Avis de Adam Craponne : "Près d’un siècle de laïcité turque"
L’ouvrage est sous-titré Pilier de l’identité républicaine. Il y a deux pays où la question de laïcité fait débat, c’est la France depuis quasiment les débuts de la Révolution française et la Turquie depuis l’instauration de la République en 1923. Notons que les deux pays ont été largement sujets à des attentats revendiqués par des islamistes.
Avec les récents évènements en Turquie qui ont suivi la tentative de coup d’état du 15 juillet 2016, des partisans de la laïcité sont révoqués de leur emploi de fonctionnaires et d’autres sont emprisonnés. En Turquie l’armée est le traditionnel défenseur de la laïcité. Yusf Siyret Aktan essaie de définir les dimensions que prend la laïcité dans le monde occidental et l’univers musulman depuis l’époque médiéval. Il est d’ailleurs intéressant de relever que lorsque Saint Thomas d’Aquin avançaient « les lois humaines (lex humana) doivent s’accorder avec la lex divina, qui ne peut jamais contredire la raison » dans le même temps « Averroès proposait aussi une interprétation du Coran selon laquelle les enseignements de ce dernier ne peuvent contredire la raison qui est la référence unique de confirmation » (pages 34-35). Pour l’auteur avec la laïcité se décline la démocratie.
Dans l’Empire ottoman, les sujets étaient régis selon la communauté religieuse à laquelle ils appartenaient ; nombreux étaient la proportion de chrétiens (de diverses églises, appelés "millets") et ceux-ci avaient le statut de dhimmis. Yusuf Siyret Aktan dresse le tableau des réformes dues à Atatürk. Selon l’auteur la grande influence de l’école hanéfite chez les Turcs, le courant le plus libéral du sunnisme, a facilité l’adoption de la laïcité.
En Turquie la direction des affaires religieuses nomme les responsables des mosquées et il y a 200 000 personnes qui dépendent de ce ministère. La laïcité à la turque se décline de façon pour le moins originale comme nous le montre l’auteur. Ainsi les Turcs ont sur leur carte d’identité la mention de chrétien, juif ou musulman et dans cette dernière catégorie on ne peut voir préciser de quelle branche on se réclame (le cas des alévis est intéressante par cela). Dès 1982 les cours d’instruction religieuse sont rétablis dans l’enseignement primaire et secondaire, avec une possibilité toutefois (bien théorique) de demander que son enfant ne les suive pas. En Turquie la laïcité n’a jamais assuré le pluralisme mais a permis une certaine modernisation du pays.
De la conclusion on relève « En Turquie, la religion politique a choisi d’instrumentaliser l’islam et de construire une nation sur le socle de l’empire pour éradiquer les pluralités religieuses au sein de la société. (…) Avec la montée de l’islam politique, la laïcité a tout de suite été perçue comme une entrave à la liberté » (page 401). Par ailleurs l’auteur semble s’inquiéter d’une redéfinition de la laïcité en cours en Turquie, redéfinition qui ne peut avec Erdoğan que déboucher sur une large tolérance envers les interdits religieux d’un univers musulman s’appuyant sur une lecture particulière du Coran et de la Sunna.
Pour connaisseurs