Avis de Adam Craponne : "La poutonophobie: un nouveau mot pour une vieille réalité"
L’ouvrage constitue une magistrale synthèse sur les rapports que la Russie a entretenus avec le reste de l’Europe et sur l’identité que ce pays s’est construite en regard de ceux du Vieux continent.
De la domination mongole au XIIIe siècle, ce pays sort à la fois l’idée que le pouvoir étatique est par essence tyrannique et à la fois que la Russie est un rempart du christianisme qui en faisant en plus le choix de l’orthodoxie devient l’héritière de Byzance après la chute de cette dernière en 1453. Alors qu’en Europe on est fait roi par le pape ou l’empereur du Saint-Empire germanique, Ivan III déclare dès la fin du XVe siècle que le pouvoir des tzars est reçu de Dieu et libre de tout lien vassalique.
Le livre montre les essais successifs de certains souverains russes pour ouvrir leur pays à la modernité tout en agrandissant la Russie vers l’Asie. En 1557 Kazan devient russe et on peut retenir cette date comme celle de l’entrée du pays dans un double espace. Dès cette période, grâce à des richesses en charbon, fer et bois, la Russie a une production importante en armes. Toutefois, du fait de la persistance de la composition de la société, la Russie reste aux yeux de l’Occident un pays « en butte à la méfiance, voire au mépris » (page 98). Ceci pousse les tzars à recruter des diplomates de grande valeur parmi les familles russes les plus titrées.
Le conflit en 1812 entre Napoléon et Alexandre donne l’idée à certaines élites que la Russie est sous la protection de la Providence. Les ambitions idéalistes d’Alexandre s’arrêtent aux marches de son empire et son projet de désarmement (le premier de l’histoire européenne) n’aboutit pas. Nombre d’officiers veulent en finir avec l’aristocratie, mais l’échec de l’insurrection des décembristes. « La fermeture aux valeurs occidentales s’accomplit donc par le biais d’une censure et d’un appareil oppressif d’une ampleur nouvelle ».
L’auteur montre combien la Russie oscille entre européanisation et europhobie au XIXe siècle, l’idéologie panslave donne à la Russie un rôle de leadership au service d’une ambition impérialiste sur la moitié est de l’Europe. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, par le biais de l’idéologie communiste de plus ou moins larges parties de la population de l’Europe occidentale sont sensibilisées à un intérêt pour la une Russie nouvelle qui a par ailleurs vu un net recul de ses frontières.
Le 10 avril 1922 le gouvernement soviétique est présent à la confiance internationale de Gênes. Une collaboration germano-soviétique non officielle mais très efficace s’est par ailleurs amorcée. La Guerre froide place les relations entre le bloc soviétique et l’Europe occidentale sous l’alternance entre des phases d’affrontement et de séduction.
Après avoir passé en revue les conséquences de la dissolution du Pacte de Varsovie et de l’éclatement de l’URSS, l’auteur conclut en ces termes :
« Depuis l’annexion de la Crimée en mars 2014, les relations russo-européennes se sont dégradées et l’heure est aujourd’hui à une rhétorique rappelant les poncifs de la Guerre froide. L’idéalisme gorbatchévien, qui en appelait à une maison commune européenne fondée sur les valeurs et des principes partagés semble avoir totalement disparu dans la Russie poutinienne. La complexité et l’urgence des questions internationales auxquelles le monde est aujourd’hui confronté amèneront-elles Russes et Européens à dépasser leurs méfiances et leurs appréhensions réciproques pour retrouver ensemble le chemin de la détente, de l’entente et de la coopération ? Ce sera sans nul doute un des enjeux majeurs des mois à venir ». (pages 438-439).
Pour connaisseurs Peu d'illustrations