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La laïcité face à l’islam

La laïcité face à l’islam
Stock174 pages
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Avis de Benjamin : "L'islam soluble dans la laïcité ?"

Sont hostiles à l’islam, selon notre auteur, d’une part ceux qui pensent que l’identité française est fondamentalement inspirée du christianisme et ceux qui combattent un fondamentalisme musulman qu’ils considèrent comme menaçant (comme Caroline Fourest). Il y a ceux pour qui il n’y aura jamais d’islam laïque et ceux qui souhaitent susciter un islam libéral, laïque et français.

L’auteur rappelle que « les jeunes beurs des années 1980, quand ils sortaient de leurs banlieues, revendiquaient le discours sur l’intégration, au lieu de défendre une différence sino das la couleur de peau : ils étaient avant tout antiracistes, c’est-à(dire contre toute marque d’altérité, ils refusaient tout communautarisme et ne se référaient pas à l’islam. C’était la nature même de la marche des beurs de 1983, et cela reste bien la ligne de SOS racisme, issue du mouvement de 1983, mais aujourd’hui déconnectée des banlieues.

Ce qui est apparu plus tard, dans les années 1990, c’est un discours structuré incarné par deux figures: le prédicateur barbu salafiste, en djellaba blanche et à fort accent, venu de l’Orient pour hanter les banlieues transformées en réserves interdites et l’intellectuel tiré à quatre épingles, parlant parfaitement le français et qui fait lui, l’apologie d’une différence fondamentale, celle d’une croyance qui s’exhibe sans complexe » (page 16). Il s’agit évidemment das le second cas de personnages tel que Tariq Ramadan. Ceci se produit alors que nombre de musulmans vivants dans l’hexagone, ayant construit leur propre laïcité ne participent pas au débat.

La question est de savoir si l’islam est fondamentalement rebelle à la laïcité ou si ce dernier connaîtra une évolution semblable à celle du catholicisme. « La configuration qui a donné naissance à la problématique de la laïcité (l’État souverain, incarnation du corps politique face à une église qui s’affirme comme universelle) serait-elle en crise, rendant vaine la tentative présente de restaurer une laïcité désormais mythique » (pages 18-19). 

Toujours dans l’introduction, Olivier Roy souligne que «  le problè me de la laïcité est celui de la séparation entre la sphère religieuse et la sphère politique, au niveau de la société. Le croyant n’a évidemment pas à séparer les deux : c’est sa conscience qui lui dicte la place de chaque ordre. Ce n’est pas la religion qui détermine ce qui relève du religieux, c’est la loi en ce qui concerne la laïcité et la société pour ce qui est de la sécuralisation. Le problème est de servir comment la religion se redéfinit face à ce changement de l’espace social et politique : comment elle s’y adapte, s’y oppose ou se crée son propre espace » (page 20).

Il poursuit ainsi : « La religion n’existe qu’à travers une culture qui peut être perçue comme "ethnique" ("culture arabe"). Ici, le religieux a bien à voir avec l’ethnie, les coutumes, les traditions. Mais comment cette culture se manifeste-t-elle dans le comportement d’un individu, surtout dans un contexte de déculturation comme celui de l’immigration ? Elle n’explique plus les comportements concrets des acteurs, à moins d’en faire on ne sait quel invariant ethnique. D’autre part, "le fondamentalisme", c’est-à-dire quand la religion se dégage des cultures ambiantes pour se définir comme pure religion, dans un système de codes spécifiques (sous sa forme politique, c’est ce qu’on appelle idéologie islamique, sous sa forme strictement religieuse, c’est le salafisme) (page 22). Pour l’auteur l’imposition de la charia dépossède l’État de certaines de ses prérogatives.

Le premier chapitre se nomme "La laïcité française et l’islam". La laïcité est fille des Lumières, rationaliste elle a alors une dimension philosophique. D’autre part la laïcité est un principe juridique avec des étapes législatives successives, enfin la laïcité est un principe politique qui fut à l’origine la question de la place politique de l’Église catholique dans la société française (pages 34 à 40). Par ailleurs nombre de parents des classes moyennes, ne fréquentant pas la messe, mettent leur enfant dans les écoles privées catholiques considérées comme un atout afin d’éviter à leur enfant de se mêler à des élèves issus de quartiers progressivement ethnicisés. Alors que le clivage entre laïques et nombre de catholiques s’estompe en matière de sécularisation, se pose la question de l’opposition entre l’islam et certains aspects de la laïcité.

Si l’on ne demande pas à un catholique pratiquant d’accepter l’IVG en son for intérieur (et le mariage pour tous, ajoutons-nous personnellement), la justice s’oppose à ce que ce dernier attaque des établissements hospitaliers pratiquant l’avortement ou vienne perturber un mariage entre deux personnes du même sexe. On exige du croyant musulman de faire de même. Il n’a donc pas à tuer un apostat ou perturber un mariage entre une musulmane et un homme n’étant pas un fidèle d’Allah.

Par contre l’État n‘a pas à intervenir pour une modification du dogme religieux. Vouloir émanciper une femme musulmane à son insu, en interdisant le port du voile est un paradoxe (page 61). Selon les pays le rejet d’une pratique islamique par la population indigène et la législation n’est pas le même ; au Royaume-Uni ne se pose pas le problème du voile mais l’abattage rituel (hallal) est interdit au om de la souffrance animale.

