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La laïcité en débat au-delà des idées reçues

La laïcité en débat au-delà des idées reçues
Le cavalier bleu196 pages
1 critique de lecteur

Avis de Benjamin : "Les débats sur l'idée de laïcité sont le reflet de l'état d'une société à un moment donné"

Cet ouvrage, du fait de son succès, en est à sa troisième édition ; la première date de 2017. Vu la régularité des nouvelles situations apparaissant, il est régulièrement remis à jour. Ainsi par exemple page 53 sont mentionnées la promulgation de la Loi confortant le respect des principes de la Républiques (lutte contre le séparatisme) en août 2021 et la suppression de l’Observatoire de la laïcité en juin 2021 (organisme dont d’ailleurs l’auteure était membre) alors que la page 84 rend compte de la décision de la cour administrative de Lyon qui annule l'initiative du maire de Châlons-sur-Saône de supprimer les menus de substitution dans les cantines scolaires de la ville.

Valentine Zuber, membre de la Vigie de la laïcité, entend revenir sur un certain nombre de lieux communs autour de l’idée de la laïcité française. En quatre parties, elle se propose de traiter de vingt  questions. Dans son premier volet, elle montre comment s’est forgé le concept de laïcité, relevant d’ailleurs que le premier état à procéder à la séparation de l’Église et de l’État est le Mexique. Ajoutons personnellement que la Guerre du Mexique, menée par Napoléon III pour soutenir le camp catholique conservateur, est d’ailleurs une conséquence de la politique laïque menée par les libéraux en 1859 et 1860. L'auteure évoque d’autres formes de laïcité dans divers pays.

La seconde partie pose la question de la dimension démocratique de la laïcité, source de respect de toutes les religions et de garantie de l’égalité femmes-hommes. La troisième division a pour but de rechercher comment la laïcité pèse sur le fonctionnement des services publics et les attitudes des agents publics en service. La dernière partie traite de la façon dont l’école est devenue, autour de certaines manifestations d’une appartenance religieuse, un enjeu pour divers groupes de pression. La laïcité est instrumentalisée mais elle est aussi à défendre dans ce lieu.

De cet ouvrage, on retiendra notamment ces phrases :

« (…) est clérical celui qui s’estime supérieur au reste du peuple et investi d’une mission divine. Est laïque au contraire celui qui émane du peuple et porte les aspirations du plus grand nombre ».

« Le processus d’autonomisation progressive d’un point de vue politique et social entre les Églises, les États et les sociétés – processus inauguré avec la Réforme, théorisé avec la philosophie des Lumières et mis en pratique à partir de la Révolution française – a été qualifié par les historiens et sociologues du religieux de processus de laïcisation et de sécularisation. La laïcisation d’un État est bien un processus politique qui se distingue de la progressive sécularisation des différentes sociétés ».

« La séparation des domaines de compétence des États et des religions, la dissociation progressive de la citoyenneté et de l’appartenance religieuse relèvent du processus de laïcisation. La promotion de la liberté religieuse (individuelle ou collective) et l’appel au respect du principe de non-discrimination pour raison religieuse ou philosophique relèvent en revanche du processus de sécularisation ».

« La laïcité  (…) est un concept politique qui est essentiellement issu de la modernité occidentale apparu au lendemain de la partition de la chrétienté médiévale. Il a lentement émergé au sein des sociétés européennes à partir du xvie siècle marqué par de longues et sanglantes guerres politico-religieuses. Ses modalités d’application se sont progressivement forgées dans les réflexions juridico-politiques émises par toute une série d’auteurs qui ont successivement tenté de penser l’autonomie de l’État moderne et la manière dont celui-ci pouvait régir pacifiquement la pluralité religieuse apparue au lendemain de la partition confessionnelle de la chrétienté occasionnée par l’irruption traumatique de la Réforme protestante ».

« Plusieurs régimes de gestion du religieux par le politique se sont ainsi succédé au cours de l’histoire moderne de la France : modèle de coexistence religieuse avec l’Édit de tolérance de 1598 octroyé par Henri IV, qui a permis pendant une durée limitée aux protestants français de bénéficier d’une reconnaissance civile et politique jusqu’à ce que le roi Louis XIV la leur retire en 1685 par l’Édit de Fontainebleau portant révocation de l’Édit précédent ; modèle de tolérance avec l’octroi in extremis par le roi Louis XVI en 1787 d’un état-civil délivré par des fonctionnaires du roi aux protestants jusque-là pourchassés et discriminés ; modèle de pluralisme religieux régulé par le contrôle étatique de l’État avec la proclamation de la Constitution civile du clergé de 1791 qui faisait des clercs payés par l’État des fonctionnaires devant prêter serment de fidélité ; premier modèle séparatiste avec le décret du 3 ventôse an III (1795) qui a consacré la séparation de l’Église catholique et de l’État et la fin du subventionnement des cultes à la suite du constat de l’échec de l’Église constitutionnelle ; modèle de reconnaissance avec le système dit des « cultes reconnus », associant la signature d’un concordat avec le pape en 1801 aux articles organiques émanant de l’État accordant son subventionnement aux différents cultes représentés sur le territoire à condition du respect d’une police très tatillonne de ces derniers, le catholicisme, le luthéranisme, le calvinisme et pour finir, un culte non chrétien, le judaïsme ; modèle séparatiste à nouveau en 1905, prononçant le divorce sans consentement mutuel de l’État et des cultes et mettant fin autoritairement au subventionnement étatique de ces derniers ».

