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Cicatrices de guerre(s)

Cicatrices de guerre(s)
Éditions de la Gouttière96 pages
1 critique de lecteur

Avis de Alexandre : "Cicatrices de guerre(s) : un patchwork picard"

Une quinzaine de scénaristes et dessinateurs picards (de racines ou d’adoption) de BD ont été invités en 2009 par un éditeur de la Somme à bâtir un court récit autour de la Première Guerre mondiale. Ainsi étaient originaires de la Somme : Allam, Blondin, Cuvillier, Lacoche, Alex-Imé, François, Hautière, Hitori, Laboutique, Lachaussée , Fraco, Sofia, Frasier, Hardoc, Paul Gillon. Avec un lien par rapport à l’Aisne on trouvait Lacoche, Savoia et Dutfoy tandis que l’Oise était représentée par Bruckner, Fouquart et Goosens. Certains d’entre eux comme Norédine Allam ou Daniel Goossens ont réalisé le scénario et ses illustrations, mais si certains vivent bien dans la région picarde ils se sont adjoint un complice qui n’est pas picard (Aude Soleilhac du Puy-en-Velay, Pascal Regnauld d’Épernay et Paul Drouin de Paris). Ce sont donc finalement vingt-deux auteurs qui ont donné quinze récits de quatre à six planches. Chaque récit commence par une page où figure la photographie de l’objet choisi et une citation littéraire (parfois d’un des acteurs ou historien de la Grande Guerre), ces deux éléments ont été rajoutés une fois la planche complètement terminée. Les débuts de ces récits sont variés : pour Daniel Goossens une carte postale humoristique représentant l’évolution de la forme des moustaches de Guillaume II (avant, pendant et après la guerre), pour Agnès Fouquart une photographie de l’intérieur d’une tranchée, pour Régis Hautière la croix de guerre 1914-1918 dans un cas et un casque prussien dans l’autre (il donne deux scénarios l’une avec Paul Drouin et l’autre avec Hardoc) pour Francis Laboutique une lampe de mineur (utilisée pour creuser des galeries destinées à placer des explosifs sous les tranchées ennemies), pour Alex-Imé la photographie de son arrière-grand-père peu avant son décès au front …

L’avantage de ce recueil est que l’intérêt est toujours relancé. Si l’idée de départ de Daniel Goosens était bonne et les dessins traduisent une dose d’humour tant par les clins d’œil habituels dans l’ensemble de son œuvre (Popeye et Obélix en poilu) que par le choix de la forme des casques par contre le texte de contenu très potache ne séduira pas tout le monde. Son allusion à Hitler lui a valu une polémique toute à fait injuste mais significative du fait que le lecteur est perplexe devant le discours tenu, l’angle d’attaque choisi devient moins déroutant si l’on sait que l’auteur est fils de militaire de carrière. Des scénarios un peu sobres comme Collatéral et Le Quart accrocheront un jeune public d’autant que le contenu du premier autour des conséquences de la guerre dans les lieux de combat fait appel à des notions d’écologie très vulgarisées actuellement à l’école et que le second montre un univers familial composé de trois générations où la notion d’hygiène sert de motif. L’idée est de montrer que les poilus qui sont revenus sont habités par la mémoire de cette époque à partir d’un objet qui ne rappelle a priori aucune horreur de cette guerre. Lacoche a d’ailleurs fourni un récit en partie autobiographique avec Le Quart, situé à Tergnier où il a passé son enfance.

Si on suit maintenant l’ordre chronologique des récits, on trouve la production Rouge festin de Noredine Allam qui pointe le côté sanguinaire du conflit, avec la mort qui frappe des hommes de tous les villages français et une dernière vignette où des immeubles côtoient un champ parsemés de coquelicots. Ces derniers prennent une signification mémorielle dans les pays anglo-saxons. Le coquelicot est associé au 11 novembre depuis la popularisation du poème In Flanders Fields, écrit durant la Grande Guerre par le lieutenant colonel John McCrae, un médecin militaire canadien. La traduction de son début donne : « Au champ d’honneur, les coquelicots sont parsemés de lot en lot, auprès des croix ». Avant la Première Guerre mondiale très peu de ces fleurs poussaient en Flandres. Les terrains crayeux de la Flandre devinrent riches en poussière de chaux suite aux multiples bombardements, cela permit la venue des coquelicots. La guerre terminée, les coquelicots redevinrent quasiment absents des champs flamands. L’étang à côté desquels poussent les coquelicots dans cette BD, rappelle par sa forme le trou qu’aurait pu provoquer une marmite lors de la Grande Guerre. Dans Bleuet de Denis Lachaussée et Aude Soleilhac un jeune soldat se fait d’abord moqué de lui par sa naïveté puis par son esprit de débrouillardise se fait adopté. Lors d’une attaque il meurt en ramassant le pot de bleuets qui lui avait été offert par ses camarades. La dernière bande nous transporte une dizaine d’années plus tard lorsque le narrateur, un de ses camarades survivants, dans un langage intérieur se dit que tous les 11 novembre il pense à ce jeune homme en mettant d’ailleurs sur sa veste le bleuet créé en tissu par deux infirmières des Invalides en 1917. « Je ne me souviens pas de tous les morts que j’ai vus, ni de tous les hommes que j’ai côtoyés…mais je me souviendrai toujours d’Agathon Bleuzen… BLEUET! « . Outre que ce souvenir, la BD porte également le rappel que dans la classe 1917, arrivèrent au front des jeunes qui avaient dix-huit ans. Le graphisme très lisse permet de bien porter l’atmosphère de souvenir sensible, d’ailleurs Aude Soleilhac a réalisé l’adaptation en BD de La Guerre des boutons chez Delcourt. Vue la tenue de leur récit on attend avec impatience la sortie de leur album Noces de plomb, qui évoque quatre destins toujours dans la Première Guerre mondiale.