Dans un autre chapitre, l’auteur évoque deux positions face au dogme islamique. Il y a ceux qui pensent que ce dernier est fondamentalement un obstacle à la sécularisation. Ceci pour trois raisons : en islam il n’y aurait pas de séparation entre la religion et l’État, la charia est incompatible avec les droits de l’homme (au sens large (puisque justement ce sont les femmes qui souffrent le plus d’impositions dans leur mode de vie), le croyant s’identifie obligatoirement à la communauté des musulmans. Il faudrait donc une réforme théologique mais, compte-tenu de l’influence contemporaine des fondamentalistes islamistes, celle-ci est-elle envisageable ?

Une autre opinion évoque l’importance qu’eut, dans les années autour de l’an 1000 sous la dynastie abbasside, l’école rationaliste des mutazilites qui réfute l'idée que le Coran serait éternel et incréé. L’action de ces derniers influence aujourd’hui des libéraux musulmans orthodoxes en s’appuyant sur l’exégèse et la juridiction pour revisiter un corpus qui ne se limite qu’à la Sunna et au Coran, il y a ici un regard critique sur les hadiths. Ces derniers rapporteraient les actes et paroles de Mahomet et de ses compagnons, à propos de commentaires du Coran ou de règles de conduite ; ils donnent notamment des directives sur tout ce qui organise la vie quotidienne et sociale des fidèles en fixant les comportements à avoir. Le nombre de hadiths a été progressivement enrichi, ils commencent à apparaître une centaine d’années après la mort du Prophète et sont codifiés au Xe siècle. L’authenticité de certains hadiths est sujette à caution dans la mesure où on a mis par écrit des paroles rapportées oralement pendant au moins une centaine d’années et que certains entrent en possible contradiction.

Pour ces islamologues libéraux « tout ce qui n’est pas explicitement contre l’islam est acceptable. Le renoncement à l’idée qu’il y a une forme politique islamique est ici acquis » (page 78). Une autre branche, portée par l’UOIF, autorise des dérogations à certaines règles pour les musulmans  vivant en terre non islamique. On a alors une sécularisation de fait et non de droit, avec maintien de l’orthodoxie. Cet ouvrage ne le précise pas mais l'Association pour la renaissance de l'islam mutazilite (ARIM) est créée en France en 2017 par l’action du philosophe et iman Faker Korchane et l’imam Eva Janadin convertie.

D’autre part des théologiens contemporains avancent qu’il faut percevoir le message coranique dans le contexte historique de son élaboration. La charria a été fossilisée par certains oulémas avec la complicité de certains pouvoirs politiques. Ce réformisme pose « la séparation du politique et du religieux, moins pour sauver le politique du religieux que pour sauver le religieux du politique et rendre au théologien comme au simple croyant leur liberté. La laïcité ici n’est ni la conclusion d’un raisonnement théologique, ni l’affirmation de la suprématie en droit au pouvoir séculier, mais un principe méthodologique pour mieux (re)penser la religion. Il faut désintrinquer l’islam du politique (page 81).

Richard Benzine est un autre théologien réformiste musulman, il s’est notamment exprimé dans un entretien publié dans le journal La Croix le 13 février 2004. Il y déclare que « le Coran n’a pas vocation à répondre à toutes les questions contemporaines. Il ‘est ni un code juridique ni un traité en sciences politiques. Les questions de démocratie, de laïcité, des droits de l’homme, d’égalité entre hommes et femmes doivent être abordées en dehors du texte coranique » (page 84). Il est évident qu’un tel islam est compatible avec la sécularisation et la laïcité. Ajoutons personnellement que le Coran a toujours sacralisé le débat entre théologiens.

La question est de savoir quelle est l’influence de ce courant en Europe et dans l’ensemble arabo-musulman. Il semble que c’est justement dans l’Iran des mollahs qu’il est le plus répandu, sans pour autant triompher au niveau des décisions prises par les gouvernements de l’Iran et encore moins peser sur l’action des gardiens de la Révolution. 

Olivier Roy apporte une distinction entre les islamistes qui voient, dans l’État, l’agent de la réislamisation et les néo-fondamentalistes qui pensent que la piété personnelle est le moteur de cette réislamisation. Nombre des auteurs de livres sur le défi posé par les pratiques musulmanes à la laïcité assimilent ces deux orientations. C’est le cas en particulier de Caroline Fourest dans l’ouvrage qu’elle a consacré à Tariq Ramadan (page 101).

Notre auteur ajoute que la demande d’un État islamique est en fait un refus du régime politique qui sévit actuellement dans son pays, ce dernier étant miné par la corruption et le pouvoir personnel. Il y a donc dans ce désir « une volonté de régularisation de l’État par une nouvelle génération issue de la transformation étatique : étudiants, populations urbaines, technocrates » (page 109).

Olivier Roy continue en déclarant que « les révolutions islamiques conduisent ainsi à mettre en place une laïcité de fait parce qu’en politisant à l’excès le religieux, elles lui font perdre son rôle de recours et amènent religieux traditionnels comme nouveaux croyants à rêver d’un espace spirituel en dehors du politique » (page 111). Enfin de compte s’est instauré, dans ces républiques ou monarchies islamistes, un appareil politico-clérical qui instrumentalise l’ordre moral pour se maintenir au pouvoir.

Dans les dernières pages de l’ouvrage, il s’agit de pointer les échecs justement de ces derniers états incapables d’instaurer la justice sociale et développement économique (sauf pour certains états en surexploitant une population immigrée, préciserons-nous)  mais aussi ne parvenant pas à faire la synthèse entre l’utopie religieuse et les exigences de la modernité. Est ensuite portée l’idée que la réislamisation n’est qu’un volet du retour du religieux dans les sociétés modernes et que le fondamentalisme touche également certains chrétiens (notamment des évangélistes et des catholiques) et nombre de juifs.

 

Pour connaisseurs Aucune illustration

Benjamin

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