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Religion, spiritualité, laïcité et soin

Religion, spiritualité, laïcité et soin
Seli Arslan177 pages
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Avis de Benjamin : "La personne, c’est la personne, le problème, c’est le problème, la personne n’est pas le problème (Michael White et David Epston)"

         L’ouvrage est sous-titré Les Infirmières face aux questions humaines essentielles. En matière historique, Jacqueline Lalouette avait retracé la gestation du passage des sœurs hospitalières à aux infirmières laïques dans l’ouvrage L’Hôpital entre religion et laïcité parue en 2006. Dans quelques pages, elle soulevait déjà les problèmes soulevés par les différences culturelles entre patients et soignants. C’est autour de cette époque qu’Isabelle Lévy proposait deux ouvrages, tous deux aux Presses de la Renaissance, le premier intitulé La Religion à l’hôpital et le second Menaces religieuses sur l’hôpital.  En 2019 Daniel Maroudy, Marc Grassin et Thibaut Wanquet,  deux cadres de santé (l’un alors maître de conférences à l’Institut catholique de Paris) et la rédactrice en chef de la revue livraient Objectif soins, proposaient Soins, laïcité, religion et spiritualité chez Lamarre.

Depuis ces dernières années, sont parus de nouveaux textes dont en 2021 celui de référent laïcité dans la fonction publique et la loi confortant le respect des principes de la République. Il était nécessaire de tenir compte de ce nouvel environnement législatif mais aussi d’un paysage hospitalier qui a bien évolué en une quinzaine d’années tout particulièrement au niveau des demandes de certains patients, des conséquences du développement des soins palliatifs et de la diversité culturelle des soignants.  L’ouvrage d’Arkadiusz Kozelak-Maréchal répond donc à un besoin actuel et son contenu est le fruit d’une synthèse de réflexions autour de la place du spirituel dans le soin. Il porte une vision holistique qui le démarque des autres ouvrages que nous avons précédemment cités.

Dans l’introduction, il est rappelé le slogan des infirmières à la fin des années quatre-vingt, à savoir « Ni bonnes, ni nonnes, ni connes ». Si le slogan est au féminin, c’est que la fonction compte 87 % de femmes et si on parle de "nonne" c’est évidemment que jusqu’à la Séparation de l’Église et de l’État les soignantes appartenaient presque exclusivement à des ordres religieux. Le nombre très important d’interruptions d’études d’infirmières est grandement due aux maltraitances sur les lieux de stage, maltraitances contre lesquelles les formateurs brillent souvent par leur absence de réaction. Cependant certains formateurs attribuent à l’absence d’entretien oral d’admission en IFSI cette cause de large déperdition d’étudiants à l’absence  de repérage possible d’une prétendue vocation (héritière des vœux religieux) à devenir infirmier qu’aurait permis l’entretien oral existant auparavant (page 47).   

La première partie de l’ouvrage traite de la religion, l’auteur rappelant certaines définitions données de la religion par des sociologues et anthropologues. Sont abordées les raisons de croire, ainsi pour K.I. Pargament la religion est proche des mécanismes de coping, la dimension du sacré en plus. Il est dommage qu’Arkadiusz Kozelak-Maréchal évacue la définition de ce mot sous prétexte qu’elle est suffisamment connue car répandue dans des écrits en français. Il est vrai que le livre Les Concepts en sciences infirmières comporte une entrée pour ce mot, la première phrase étant : « Le mot coping renvoie à un véritable processus dynamique de la personne, un mode de faire face à une situation stressante, variable selon la situation globale, selon l’état du sujet et selon le stade d’interaction entre le sujet et la situation ». Pour Marilou Bruchon-Schweitzer  « on parle de coping pour désigner les réponses, réactions, que l’individu va élaborer pour maîtriser réduire ou simplement tolérer la situation aversive ». Arkadiusz Kozelak-Maréchal rappelle que l’on a traduit ce mot de "coping" par stratégie d’ajustement.  Ce dernier cite K.I. Pargament qui précise que « la religion, en tant que coping, peut être à la fois aidante, nocive et hors propos » (page 26).

Plus loin, l’auteur de notre livre écrit que pour A. Atran « la religion répondrait au caractère psychologiquement insupportable de la méconnaissance des facteurs causaux des évènements » (page 29). Par ailleurs il rend compte d’une recherche, menée par Beit-Hallahmi et Argyle, non dans les années 2000 (comme la référence du livre le laisse spontanément croire), mais vraisemblablement dans les années 1970 aux USA. Les deux chercheurs  mettent là en évidence des nuances générales de caractère entre non-croyants et croyants (avec certains caractères propres pour la personne relevant du culte catholique). Le premier chapitre se clôt par une des nombreuses très intéressantes synthèses des idées d’un universitaire qu’Arkadiusz Kozelak-Maréchal a délivré dans cette petite vingtaine de pages. Prise dans l’œuvre d’Y. Lambert, une citation permet d’avancer que la religion est « l’existence postulée d’être(s), de force(s) ou d’entité(s) dépassant les limites objectives de la condition humaine ; l’existence de moyens symboliques de communication avec eux (prière, rite, culte, sacrifice) ; l’existence de formes de communalisation » (page 34).

