Avis de Benjamin : "La laïcité objet en équilibre instable"
Gwénaële Calvès est membre depuis 2023 du du Conseil des Sages de la Laïcité. L’ouvrage se décompose en une introduction, une conclusion et cinq chapitres. Ces derniers sont respectivement intitulés: La laïcité de la République: un kaléidoscope, La liberté, La Séparation des Églises et de l’État, L’égalité, La neutralité. Il y a en prime un index renvoyant à une bonne vingtaine de mots dont l’abattage rituel, burkini, libres penseurs, loi 2004, loi 2021, loi 1959, association diocésaine, prosélytisme, respect des croyances, sectes, sikh, vivre ensemble et voile islamique.
Dès la page 4, notre auteure précise qu’autour des principes de laïcité « gravitent des règles qui s’agrègent entre elles de manière cohérente mais instable, comme un kaléidoscope où les mêmes éléments se réagencent sans cesse pour produire des configurations différentes ».
Gwenaëlle Calvès avance que « dans le camp républicain arrivé au pouvoir en 1879 (…) plusieurs courants coexistaient: le courant gallican qui opposait les droits de l’État à celui de ce corps particulier qu’est l’Église dans la tradition juridique des Lumières; le courant spiritualiste et déiste, professant une forme ou une autre de religion naturelle "sans dogme et sans clergé"; le courant agnostique, acquis à un idéal positiviste, scientiste et naturaliste; le courant agnostique, acquis à un idéal positiviste, scientiste et naturaliste ; le courant de l’athéisme militant, qui misait sur la laïcité pour en finir une fois pour toutes, avec la religion » (page 7).
Notre auteure précise bien dans quelle mesure la laïcité est admise par le clergé français au sortir de la Seconde Guerre mondiale. « Le 13 novembre 1945 l’Assemblée des cardinaux et archevêques de l’hexagone répudie le cléricalisme défini comme l’immixtion du clergé dans le domaine politique de l’État, et admet la laïcité de la République, entendue comme souveraine autonomie de l’État dans son domaine temporel. Ce domaine est toutefois restreint à tout ce qui relève de la technique politique et économique. Pour le reste, le texte rappelle que la volonté de l’État de ne se soumettre à aucune morale supérieure doit rester une aberration dangereuse et fausse. La loi ne peut être définie comme l’expression de la volonté générale puisque seule mérite le le nom de loi celle qui ne contient rien de contraire à la loi naturelle, c’est-à-dire la volonté de Dieu, auteur de la nature» (page 9).
Cette universitaire ajoute que la laïcité est intrinséquement lié à la ciyoteneté et a pour assise la liberté de conscience. Elle relève que jusqu’en 1965, le Vatican dénonce la liberté de conscience. Pour certains catholiques « la neutralité confessionnelle est en outre ramenée à un principe de non-ingérence de l’État dans l’action des Églises, alors qu’elle repose sur l’affirmation de la supériorité de droit de l’État sur leur droit interne, et n’interdit donc pas aux pouvoirs publics toute intrusion dans le champ religieux » (page 95).
Gwenaëlle Calvès pense que 1989 est une année charnière car y sont rattachées l’affaire des foulards de Creil, la fatwa iranienne contre Salman Rushdie et la création en Algérie du Front islamique du salut. Depuis la loi de 1995, l’État n’a plus le moyen de peser sur l’organisation des cultes et donc ne peut imposer la création d’une association qui, au nom de l’islam, pourrait dialoguer avec lui.
« La Ligue de l’enseignement adopte en juillet 1989 une définition de la laïcité qui fait de celle-ci une éthique de la diversité, du débat et de la responsabilité individuelle (qui) doit être vécue dans ses dimensions sociales, économiques, civiques, culturelles et éducatives. À l’école et bien au-delà d’elle, la nouvelle laïcité se veut ouverte et plurielle, pour permettre, comme on disait à l’époque, de vivre ensemble avec ses différences. Elle impose avant tout le respect mutuel, la civilité, le dialogue. Contrairement à la laïcité républicaine, qui est un discours de (et sur) l’État et la citoyenneté, la nouvelle laïcité se rapporte à la société civile, qu’elle entend réguler de manière souple et non coercitive, par le biais d’une éthique de la confrontation des points de vue » (page 13).
Les trois premiers articles de la loi de 1905 posent sans les hiérarchiser les principes de liberté de conscience, de liberté de culte et de séparation des Églises et de l’État. Ils peuvent entrer en conflit d’application, ce qui donne une marge d’arbitrage à l’administration et aux tribunaux.