« En ce sens plus général, la laïcité d’un État se définit plus sûrement à la lumière des pratiques étatiques effectives vis-à-vis des croyances et des communautés religieuses qu’à la formulation légale de sa position vis-à-vis de ces mêmes croyances. Les degrés de laïcisation et de sécularisation d’un pays donné ne sont pas automatiquement corrélés. Il peut exister des États avec une législation laïque très avancée, dont les sociétés restent cependant très profondément religieuses (cas des États-Unis). De manière inverse, il existe des États dont les sociétés sont extrêmement sécularisées, c’est-à-dire que leur fonctionnement dénote un grand détachement des préceptes religieux, et dans lesquels perdure une législation assez faiblement laïcisée (cas du Danemark) ».

« Il y aurait donc incompatibilité – de fait et de principe – entre une vision chrétienne progressivement acclimatée au libéralisme et au pluralisme modernes et une vision musulmane forcément exclusive de ces principes juridico-politiques libéraux qu’elle ne pourrait que combattre, y compris par les armes et la terreur.Ces discours à tonalité ethnocentrique et volontiers antireligieux ne sont pourtant pas nouveaux si l’on se réfère au passé de notre pays. En 1905 déjà, les républicains radicaux – tenants du progrès – estimaient que c’était la religion catholique en tant que système théologico-politique qui était forcément et définitivement incompatible avec la laïcité. Depuis, à la suite du ralliement catholique au principe moderne du gouvernement libéral et démocratique des États, l’anticléricalisme traditionnel d’une certaine gauche s’est étendu au-delà de son spectre politique pour influencer les discours de la droite à l’extrême droite qui, sous couvert de défense de la laïcité, se sont faits depuis quelques décennies les chantres d’un racisme proprement antimusulman ».

« (…) un rapport récent du Sénat l’affirme : l’égalité femmes-hommes est devenue à la fois une valeur primordiale de la République et une condition essentielle de l’existence de la laïcité. Il est intéressant de voir comment cet important changement d’interprétation dans les contours de la laïcité républicaine s’est accompli à la fois dans le temps et dans les combats portés par le féminisme français. Il met en particulier en jeu deux principes pouvant s’avérer contradictoires : la nécessaire préservation des libertés individuelles publiques par l’État et les modalités de l’intervention éventuelle de ce dernier dans l’injonction au respect – par les individus et les groupes composant la société – de ces dernières ».

« La non-reconnaissance des cultes ne signifie donc pas que l’État les méconnaît et cesse d’entretenir des relations avec les institutions religieuses. L’article 4 de la loi de 1905 prévoit ainsi que l’État prenne en compte l’organisation interne de chacun des cultes représentés sur le territoire (au nombre de six actuellement : les cultes catholique, protestant, orthodoxe, israélite, islamique et bouddhique), en métropole comme en outre-mer. Il s’assure en particulier que leur organisation n’entre pas en contradiction avec les règles républicaines ».

« Il faut rappeler inlassablement la différence entre la laïcité comme principe juridico-politique et la laïcité de type idéologique et sécuritaire. La laïcité n’est pas un mouvement idéologique, mais le principe qui permet la libre expression de toutes les convictions dans le respect de la loi et de l’ordre public. Les discours de type laïco-identitaire, transposant terme à terme la logique du bouc-émissaire, juifs avant-guerre, musulmans, roms, réfugiés aujourd’hui, instrumentalisés et racialisés par le politique sont un véritable dévoiement du principe d’origine libérale qu’est la laïcité ».

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Benjamin

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465 critiques
13/11/23
Jeudi 23 novembre 2023 Conférence Blocages, reculs et perspectives de la laïcité par Pierre Ouzoulias Entrée libre sur réservation, 72 Av. Félix Faure, 75015 Paris https://www.patronagelaique.eu/event-details/blocages-reculs-et-perspectives-de-la-laicite
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08/12/23
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