Dans cette première partie "La religion et les concepts associés", le second chapitre s’intitule "La spiritualité, la culture et les relations entre religion et médecine". La spiritualité englobe le religieux et ces caractéristiques se retrouvent dans les objectifs du soin, à savoir guérir, soulager, réconforter (page 39). Pour Schloesser, Brock-Muray et Hamilton « les religions tendent à prescrire un chemin vers l’illumination ou le nirvana, alors que la personne spirituelle suggérerait qu’il y a plusieurs façons d’atteindre le bien-être psychologique et spirituel » (page 36). « Dans le cas de la spiritualité, la recherche du sens est individuelle et les réponses sont créées par l’individu lui-même, alors que, dans la religion, les réponses sont données par la doctrine. Cependant, cette distinction peut être nuancée dans la mesure où, actuellement, le rapport des croyants eux-mêmes avec la religion change, ceux-ci ayant tendance à ne choisir dans la doctrine religieuse que ce qui leur convient. La deuxième caractéristique de la spiritualité, c’est la relationnalité, que G. Jobin définit comme "la capacité d’entrer en relation avec l’autre". L’autre, ce n’est pas seulement une personne, mais également la nature, le cosmos ou Dieu. Il me semble que cette caractéristique s’applique également à la religion. La troisième caractéristique de la spiritualité, c’est son universalité : elle concerne tous les humains, mais chaque personne la construit à sa manière » (pages 39-40). Avec le développement des soins palliatifs, l’accompagnement s’est révélé nécessaire vu l’absence d’objectif curatif. Notons que page 46, Arkadiusz Kozelak-Maréchal évoque l’essayiste franco-suisse Olivier Clerc dans Médecine, religion et peur pour son identification de parallèles entre l’Église et la médecine (voir https://www.francesoir.fr/societe-sante/pour-une-veritable-laicite-medicale-separer-la-medecine-allopathique-de-l-etat).

Le troisième chapitre traite de la laïcité et l’auteur, passant rapidement sur qes prémices, expose les caractéristiques de la loi de Séparation de l’Église et de l’État de 1905. Il signale au passage qu’en Pologne, dans les années qui ont suivi la chute du Mur de Berlin, les évêques ont obtenu la promulgation d’une loi permettant une condamnation pour blasphème (voir à ce propos https://www.challenges.fr/societe/en-pologne-une-star-de-rock-attaque-la-loi-sur-le-blaspheme_758237).  Il faut dire qu’en 1993 la Pologne signa un Concordat qui ne fut d’ailleurs ratifié qu’en 1997 du fait de certaines oppositions.

Notre auteur consacre quelques pages à certaines manipulations du concept de laïcité, celle-ci pouvant devenir un marqueur identitaire dans certaines circonstances. Ironiquement il reprend l’idée développée par P. de Charentenay en 2017 dans le numéro 65 de la revue Laennec, comme quoi le paganisme étant une religion (précisons personnellement que dans la mythologie nordique, c'est le dieu Heimdall qui venait, dans la nuit, visiter chaque foyer humain, et laissait des cadeaux), il n’a pas plus à autoriser les sapins que les crèches.   

La France est aujourd’hui une société bien sécularisée et la grande majorité des infirmières connaissent mal l’univers chrétien, pas du tout le culte musulman mais également les conséquences du caractère laïque de l’hôpital. Or  des demandes, fruits directs de motivations religieuses, apparaissent essentiellement chez les patients mais parfois également dans le personnel. Il s’agit de pouvoir y répondre ou de savoir pourquoi on doit s’y opposer.

Une dizaine de pages est ainsi consacrée à la place de la laïcité à l’hôpital public. Avec l’appui de textes officiels, le patient peut exprimer son libre choix d’un praticien, il y a également nécessité d’obtenir un consentement éclairé sur tous les actes de soin, et enfin un respect des croyances et des cultes. En conséquence l’hôpital devient un lieu où le spirituel prend de plus en plus de place. Toutefois dans cet établissement entrent en jeu deux fortes dimensions spirituelles au niveau des raisons de la souffrance et de la question du devenir après la mort. De plus, dans le domaine de la psychiatrie, un patient peut se référer à des préceptes religieux pour accomplir certaines actions extravagantes voire aberrantes. Ce chapitre se termine en évoquant les aumôneries hospitalières, mais sans préciser par culte les effectifs respectifs des aumôniers et combien sont des aumôniers rémunérés et des aumôniers bénévoles pour chaque religion. Ajoutons personnellement qu’outre-quiévrain, depuis 1999, des  conseillers moraux présentés par le Conseil central des communautés philosophiques non confessionnelles ont été nommés au sein des hôpitaux belges.

