Avis de Benjamin : "La laïcité: un pari sur la liberté intérieure !"
Shérif Toubal, d’origine algérienne, est un ancien travailleur social, docteur en Psychanalyse, en 2014 il a soutenu une thèse intitulée "L'Héritage d'exil : Lecture psychanalytique des figurations identitaires et subjectives, en situation d'exil à partir de références islamiques". D’autre part il est formateur à l’IFME Nîmes, et assure (comme Jacques Limouzin dont nous avons présenté un titre) la responsabilité du DU Laïcité et médiation proposé dans la préfecture du Gard. Dans ce tItre il fera souvent référence à Freud et à Lacan.
Jean-Bernard Paturet est maître de conférences en sciences de l'éducation à l'université de Montpellier Ill, directeur de recherche au DEA de philosophie, option “études psychanalytiques”. Le contenu de cet ouvrage s’apparente à des dialogues complémentaires largement nourris entre ses deux auteurs. Nicolas Cadène (cofondateur de la Vigie de la laïcité), natif de Nîmes, assure la préface de cet ouvrage.
L’introduction commence par citer Spinoza qui, autour de 1665, écrit à Amsterdam en latin (dans le Traité Théologico-politique publié en 1670 volontairement sans nom d’auteur) : « Nous voyons très clairement : combien il est pernicieux, tant pour la Religion que pour l’État, d’accorder aux ministres du culte le droit de décréter quoi que ce soit ou de traiter les affaires de l’État ».Plus loin Jean-Bernard Paturet avance que les trois principes de la laïcité sont: « la liberté de conscience, irréductible de la liberté religieuse, l’égalité des droits de tous les citoyens quelques soient leurs convictions et leur credo, le primat de l’intérêt général, du bien commun à tous, comme seule raison d’être de l’État » (page 15).
Page 16 ce même auteur cite un extrait de la Déclaration des évêques français du 10 mars 1925 qui condamnent fermement les lois de laïcité ; quelques pages auparavant il a avancé qu’actuellement l’idée de laïcité n’est pas assimilable par ceux des musulmans qui pensent que le Coran répond à toutes les questions de leur vie. Toujours dans l’introduction, cette fois c’est Shérif Toubal qui écrit que « (la) dislocation du lien social conduit à une multitude de formes de ségrégations qui peuvent apparaître troublantes » (page 19).
Les monothéismes sont par essence intolérants, chacun d’entre eux rejetant les autres foies (y compris celle d’un autre monothéisme), des interprétations différentes de la doxa (taxées d’hérésie), les professions d’agnosticisme ou d’athéisme. Bref il y a les fidèles d’un côté et les mécréants de l’autre dans cette vision de la société. La laïcité remet en cause cet absolutisme et demande de mettre de côté au moins une partie des grands récits portés par ces monothéismes. Toutefois « la laïcité ne se préoccupe pas de croyance mais de l’espace collectif avec pour seule finalité de permettre à chacun de pouvoir s’exprimer dans le respect des autres » (page 34).
Un parallèle est fait entre laïcité et psychanalyse : « ainsi le principe fondamental de la laïcité consiste à dire que chacun est libre de croire ou ne pas croire et de l’exprimer. Autrement dit la laïcité assure à chacun un espace de parole, crée et installe des lieux où la liberté trouve à se loger dans les limites communes. L’approche psychanalytique sur son autre versant, ouvre des voies intérieures pour accéder à une autre liberté, à un espace intérieur le moins encombré possible par le désir et le discours d’un Autre » (page 38).
La globalisation débouche sur une certaine tendance à l’uniformisation culturelle et crée des incertitudes sur son propre avenir économique dans un univers d’inquiétude sur le devenir de la planète. Se recroqueviller sur ses particularismes (d’ailleurs parfois puisés dans un imaginaire historique) rassure. Pour les enfants d’immigrés il y a une double référence : celle de la culture française et celle d’un univers symbolique parental d’ailleurs parfois fantasmé). Pour Shérif Toubal le désir de réancrage culturel se fait souvent sur un mode de radicalité. Il avance que « l’approche psychanalytique montre bien comment toute lecture orthodoxe de la religion cherche à refermer la coupure de la castration en s’appuyant d’un discours sur le sens et des retrouvailles avec l’origine » (page 40). Il souhaite que les personnes ne confondent pas leur identité avec leur foi religieuse.
