Avis de Octave : "Ça voit la Savoie avec une forte présence militaire en 1914 du fait de l’adhésion de l’Italie à la Triple Alliance"
Mino Faïta nous avait déjà livré deux ouvrages remarquables pour connaître comment certains Savoyards civils ou militaires avaient vécu la Grande Guerre, dont un déjà avec Jean-François Véronne. On y trouvait non seulement des exemples significatifs mais des informations d’ordre général comme le fait que dans les 425 000 civils à travailler dans les usines d’armement en 1917 dans l’hexagone on comptait 133 000 ouvriers de moins de 18 ans.
Par ailleurs les lecteurs habitants le Territoire de Belfort voyaient dans un cas notre auteur s’intéresser aux soldats fusillés pour l’exemple du 14e corps d’armée, qui appartient à la première armée ; cette dernière étant commandée à un moment de la guerre par le général Dubail (né à Belfort). Pour le second titre ils découvraient avec plaisir cette phrase :
« l’affaire la plus intéressante est une usine suisse de roulement à billes appartenant à la société Schmidt-Roost-Oerlinkon. Chassée de Delle, dans le Territoire de Belfort, en pleine zone d’hostilités, elle est transférée en 1916 à Annecy où elle bénéficie d’énergie bon marché au Fier, d’approvisionnement d’aciers spéciaux en provenance d’Ugine et de l’ouverture du marché français.»
Au début de l’ouvrage, Jean-François Véronne s’interroge sur le fait qu’il pourrait bien avoir nombre d’insoumis ou déserteurs savoisiens passés en Suisse à la Belle Époque qui rentrent pour défendre leur pays que de Savoyards qui franchissent la frontière afin de ne pas porter l’uniforme à l’été 1914. Si les cas individuels méritaient évidemment d’être exposés on aurait aimé des éléments chiffrés là-dessus. Dans ces départements frontaliers où le pays d’en face était neutre (au moins au début du conflit, l’Italie basculant aux côtés de la France assez rapidement, et la Suisse gardant sa neutralité, pas si stricte que cela d’ailleurs), aucun obstacle matériel conséquent n’empêchait le refus de servir sous les drapeaux.
Le taux de morts en Savoie est pour l’ensemble de 4% de la population totale des deux départements, alors que la moyenne est de 3,4% ; cependant on est loin des 5,08% en Lozère et des 4,48% en Mayenne. La censure qui sévit sur l’importance des décès est pointée comme le désespoir de voir tant tomber pour gagner quelques mètres en s’emparant de la tranchée adverse.
D’après certains témoignages la foi religieuse s’intensifie en 1914 puis retombe progressivement à partir de 1915. Jean-François Véronne montre comment semble s’effectuer le travail de deuil à l’arrière et cite à ce propos Christophe Fauré qui dans un ouvrage dirigé par Michel Hanus "Le grand livre de la mort à l’usage des vivants" (paru en 2007) écrit que le temps est nécessaire pour faire son deuil. On peut d’ailleurs regretter que les auteurs ne sachent pas convenablement présenter une contribution dans un ouvrage collectif.
Toutefois la socialisation du deuil est complètement perturbée dans le cadre d’un décès à la guerre, une annonce qui s’est parfois faite uniquement par un courrier administratif (les maires sont recadrés à ce sujet début 1915 afin qu’ils aillent oralement avertir la famille) sans souvent retour immédiat du corps donc participation de la famille à la cérémonie de l’enterrement et sans possibilité provisoire ou définitive de se recueillir sur une tombe.
De nombreuses pages et des photographies sont consacrées aux monuments aux morts avec le choix de reproduire trois d’entre eux. Ceux de Marmaz et Samoëns représentent dans un cas simplement une femme recueillie et dans un autre une mère embrassant son fils sur la joue, est proposé a contrario celui de Sallanches avec une Jeanne d’Arc tenant une épée. Suivent en particulier des photographies de soldats hospitalisés et de démobilisés blessés (dans diverses activités, y compris de loisirs) suivant les cours de rééducation professionnelle offerts dans les locaux de l’École d’horlogerie de Cluses.
Mino Faïta traite la seconde partie du livre, celle intitulée "De l’assistance à la reconnaissance". Il est question là des formes d’assistanat social qui sont offertes à l’ensemble des victimes de la guerre ; on aborde non seulement le cas des blessés de tout ordre (y compris le cas des obusés) que ceux des civils (orphelins et veuves). La méfiance à l’égard des prisonniers est pointé, et l’on sait par ailleurs que malgré ses tentatives d’évasion le général de Gaulle eut beaucoup de mal à justifier qu’il ait été en situation de devoir se rendre lors de la bataille de Verdun.
Les dernières pages de ce titre "Le temps du sacrifice, du deuil et de la reconnaissance durant la Grande Guerre" renvoient à un précédent ouvrage de Mino Faïta puisqu’en posant la question de l’attribution ou non du qualificatif "mort pour la France", on renvoie immédiatement à la question des fusillés pour l’exemple. On voit là le destin tragi-comique de trois soldats fusillés le même jour et pour les mêmes raisons est exposé, l’un aurait été déclaré "mort pour la France" à l’origine, un aurait été réhabilité en 1934 et l’autre garderait son étiquette de "fusillé". Il s’agit de Fernand Inclair, Jules Berger et Gilbert Alexis Gathier. On se reportera à l’ouvrage de Frédéric Mathieu pour en savoir plus sur eux.
Pour tous publics Quelques illustrations