Avis de Alexandre : "Oh ! combien de soldats, combien de capitaines qui sont partis joyeux pour ces terres lointaines. Vos veuves aux fronts blancs parlent encore de vous …"
C’est au poème Oceano nox de Victor Hugo que nous empruntons, en modifiant quelque peu quelques-uns de ses vers, notre titre. La Grande Guerre se termine en France tout de même en laissant un million de veuves et six cent mille orphelins de père.
Cet ouvrage Familles à l’épreuve de la guerre est le catalogue de l’exposition éponyme qui se tient au Musée de la Grande Guerre du Pays de Meaux du 2 juin au 2 décembre 1918. Voici un ouvrage où l’iconographie occupe plus de la moitié de la surface et on ne peut que s’en réjouir d’autant que la couleur, en particulier pour les affiches et les publicités a été conservée. Les fans de Benjamin Rabier apprécieront d’ailleurs de voir reproduite page 56 la publicité dessinée par ce dernier montrant un poilu revenant dans sa ferme en pleine forme, de retour de Salonique, grâce à la quinine.
En face page 57 on trouve un tableau de Victor Marec montrant les enfants d’un poilu rentré vivant du conflit, les deux garçons jouent à la guerre, ceci m’a rappelé a contrario qu’André Bergeron disait que le directeur de son école primaire à Belfort, lui aussi ancien poilu, interdisait absolument aux élèves ce genre d’activité dans la cour de récréation. À ce propos on a, page 166, la photo commerciale d’une veuve de guerre au pied du lion de Belfort sur la place Denfert-Rochereau à Paris.
Il n’est pas certain que les veuves de guerre aient bien goûté, et encore moins les jeunes filles fiancées, le dessin humoristique de Fabiano du 24 août 1916 pour La Baïonnette où une féministe déclare qu’elle n’épousera jamais un homme qui reviendrait vivant de la guerre (reproduction page 535). Les documents les plus émouvants sont certainement ceux qui touchent le décès de Roger Prost dans l’Oise, fils d’un instituteur en poste dans un village près de Pontarlier. Nous faire connaître par contre la profession de Roger Prost n’était pas un luxe. En effet durant plusieurs mois la famille vit dans le doute de la mort de ce dernier car le corps n’a pas été retrouvé. Notons que des femmes purent, en apportant la preuve du sentiment du poilu mort pour la France à leur égard, se marier et ainsi être reconnues comme veuve de guerre (ceci n'est pas développé dans ce livre). Par ailleurs n’aurait pas été un luxe non plus de nous indiquer que l’instituteur Emmanuel Chabalet, dont est reproduite la plaque funéraire émaillée, était originaire de la Drôme.
Au cours du récit, on apprend un certain nombre de faits intéressants, comme la création le 9 mai 1920 de la première fête des mères mais réservée à celles qui ont donné une famille nombreuse (page 152 est reproduite une vignette en rapport). On voit que le prénom Albert 17e en ordre de fréquence en 1913, passe au 10e rang en 1915 en France, voilà un hommage certain au roi des Belges (page 109). On a la photographie d’un authentique costume fourni au soldat démobilisé en 1919 ou 1920, toutefois fabriqué avec du tissu de médiocre qualité il est majoritairement refusé par les poilus qui préfèrent prendre un bon en argent pour un tailleur privé (page 128), il porte le nom d'Abrami par référence à Léon Abrami député du Pas-de-Calais et sous-secrétaire d’état à la Guerre chargé des effectifs et des pensions, par ailleurs gendre de Théodore Reinach historien et archéologue mai aussi député de la Savoie.
Le chapitre sur l’enfant dans la guerre montre très bien l’instrumentalisation qui est faite de ce dernier en matière de propagande dans l’iconographie de l’époque, avec entre autre des enfants jouant à la guerre dans un prétendu village reconquis (page 104). La mise en scène est certaine. Est à relever, dans le chapitre "L’absence", le fait que l’armée fait venir des prostituées dans la zone des armées et interdit formellement aux épouses de se rendre là afin de rencontrer leur mari au repos dans une caserne. La question du retour du poilu dans sa famille, après le conflit, est abordée sous différents angles. La question de la non-fidélité des femmes aurait pu faire l’objet d’un argumentaire et on peut s’appuyer pour cela en particulier sur un certain nombre de drames passionnels dont on a gardé la trace dans la presse des années 1917 et 1918 car il semblerait que la censure ne laisse pas filtrer ce genre d’informations pour les premières années de guerre. Ce sujet est traité dans le roman Les Gardiennes d’Ernest Pérochon. L'Historial de Péronne, dans le cadre de son exposition Amours en guerre de mai à décembre 2018, aborde sûrement cette question.
Ajoutons que ce serait intéressant de connaître le taux de divorces dans la dizaine de départements totalement ou partiellement occupés pour le comparer au reste de la France. On verra dans La maîtresse d'école que la mère de Massin épouse un ancien mari d'une femme qui a couché avec un Allemand. Elle connaît ce second mari du fait de la guerre car il est en convalescence dans son département d'Eure-et-Loir. Après-guerre d'autres mariages entre personnes d'une région différente eurent lieu, non seulement parce que certains poilus épousèrent leur marraine mais parce que le déficit en hommes poussa à chercher un mari assez loin, ainsi ma grand-mère au nord de la Drôme en 1914 se vit proposer par sa famille d'épouser un habitant du centre des Bouches-du-Rhône au milieu des années 1920.
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