Le deuxième chapitre est consacré à analyser le phénomène de la croyance. On en retiendra : « L’histoire enseigne de fait que chaque fois que l’on propose aux humains une parole fondatrice susceptible de les libérer du poids de leur liberté, de leur sexualité, de leurs pensées et de la réponse à la question du sens, ils sont presque toujours prêts à céder à la fascination comme aux sirènes de la Cause du « je sais pour vous » pour peu que l’on fasse miroiter à leurs yeux devenus de glace et à leurs cœurs changés en pierre, le velours de leur "élection" sur fond de sacrifice de l’autre. Le croyant comme le militant (nazi, communiste, religieux) devient alors l’agent acharné de la volonté de "dieux obscurs" comme dit Lacan. La croyance religieuse comme "Credo" se caractérise de ce que le sujet fait crédit total à l’autre du signifiant de la Cause, même si le signifiant est irrationnel : "Credo quia absurdum" écrit Tertullien, "je crois même si c’est absurde" (pages 53- 54). Certains adeptes vont se poser de plus en plus de contraintes, nourrissant sans fin leur culpabilité de ne pas être aussi parfait qu’il leur faudrait pour atteindre l’amour de leur Dieu (pages 63- 64). Pour cette catégorie de fidèle, la laïcité est un défi à sa propre vérité et elle le met au bord d’un précipice d’incertitudes alors qu’il est dans un système de pensée où le doute n’a pas sa place.
Shérif Toubal précise la fonction des écrits (au départ oraux et parfois ne recevant une forme écrite bien plus tardivement comme avec le zoroastrisme) qui fondent toutes les religions monothéistes et d’autres (tel notamment l’hindouisme). Il dit que dans ceux-ci « chaque sujet pouvait transférer ses affects, ses angoisses mais aussi ses espérances, ses croyances et une confiance. Ces métarécits portaient en eux une dimension transférentielle qui ordonnait l’ensemble de la vie sociale avec la présence d’un dieu supérieur. Un dieu omnipotent agissant en surmoi extérieur » (page 80). Avec la laïcité, il est permis « à chacun d’aller chercher par lui-même et pour lui-même, ses propres références. Gagnant plus de libertés, les sujets sont également renvoyés à plus d’angoisse et plus de solitudes » (page 80).
On voit à travers notre présentation d’une seule moitié de l’ouvrage, la richesse et l’originalité des idées portées par ce livre. Les chapitres suivants sont intitulés respectivement: Langage, discours du maître et laïcité, Désir et jouissance, Loi symbolique et castration, Devenir responsable. Il est question là de culpabilité, désir et jouissance, perversion, répétition, frustration, responsabilité. Il est rappelé l’Affaire du Noël 2015 à Cologne, où une cinquantaine de jeunes musulmans essentiellement marocains et algériens (souvent étonnamment éméchés d’ailleurs) agressent sexuellement des femmes européennes en raison de leur tenue. Derrière ce comportement l’idée serait de renvoyer toutes les femmes, hors de la sphère publique, dans leur foyer.
À une occasion il est question là de la madeleine de Proust et du goût de la bière qu’a exprimé Philippe Delerm. Des contenus de cette dernière moitié du livre, on pourra relever :
« L’espace de la laïcité est donc un lieu où se pratique l’épochè c’est-à-dire la suspension provisoire de ses propres certitudes et de ses croyances personnelles, in moment où l’on sursoit » (page 111).
« Nous vivons sans doute dans un monde commun mais pas dans les mêmes sphères. La mondialisation et ses modes de communication, a rendu visible les différences naturelles et cultuelles » (page 153).
« L’espace laïque se tient donc en dehors des options religieuses ou spirituelles particulières et cela a pour conséquence de faire échapper le principe d’organisation sociale et politique au champ des valeurs religieuses pour se centrer sur le bien commun de la politique de la cité. L’État n’a pas charge d’âme écrira Locke » (page 166).
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