Pour Sofia et Olivier Frazier il s’agit dans Innocence de montrer la haine de l’ennemi dans la population civile. En hiver une fillette découvre dans une grange un soldat allemand blessé, il lui montre une photo dont on découvrira le contenu à la dernière case. Toutefois leur conversation a été entendue… Le dessin a pris volontairement un aspect qui rappelle une BD d’aventures dans Spirou. Chanson pour Vernon de David François pose le problème de la réinsertion des gueules cassées. Un thème nouveau en 2009 dans la BD et qui a donné en 2012 trois émules parmi les confrères de David François. Un soldat allemand blessé retrouve son chemin dans un paysage enneigé en suivant les traces d’un mystérieux loup blanc qui le guide jusqu’à son foyer dans Soldat Swolf d’Agnès Fouquart. Régis Hautière et Paul Drouin traite des mutineries qui ont suivi l’échec de l’Offensive Nivelle en 1917 et met en exergue la médaille de la guerre de 1914-1918 avec L’exemple. Jean-François Bruckner dans Fragments dépeint les moments qui précèdent puis suivent l’assaut, faisant l’impasse sur le combat. Le récit est basé sur l’idée que les usines de Wendel, en Lorraine occupée de 1914 à 1918 et en Lorraine annexée en 1871 durant la Première guerre mondiale servirent l’effort de guerre allemand. Jean-Michel Jeanneney a mis une fin à la fameuse polémique sur le non-bombardement du bassin de Briey par l’aviation française dans François de Wendel en République. En Lorraine annexée la production, qui a pu se faire est beaucoup relativisée ; les biens ont été mis sous séquestre et gérés par un fondé de pouvoir allemand (toutefois choisi par la famille de Wendel). L’argent et le pouvoir (1914-1940). Un officier supérieur allemand et un industriel français discutent vers 1915 des perspectives d’après-guerre. À la dernière page quatre-vingt-trois, il faut reconnaître avec un visage très juvénile Hitler, Mussolini et Staline.

En 2009 à la butte de Vauquois au nord-est de Verdun, est retrouvé un carnet écrit par un des sapeurs français qui essayaient de dynamiser des tranchées allemandes en creusant des galeries souterraines. Un récit Mémoire de gaize de Francis Laboutique, Pascal Regnauld et Nathalie Regnauld où les têtes de personnages ont pris une image animale, il faut dire que le dessinateur est celui de la série Canardo. Avec Les jours pluvieux d’Alex-Imé un père quitte sa fille en août 1914 mais promet à sa fille de lui écrire tous les jours en lui racontant une histoire comme il le faisait chaque soir. Il choisit de transposer son vécu de poilu en une épopée médiévale où il s’agit de combattre des dragons ou des lutins et de faire face à des sortilèges. Dans Les croix de bois de Dorgelès Greg Blondin semble s’inspirer de certaines photographies d’époque, il rend un dessin en noir et blanc qui aide à le suggérer. Il s’agit d’un hommage aux Croix de bois de Dorgelès et de pointer la perspective de l’oubli des disparus. Pour Jeux de guerre de Régis Hautière et Hardoc il s’agit de rendre l’inconscience des enfants de l’époque face au conflit en cours. Le dessin rend très bien l’atmosphère des dialogues de cette bande d’enfants dans un paysage naturel qui n’est pas sans rappeler celui de La Guerre des boutons dont l’auteur est d’ailleurs décédé durant ce conflit.

On voit à travers cette présentation volontairement individualisée que Cicatrices de guerre est un sorte de vision impressionniste du conflit où chaque histoire apporte une pierre dans l’approche de la Grande Guerre. Il est à noter que sur le site de l’éditeur des fiches d’exploitation pédagogique sont proposées pour cette BD que personnellement nous recommandons pour tous les élèves de l’enseignement secondaire et les adultes. Cependant une moitié des récits peuvent aisément servir comme point de départ pour introduire l’idée de la Première Guerre mondiale chez un élève de CM 2 qui a cette question à son programme d’histoire. Nous avons gardé pour la fin l’information s’agissant de la réalisation de la couverture de cet album, c’est un travail réalisé par Paul Gillon l’auteur picard de BD le plus reconnu, il s’agit là de son dernier dessin publié, il est décédé en 2011 en la cité des hortillonnages. Mes remerciements à Oriane Vivin et Daniel Muraz pour les informations sur l’origine des auteurs.

Alexandre

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