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L’effroyable tragédie: Une nouvelle histoire de la Campagne de Russie

L’effroyable tragédie: Une nouvelle histoire de la Campagne de Russie
Champs histoire / Flammarion391 pages
1 critique de lecteur

Avis de Octave : "La Russie m’a tuer (Napoléon au maréchal Ghislaine)"

Notre titre est évidemment une allusion au meurtre de Ghislaine Marchal et donc au fameux « Omar m’a tuer ». Napoléon Bonaparte est né le 15 août 1769 à Ajaccio et il est mort le 5 mai 1821 sur l'île Sainte-Hélène. On commémore donc le bicentenaire de sa mort, aussi de nouveaux ouvrages et rééditions se bousculent, autour de l’empereur des Français.

 

On est là face à une édition en poche d’un ouvrage sorti en 2012 dans une édition plus luxueuse. Marie-Pierre Rey s’appuie sur de nombreux témoignages de civils des diverses régions traversées et militaires des deux camps. C’est donc un discours qui fait plus sa place aux vécus qu’aux considérations militaires ou politiques (quoiqu’elles ne soient pas ignorées). On a par exemple le témoignage page 112, de la part de Sophie de Tisenhaus, l’une des rares représentantes de l'aristocratie polono-lituanienne à être présente à la cour du tsar, du passage des soldats de la Grande Armée en Lituanie où ils font des ravages (au grand désespoir de Napoléon, mais qui comme d’habitude n’avait pas prévu l’intendance).

 

Fouché écrit à Napoléon en avril 1812 ceci :

« Quels que soient vos succès, les Russes vous disputeront pied à pied ces contrées difficiles où vous ne trouverez rien de qui alimente la guerre. Tandis que vous aurez à combattre, la moitié de votre armée sera employée à couvrir des communications trop faibles, interrompues, menacées et coupées par des nuées de Cosaques. Sire, je vous conjure, au nom de la France, au nom de la gloire, remettez l’épée dans le fourreau : Songez à Charles XII ».

 

Forte de 423 000 hommes, l’armée impériale engagée est composée pour les deux-tiers de Français (au sens d'habitants de l'Empire, donc en particulier des Belges) et de troupes de divers pays conquis par Napoléon ; il y a même un contingent prussien sous le commandement de Mac Donald.  Le prince Eugène de Beauharnais, vice-roi d’Italie commande des soldats de son état fantoche. Jérôme roi de Westphalie est, avec Poniatowski, à la tête de Polonais et d’Allemands. Ce n’est que le 23 juin que le Niemen est franchi, ce fleuve servant alors de frontière nord-est au petit duché de Varsovie créé en 1807 et agrandi en 1809. Les troupes françaises sont de retour sur ce fleuve à la mi-décembre de la même année.  Désertions et maladies ont frappés, en plus des combats, et fin juillet on a déjà perdu près de 200 000 hommes.

 

Le seul affrontement qui ressemble à une bataille est celui de Borodino, qui a lieu sur la Moskova ; le reste du temps on est dans le domaine de la guerre d’usure où les Russes excellent. Ce fut la première guerre où le nombre de morts chez les civils égala celui des soldats. En effet l’armée française commet les pires infamies ; non seulement les soldats pillent (y compris des lieux religieux comme le monastère Donskoï ou la cathédrale Saint-Michel archange) mais ils torturent, procèdent à des exécutions sommaires, des viols et des incendies volontaires.  La carte proposée au début de l’ouvrage montre que les voyages aller et retour se font dans la même zone, à savoir autour de Kaunas, Vilnius, Smolensk, Viazma et Gagarine. On relève page 193 que Napoléon avait fait fabriquer de la fausse monnaie en rouble afin de payer vivres et fourrages aux paysans. Toutefois les soldats russes veillent que les paysans d’alentours n’approvisionnent pas la Grande Armée, c’est particulièrement le cas à Moscou (page 192). Cependant cette ville n’est pas épargnée par les pillages des ruraux après le départ des Français (page 225). Les précautions prises à Moscou par Armand Augustin Louis de Caulaincourt afin que ses hommes et ses chevaux supportent le climat sont soulignées page 183.

 

Des scènes d’anthropophagie entre soldats français vivants et militaires de la Grande Armée décédés ont lieu (page 235). Les réserves accumulées à Smolensk et Vilnius sont pillées par les premiers soldats sur le chemin de retour, si bien que ceux qui arrivent plus tard ont de moins en moins de vivres ; l’absence de confiance dans les lendemains, vu l’image de l’intendance par les soldats, a causé la famine de troupes qui auraient pu se nourrir à Smolensk. Les prisonniers des deux camps sont parfois massacrés, quand ils ne meurent pas des mauvaises conditions de leur détention. L’appartenance au groupe des frères trois points à certains de sauver leur vie (page 249), quoique balbutiante et sous surveillance la franc-maçonnerie russe perdura jusqu'en 1822, l'année où elle fut interdite. Rappelons que le héros de Guerre et paix de Tolstoï est présenté comme un ardent franc-maçon. Notons que les premiers diagnostics d'état de démence chez d'anciens soldats, du fait de leur campagne en Russie, sont posés en particulier par Esquirol. Ainsi le capitaine Jean-Antoine Gédéonde Chamborant (un officier charetais) a en particulier une phobie du blanc, car cela lui rappelle les immensités de neige, mais pas seulement; il est «atteint d'une maladie mentale incurable accompagnée de paranoïa, misanthropie et… phobie de la couleur blanche». (page 312).

 

Napoléon, en Russie, a laissé son nom à un gâteau (voir https://kabachok.org/sladkaya-vjpechka-desert/494-tort-napoleon.html) que les Lituaniens ont adapté en ajoutant des fruits tels les abricots ; on a également en Pologne à une autre pâtisserie assez différente qui porte le nom de napoleonka. Si Napoléon évoque un dessert c’est que pour les Polonais il évoque une éphémère renaissance de leur patrie (qu’ils espéraient mais qui fut bien fictive car Napoléon n’en voulait pas pour ne pas contrarier l’Autriche) et que pour les Russes il est le représentant  de l’esprit des Lumières. La raison en est que le tsar se refuse à toute réforme profonde, ni le servage n’est abolie ni une constitution n’est octroyée (page 316). Les officiers décembristes étaient des hommes qui avaient fait la campagne de France et avaient participé à l'occupation de ce dernier pays.   

 

Voilà le plan de l'ouvrage :

Prologue
1 – Veillée d'armes
2 – Forces en présence
3 – L'invasion
4 – En attendant l'ennemi
5 – La catastrophe de Smolensk
6 – Borodino, la Moskowa
7 – Moscou occupée
8 – Moscou libérée
9 – Retour à Smolensk
10 – Le « général Hiver » entre en campagne
11 – Le tombeau de la Grande Armée
Epilogue

 

Pour connaisseurs Peu d'illustrations

Octave

Note globale :

Par - 465 avis déposés - lecteur régulier

07/11/21
Enrichissant, j'ai écrit une petite histoire sur cette époque :" Anna Ivanova et ses serfs" (roman). Je découvre réellement ici que des Prussiens avaient été engagés auprès de Napoléon... Dans mon histoire j'y fait allusion mais j'ignorais cela !
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