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Les laïcités dans le monde. Que sais-je n°3794

Les laïcités dans le monde. Que sais-je n°3794
PUF127 pages
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Avis de Benjamin : "Tout sauf une exception française"

                  On est là face à la cinquième édition, la première datant de 2007 ; son auteur est  Jean Baubérot, un sociologue cofondateur de la Vigie de la laïcité en 2021 et depuis de nombreuses années membre de l’Union rationaliste. Globalement on perçoit que la laïcisation est un processus toujours en devenir, avec parfois des allers-retours. On en a un bon exemple page 97 : « Le Bangladesh d’abord secular (1972) a ensuite fait de l’islam "la religion de l’État" (1988), puis s’est réaffirmé secular (2010), avec un droit familial imprégné de religion ». On se trouve paradoxalement avec le maintien du statut de religion d’État pour l’Islam et une législation inspirée par les principes de  la laïcité. Aurait été intéressant de mentionner en complément qu’en 1993 la Pologne signa un Concordat qui ne fut d’ailleurs ratifié qu’en 1997 du fait de certaines oppositions. La seconde grande idée est que, si la laïcité permet à la société de vivre en harmonie avec  des principes démocratiques, la tension entre principe de citoyenneté et principe de pluralisme s’avère une tension permanente.

           On démarre par une introduction dans laquelle  on peut lire que dans le journal Le Monde du 10 décembre 2005 paraît Une Déclaration universelle sur la laïcité au XXie siècle, signée par 250 intellectuels de 30 pays (le texte est consultable ici https://www.lemonde.fr/idees/article/2005/12/09/declaration-universelle-sur-la-laicite-au-xxie-siecle_719649_3232.html). On peut lire que « La Déclaration citée définit la laïcité par trois principes : respect de la liberté de conscience et de sa pratique individuelle et collective ; autonomie du politique et de la société civile à l’égard des normes religieuses et philosophiques particulières ; non-discrimination directe ou indirecte envers les êtres humains ».  On apprend, dans un autre document,  que les rédacteurs en sont le Mexicain Roberto Blancarte, la Canadienne Micheline Milot et Jean Baubérot.

         On va parcourir le temps et les espaces tout le long de ce titre.  L’ouvrage présente une première partie d’une dizaine de pages, elle est intitulée "Protohistoire de la laïcité". On y voit notamment qu’au XVIIe siècle des formes d’acceptation du pluralisme religieux s’instaurent en Allemagne et aux Pays-Bas alors que dans le même temps Louis XIV clôt la politique de tolérance instaurée dans le royaume de France par Henri IV, grand-père de Louis XIV. En Amérique du nord, certains colons contestent le lien entre politique et religion. « Le pasteur baptiste Roger Williams (1603-1683) crée le Rhode Island, première ébauche d’un état laïque, où s’est réalisée de façon stable la séparation des Églises et de l’État, sans financement public du clergé. (…) Pour Williams, l’État est civil par essence et l’Église est une association de fidèles, de la même nature qu’un collège de médecins ou qu’une corporation » (page 16).

         Le second chapitre a pour nom "Fondements philosophiques de la laïcité", on y évoque Locke qui insiste sur la dissolution nécessaire entre l’appartenance religieuse et l’appartenance civile et citoyenne (pages 21-22). Il est également question des idées de tolérance religieuse et d’anticléricalisme de Voltaire, de la religion civile prônée par Rousseau ainsi que de la naissance de la franc-maçonnerie porteuse d’utopies, rêves de fraternité et de conceptions laïques. Page 29 André-François Le Breton (et non Lebreton comme il est écrit), éditeur de L’Encyclopédie, se voit qualifier de "vénérable" alors qu’ont montré, Pierre Chevallier dès 1964 et Daniel Ligou en 1987  que c’était un homonyme à lui qui avait été honoré d’un tel titre dans la franc-maçonnerie.  

         La troisième partie a pour nom "Despotisme éclairée, révolutions, laïcité".  Dans la seconde page, on lit que « Le despotisme éclairé représente une voie autoritaire de laïcisation : les princes qui s’y rattachent veulent que la religion soit un organisme qu’ils régissent et non une puissance à part ; ils se montrent tolérants à l’égard de la pluralité confessionnelle ». On évoque là Catherine II qui publie un oukase prônant la tolérance de toutes les religions et l’interdiction pour le clergé orthodoxe de d’ingérer dans les affaires des autres religions. Joseph II en Autriche subordonne l’Église catholique à l’État et institue le pluralisme religieux par l’Édit de tolérance de 1781.      

         Quoique datant de la fin du XVIIe siècle, la Révolution anglaise trouve sa place ici car se dessine une monarchie constitutionnelle où tout adepte d’une confession protestante pourra recevoir (comme un anglican) des charges publiques. Par ailleurs le pays impose là sa religion au roi (l’anglicanisme) alors que l’usage voulait jusqu’alors le contraire. Les seuils de laïcisation sont présentés tant pour la jeune République américaine que l’éphémère République française. Ainsi dans divers contrées, « la religion n’est plus porteuse d’un sens qui concerne tous les aspects de la vie publique. Elle est devenue une activité sociale particulière, gérée par une institution dont l’espace social peut varier » (page 43).

