Avis de Benjamin : "Patrimoine artistique et religieux des communautés chrétiennes du monde arabe"
L’exposition Chrétiens d’Orient : 2000 ans d’histoire se tient du 26 septembre 2017 au 14 janvier 2018 à l’Institut du monde arabe et se transportera ensuite du 17 février au 5 juin 2018 au Muba Eugène Leroy qui est le musée des Beaux-arts de Tourcoing. Eugène Leroy, né à Tourcoing en 1910, a d’ailleurs réalisé des œuvres renvoyant à la culture chrétienne comme Crucifixion pour la chapelle du collège Notre-Dame-des-Victoires de Roubaix et cet artiste a dit un jour « C’est un acte de foi que d’acquérir une de mes œuvres ».
L’Institut du Monde arabe fête ses trente ans et choisir un tel sujet permet de rappeler que le christianisme né au Proche-Orient s’est maintenu là jusqu’à nos jours malgré les vicissitudes de l’histoire, extrêmement tragiques en particulier deux fois en l’espace d’un siècle à savoir 1915 avec les massacres dans le cadre de l’Empire ottoman et avec la situation relative à Daesh instaurant un calfat en 2014. Notons que d’autres régions, où la religion chrétienne avait largement pu rayonner par ses fidèles et ses évêques, il n’y a pas eu de continuité. C’est le cas au Maghreb avec un passé marqué par saint Augustin et saint Cyprien.
L’ouvrage Chrétiens d’Orient : 2000 ans d’histoire évoque l’univers culturel des régions qui aujourd’hui relèvent des pays suivants : Égypte, Israël, Jordanie, Liban, Syrie, Irak, Arabie saoudite et Yémen. Certes il est question de ce qui fut appelé l’Église de Perse, mais c’est parce que devenue l’Église apostolique assyrienne de l’Orient, elle a vu son siège catholicosal transféré à Bagdad en 780. Ce sont des nestoriens qui affirment que dans Jésus coexistent deux natures l'une divine et l'autre humaine et un refus de reconnaître la sainteté de Marie (qui n’a rien de Vierge pour eux) ; ce n’est peut-être pas un hasard si cette idée perce (sic) dans une Perse alors en partie manichéenne.
Leur élan missionnaire les fait rayonner jusqu’au XIIIe siècle en Inde, Asie centrale et jusqu’en Mongolie ; on connaît généralement la stèle nestorienne de Xi'an érigée en 781 dans cette ville entre le Fleuve jaune et le Fleuve bleu et découverte en février 1625. Par ailleurs toues certaines de ces Églises se réclament d’un christianisme né à Edesse, aujourd’hui Urfa en Turquie, et leur lange liturgique est l’araméen de cette cité tel qu’il était parlé au début de notre ère. On voit donc, à travers cet exemple, que les Églises en question ont rayonné dans des espaces bien plus large que les pays arabes en question.
Maquette du Saint-Sépulcre. XVIIIème siècle
Le premier chapitre porte prétendument sur la naissance et le développement du christianisme en Orient, en fait on ne remonte qu’en 324 lorsque Constantin devient le seul et unique empereur du monde romain (ils étaient quatre Augustes en 311) et on va jusqu’à 642 l’année où les Arabes prennent Alexandrie et font la conquête de la Mésopotamie (Damas est prise par les musulmans dès 634 et Jérusalem en 637). On présente une icône, réalisée au premier tiers du XVIIe siècle, du concile de Nicée de 325 qui condamne l’arianisme. Le souvenir de cette controverse est passé dans l'expression "ne pas bouger d'un iota" ("homoousios" opposé à "homoiousios"). De ce premier concile œucuménique est issue cette formule :
« Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, Créateur de toutes choses visibles et invisibles. Et en un seul Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, engendré du Père, c'est-à-dire, de la substance du Père. Dieu de Dieu, lumière de lumière, vrai Dieu de vrai Dieu ; engendré et non fait, consubstantiel au Père ; par qui toutes choses ont été faites au ciel et en la terre. Qui, pour nous autres hommes et pour notre salut, est descendu des cieux, s'est incarné et s'est fait homme ; a souffert et est mort crucifié sur une croix, est ressuscité le troisième jour, est monté aux cieux, et viendra juger les vivants et les morts. Et au Saint-Esprit. »
On a des pages fort intéressantes expliquant que, suite à l’action du négus du royaume d’Aksoum (en Abyssinie puis Éthiopie) vers 522 d’établissement d’une sorte de protectorat sur le Yémen, une réaction locale met quasiment fin vers 640 (avec le calife Omar) à une présence chrétienne dans la péninsule arabique. Ajoutons personnellement que le royaume d’Aksoum, par son principal port Adoulis, va entretenir des relations avec Constantinople jusque vers l’an 1 000.
Fragment de plat. XVIIIème siècle
Logiquement le second chapitre se nomme "Les Églises orientales après la conquête arabe", on y trouve bien expliqué page 79 le statut, en pays islamique, de dhimmi propre aux religionnaires non-musulmans se réclamant de la Bible. Au-dessus on trouve les première et quatrième de couverture d’un évangile syriaque richement décoré.
Pour certains, le sujet du chapitre suivant sera le plus intéressant, il s’agit d’évoquer les interactions artistiques dans la culture chrétienne orientale de la fin de la période médiévale ; celles-ci sont dues à la présence des Croisés au-delà de leur départ et à l’adoption de la langue arabe par les populations locales (qui utilisaient l’araméen comme lingua franca avant le milieu du VIIe siècle). On a dans les pages en question, une riche iconographie en particulier autour du Christ.
On poursuit avec les conséquences de la conquête ottomane qui au début du XVIe siècle firent des chrétiens des sujets de la Sublime Porte. Ceci amène à une reproduction d’un extrait de la lettre, de Soliman de Magnifique à François Ier, au sujet de la protection des Chrétiens. Soulignons que les Églises orientales disposent de prêtres mariés depuis les origines et que leur passage, au cours du XVIIIe siècle, pour nombre d’entre elles (avec d’ailleurs des divisions à cette occasion) sous l’aile protectrice de Rome au XIXe siècle, n’y changea rien. Les Européens mènent des recherches archéologiques dont les résultats sont diversement interprétés par les savants protestants faisant en particulier entrer dans la légende les ancêtres des nestoriens (comme on le verra page 123) les chercheurs catholiques et les Églises elles-mêmes.
Avec la montée des nationalismes, c’est dès 1860 que les violences antichrétiennes deviennent une actualité quasi récurrentes et ceci jusqu’à la chute de l’Empire ottoman soixante ans plus tard. Les chrétiens sont d’ailleurs un des moteurs de l’intelligentsia arabe qui aspire à se défaire de l’influence turque. La question des modèles et des usages des icônes dans cet univers chrétien fait l’objet d’une réflexion. Un dernier chapitre amorce une approche sur la place actuelle des chrétiens dans le monde arabe.
L’ouvrage a des qualités iconographiques incommensurables. Il est évidemment généraliste et on ira vers des livres se centrant sur une Église particulière pour en savoir plus, comme Le Monde syriaque: Sur les routes d'un christianisme ignoré qui sort fin octobre 2017 aux Belles Lettres ou L'aventure des Nestoriens de Paul Roques paru en 2013 chez L’Harmattan.
Pour connaisseurs Beaucoup d'illustrations
https://www.oeuvre-orient.fr/2017/09/11/paris-piece-de-theatre-nuit-de-qaraqosh-college-bernardins-9-octobre-2017/