La deuxième partie porte sur les rapports entre les infirmières et la religion. Ceci est prétexte à rappeler, pour le quatrième chapitre, que dans le passé, la guérison était souvent perçue comme provenant d’une intervention divine ayant été sollicité par des prières. Est retracée là notamment la place réservée aux femmes soignantes dans l’histoire occidentale et l’évolution des hôpitaux se détachant progressivement de la tutelle des Églises chrétiennes qui les ont créés dès la fin du IVe siècle dans l’Empire byzantin. Le passage à une dimension de recrutement laïque est l’occasion de citer la doctoresse Anna Hamilton et l’infirmière Léonie Chaptal (d’ailleurs de la famille de Jean-Antoine Chaptal, ministre sous le Consulat et démissionnaire  peu avant que Bonaparte ne devienne empereur ; il est le créateur de l’école des sages-femmes de l'Hospice de la maternité de Paris et a laissé son nom au processus de la chaptalisation).

Le cinquième chapitre  s’intéresse à la place de la religion dans la formation et la pratique des infirmières. Mis-à-part des initiatives locales, relevant de l’UE 1.1 intitulée "Psychologie, sociologie, anthropologie" ou des cours sur les soins palliatifs, la dimension religieuse est l’arlésienne dans les IFPS (formant non seulement les infirmiers, les aides-soignants et les ambulanciers mais selon les lieux divers autres métiers dont celui de puéricultrice). Notre auteur relève page 93  que « dans la liste officielle des diagnostics infirmiers, il existe le diagnostic de "détresse spirituelle". Ce diagnostic est défini ainsi par L.J. Carpenito, dans la 5e édition du livre Diagnostics infirmiers (1995) : "Situation d’une personne (ou d’un groupe) dont la foi, dans laquelle elle puise la force de vivre, l’espoir et une raison de vivre est ébranlée" ».

Notons que l’auteur signale l’existence de deux DU actuellement destinés entre autres aux soignants portant  sur les questions religieuses. L’un se nomme "Religions et athéisme en contexte de laïcité" porté par les universités du Mans et de Nantes ainsi que l’Institut du pluralisme religieux et de l’athéisme et et l’autre le DU "Religion, liberté religieuse et laïcité" de deux universités de Lyon.  En fin de compte, les formations universitaires autour de la laïcité et de la connaissance des rapports entre la société et les religions sont très nombreuses aujourd’hui file:///D:/T%C3%A9l%C3%A9chargements/Liste-des-formations-laicite-religion-et-citoyennete-2023.pdf. Nous avons personnellement trouvé dans cette liste un DU "Soin et Spiritualité" mais il a pour objectif principal de permettre d’obtenir un poste d’aumônier à l’hôpital.  De plus lors de notre propre recherche nous avons trouvé un DU "Soin et santé dans une société pluraliste : accompagner, discerner, décider" proposé par les facultés jésuites de Paris.

Le sixième chapitre parle des représentations de la religion, de la spiritualité et de la laïcité d’une petite cinquantaine d’infirmiers en 2019 travaillant dans un hôpital psychiatrique vraisemblablement de Seine-Maritime. Plus loin sont abordées les questions que posent les patients et le personnel hospitalier par rapport à la laïcité puis le rôle des aumôniers. La dernière partie expose en une petite trentaine de pages une réflexion de l’auteur sur les pistes possibles pour une formation aux phénomènes religieux en direction des futures infirmières. Dans sa conclusion, Arkadiusz Kozelak-Maréchal rappelle que, dans ce livre, il a poursuivi l’objectif de « naturaliser la religion dans les soins, au sens de la rendre à nouveau familière et naturelle, en tant qu’un phénomène humain parmi d’autres, afin  de lui redonner une place dans les soins et de s’en servir.Autrement dit, il s’agirait de penser la religion comme un outil thérapeutique » (page 164).

Pour notre auteur la laïcité doit devenir un outil afin de permettre l’expression de toutes les formes de spritualité sans disctinction. Il semble se ranger derrière le prètre jésuite Pierre de Charentenay qui demande une évolution dans le contenu du concept de laïcité . Pour ce dernier une médecine holistique « devrait permettre de réintégrer une dimension humaine, la dimension religieuse, trop souvent abxente en raison d’une privatisation de la religion et d’une volonté de l’écarter de l’espace public » (page 158). Dans sa conclusion, Arkadiusz Kozelak-Maréchal rappelle que, dans ce livre, il a poursuivi l’objectif de « naturaliser la religion dans les soins, au sens de la rendre à nouveau familière et naturelle, en tant qu’un phénomène humain parmi d’autres, afin  de lui redonner une place dans les soins et de s’en servir. Autrement dit, il s’agirait de penser la religion comme un outil thérapeutique » (page 164). Cet objectif bouleverserait évidemment bien des réalités actuelles et ne manqueraient pas d'avoir de multiples conséquences. Contrairement à ce qu'on a pu lire ailleurs le livre ne revient pase sur le conc de laïcité qui serait mal compris, mais reviste celui-ci à l'aune de ses convictions personnelles. .La bibliographie est très copieuse ; elle tourne autour de 150 titres dont environ un cinquième est en anglais.

 

Pour connaisseurs Aucune illustration

Benjamin

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