension la délivrance à l’unité est autorisée, l’obtention d’antibiotiques passe par une vérification d’une origine bactérienne, enfin certains pharmaciens peuvent produire des médicaments en rupture de stock.
Christian Prudhomme les causes de l’effondrement du système de santé français et les postes pour l’éviter. Un texte a pour titre "Agnotologie de genre de la médecine : l’exemple de la douleur". L’historien américain des sciences Robert Proctor a inventé ce terme d’"agnotologie" pour étudier la production de non-connaissances donc en prolongement les différents régimes de légitimité accordés aux discours scientifiques. Un bon exemple, cité par nous-même en matière d’"agnotologie", est que sur les planches de l’édition de 1973 du célèbre manuel le Gray’s Anatomy, le clitoris était absolument absent. Ainsi les corps des femmes étaient délaissés par une science pendant longtemps restée une science masculine, donc productrice de différentes formes d’ignorance. La contribution suivante concerne justement les violences obstétricales et gynécologiques.
Peu après Geneviève Couraud, vice-présidente d’Élu/es contre les violences faites aux femmes, se penche sur les difficultés d’accès aux soins des femmes en situation de précarité. Certaines seraient méchamment classées parmi les sans dents par un ancien président de la République, qui se rêve en Raymond Poincaré. Yveline Nicolas, très active au sein de l’association Adéquations, et travaillant à lier les questions du genre aux enjeux écologiques propose une réflexion sur ce dernier sujet.
La sociologue et historienne Anne Marchand s’attache à montrer que pour les cancers professionnels, la question essentielle n’est pas s’ils touchent ou pas dans la même proportion les catégories sociales mais qu’ils sot largement méconnus donc sous-estimés. Elle rappelle qu’en 1901 Alexandre Millerand, premier ministre socialiste en France (membre alors du Parti socialiste français de Jaurès, Brousse et Allemane et non de la SFIO apparue seulement en 1905) déclarait que l’amortissement du personnel humain devait trouver place à côté de l’amortissement des familles (page 158). Rappelons d’ailleurs que Millerand, devenu un président de la République, aux propos nationalistes, antisociaux et péremptoires, fut contraint en 1924 de démissionner par une coalition des forces de gauche (comme d’ailleurs Mac-Mahon près d’un demi-siècle avant).
Le dernier texte d’Abraham Béhar, médecin honoraire des hôpitaux de Paris et responsable de la revue Médecine et guerre nucléaire, s’intéresse à la radiobiologie, ce qui nous vaut un exposé sur l’interacation des rayons ionisants sur le vivant et donc des lésions induites ainsi que l’évolution de la radiothérapie. On appréciera le lexique de près d(une vingtaine de termes proposé par ce dernier auteur ; on y trouve notamment des définitions de la maladie de Hogdkin, la méthode de Kaplan ou de la vascularisation des tumeurs.
Pour connaisseurs Aucune illustration