Le quatrième, cinquième et sixième volets s’intitulent "Laïcité et modernité triomphante", "Société sécularisée et laïcité" et  "Géopolitique de la laïcité ". Ils présentent des exemples de laïcité puisés aux quatre coins du monde : Europe, États-Unis, Canada, Amérique latine, Asie et monde arabo-musulman. Traiter ce sujet en une trentaine de pages (de plus de taille réduite) amène à un survol qui donne envie d’en savoir plus en se reportant à la bibliographie très dense mais où le nombre de titres en anglais est aussi important que ceux en français. On regrette que ne soit pas présentée page 72, pour la situation de l’Uruguay, le fait de la sécularisation des fêtes religieuses. En effet  la Semaine sainte est nommée, dans cet état, Semaine du tourisme depuis le 23 octobre 1919. Toutefois le jeudi 14 mai 1987, les parlementaires décident   qu’il y aura maintien de l’immense croix avec statue de Jean-Paul II, au milieu d’un grand carrefour de la capitale, ceci  en tant que mémorial permanent de la visite du premier pape en Uruguay. On eut également aimé voir mentionné qu’en 1993 la Pologne signa un Concordat qui ne fut d’ailleurs ratifié qu’en 1997 du fait de certaines oppositions.

On peut lire notamment dans le cinquième chapitre ceci :

« Le XIXe siècle est celui où se construisent les fondements philosophiques de l’athéisme : Feuerbach, Comte, Marx, Engels, Nietzsche, mais aussi Haeckel et le « darwinisme social » racialiste. Ce n’est pas un hasard si, désormais, la liberté de conscience doit englober l’athée pour être vraiment complète et égale pour tous. L’athéisme est devenu culturellement et politiquement légitime dans les sociétés modernes. Au XIXe siècle, les sciences se développent. La tentative de créer une science qui aurait la capacité d’expliquer l’ensemble de l’évolution des sociétés humaines prend des orientations très différentes. Le positivisme de Comte débouche sur une religion de l’Humanité qui est loin d’être partagée par tous ses disciples ; le matérialisme de Marx s’oppose au socialisme religieux de Weitling, propose une vision de l’histoire à partir de fondements socio-économiques et une praxis pour la transformer. Certains, comme Pasteur, tentent de concilier leur foi dans la science et le "sentiment religieux". Cependant, la religion paraît souvent liée à des traditions qui doivent s’effacer devant le progrès que permet l’avancée des sciences et des techniques. Les sociétés modernes sont sécularisées, cela ne signifie pas qu’elles soient toutes complètement laïques » (page 62).

Le sixième chapitre s’ouvre ainsi :

« La géopolitique de la laïcité concerne les « structures idéologiques » qui régissent la vie de chaque société : les croyances, les rites, le "fonctionnement spécialisé " du religieux dans leur rapport au politique. Quand l’espace sociopolitique se trouve soumis à "l’hégémonie d’une conception du monde qui tend à imposer partout ses normes ", la laïcisation désigne alors les processus par lesquels des sociétés s’arrachent à l’hégémonie religieuse au profit d’une "nouvelle hégémonie " laïque qui permet la "diversité", par la construction d’un "État de droit " respectant les libertés et l’égalité devant la loi. Mais "la trajectoire peut s’inverser" ou dériver (au sens de la dérive des continents) comme le montrent "fascisme, communisme " (religions séculières) ou " retour" d’un religieux à prétention politique. L’étude géopolitique " des flux et des reflux " de la laïcité doit tenir compte de la distinction et des interactions entre la laïcisation et la sécularisation, pour ne pas confondre les transformations des communautés civiques et politiques avec les effets des dynamiques sociales tout en décryptant leurs liens. Cette distinction est d’autant plus fondamentale aujourd’hui que beaucoup de sociétés étant devenues pluriculturelles, il faut trouver une application des principes de la laïcité (neutralité, séparation, liberté de conscience, non – discrimination) qui respecte des rapports différenciés à la sécularisation.

Les mutations géopolitiques actuelles de la laïcité – son reflux apparent ou réel en certains endroits – sont enracinées dans des failles du processus historique de laïcisation » » (pages 80-81). L’auteur poursuit en avançant que quatre éléments pèsent sur l’évolution de la conception de la laïcité. Ce sont les poids des conséquences de la décolonisation, du communisme, du développement de l’État-nation et de la solidarité sociale (certains cultes venant répondre au désengagement des gouvernements en matière d’aides financières en direction des moins aisés).

Le dernier chapitre propose de se pencher sur les questions de bioéthique qui voient de nombreuses réactions de la part des mouvements religieux. On peut lire ceci : « Le premier correspond à un moment historique où la confiance dans la conjonction des progrès est raisonnable : le bien-être s’accentue. (…) Lors du deuxième seuil, cette modernité s’est établie, et ses contradictions deviennent perceptibles. (…) On est parvenu alors à un troisième seuil de laïcisation, période où la science questionne ses propres applications techniques » (page 109).

Quelques pages plus loin, l’auteur montre que, dans le cadre d’une société laïcisée,  on est passé pour un individu d’une religion productrice de normes qui lui sont imposées à une religion modulable en termes de croyances maintenant devenue pôle de ressources pour construire sa propre identité. Le problème aujourd’hui est que dans un même pats se côtoient des populations influencées par les idées de sécularisation (le religieux n’a pas à dicter les normes en matière de normes sociales) et des populations pour lesquelles une religion précise est un système englobant de sens. Face à une laïcité elle-même porteuse de normes, se trouvent des sentiments de discrimination et des revendications relevant du multiculturalisme.

 

  

        

 

Pour connaisseurs Aucune illustration

Benjamin

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