Cet ouvrage distille de nombreuses informations souvent inconnues d’un potentiel lecteur. On a eu en fait trois moments de séparation de l’Église et de l’État en France: le premier court de 1795 à 1801, le second est limité dans le temps et l’espace puisqu’il est porté par la Commune de Paris et le troisième apparaît en 1905.
Dès la la loi Goblet du 30 octobre 1886, les inspecteurs de l’instruction publique ont l’initiative de vérifier que les établissements d’enseignement privé ne dispensent aucun enseignement contraire à la morale, à la Constitution et aux lois. Cette même loi interdit l’accès des prêtres à l’école. Dans les écoles communales jusqu’en 1945, selon l’auteure, le programme d’instruction morale et civique comporte une partie consacrée aux devoirs envers Dieu. Le propos est à nuancer puisque en mars 1941, sous le régime de Vichy, Jérome Carcopino remplace les devoirs envers Dieu par "es valeurs spirituelles, la Patrie, la civilisation chrétienne ; ce contenu disparaît sous la IVe République.
Gwenaëlle Calvès rappelle que les lois de 1881 et 1887 traitent de la déconfessionnalisation des funérailles puis des hôpitaux. La loi du 24 août 2021 a sanctionné le prosélytisme en prolongeant la loi de 1905 qui prohibait la contrainte à exercer ou s’abstenir de professer un culte. La loi du 7 octobre 2010 interdisait la dissimulation du visage dans l’esprit public alors que la loi du 12 juin 2001 réprime les dérives sectaires.
Le conseil constitutionnel accepte les spécificités locales au régime de la Séparation mais précise que le législateur peut y mettre fin et qu’il est interdit d’augmenter les particularismes. Ainsi l’islam ne peut devenir un culte reconnu en Alsace-Moselle.
Sept confessions bénéficient d’une reconnaissance en prison et quatre à l’armée. Dans les hôpitaux et dans l’enseignement, on s’autorise à examiner toute demande provenant d’une religion quelconque. Les collectivités publiques ont la possibilité de financer en partie l’aménagement de lieux religieux s’il y a un but d’intérêt public local. Certaines mosquées ont pu bénéficier de certaines largesses financières en utilisant ce type d’argument. La commune de Trélazé dans le Maine-et-Loire a pu justifier l’achat d’une orgue dans un objectif culturel et la ville de Lyon a plaidé l’intérêt de favoriser le tourisme en facilitant l’acquisition d’un ascenseur pour Notre-Dame de Fourvière.
Gwenaëlle Calvès avance que l’apparition de deux jours fériés supplémentaires en 1886, à savoir le lundi de Pâques et le lundi de Pentecôte, est due à une volonté de banquiers qui entendent aligner la fermeture de la Bourse de Paris sur les autres bourses européennes.
Si une entreprise commerciale a été désavouée pour avoir demandé à un employé nommé Mohamed de se faire appeler Claude par contre la loi Travail du 8 août 2016 autorise l’employeur à inscrire le principe de neutralité dans leur règlement intérieur. « Cinq conditions doivent toutefois être respectées pour que la règle de neutralité ne soit pas considérée comme indiretement discriminatoire: elle doit être inscrite dans le règlement intérieur de l’entreprise (exigence ajoutée par la Cour de cassation au cadre général fixé par le juge européen), elle doit viser de manière générale et indifférenciée tous les signes visibles de convictions politiques, philosophiques et religieuses, elle doit être justifiée par la volonté de l’employeur de poursuivre une politique de neutralité à l’égard de ses clients en prenant en considération leurs attentes légitimes, elle doit être proportionnée à ce but légitime, notamment en ne s’imposant qu’aux salariés en contact avec la clientèle ; elle doit s’accompagner – lorsque c’est possible – du reclassement d’un poste sans contact avec la clientèle du salarié qui refuserait de se soumettre à la règle » (page 110).
L'ouvrage se clôt quasiment ainsi: « Le débat sur les signes religieux dans l’entreprise a eu pour effet de brouiller, davantage encore, les frontières de la laïcité. En transposant à des collectifs de travail religieusement diversifiés le « vivre-ensemble » dont la laïcité, dans l’ordre politique, a fini par devenir le symbole, il marque le terme d’une évolution qui aurait saisi d’étonnement le législateur de la IIIe République. On peut s’en indigner. Mais l’argument de la fidélité à l’œuvre des « pères fondateurs », dans la discussion sur la situation présente et à venir de la laïcité, est un argument faible. Autour de la laïcité, ce n’est pas un mausolée qu’ils ont construit. Ils l’ont conçue, au contraire, comme un idéal vivant, incarné dans un kaléidoscope normatif ouvert — jusqu’à un certain point — au jeu des recompositions et des réinterprétations » (page 113).
Pour connaisseurs Aucune illustration