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Contre la guerre 14-18: Résistances mondiales et révolution sociale

Contre la guerre 14-18: Résistances mondiales et révolution sociale
La Dispute416 pages
1 critique de lecteur

Avis de Alexandre : "Brion, Brizon, Saumoneau, Grave, Kollontaï, Trotsky, Zetkin, Li Dazhao et les autres"

La conférence de Zimmerwald se tient du 5 au 8 septembre 1915, on ne peut donc être, avant cette date, contre des positions zimmerwaldiennes qui n’existent pas. Laisser croire que les instituteurs syndicalistes de province se rallient rapidement et dès avant l’été 1915 à des thèses pacifistes (et sûrement pas zimmerwaldiennes, comme le texte le dit) est plus qu’aventureux. À part Julia Bertand, le couple Mayoux et éventuellement le couple Bouët, au sein du syndicat des instituteurs membres de la CGT,  qui est contre cette guerre défensive en août 1914? Sûrement personne d'autre.  

Donc en respectant et non pas en "se pliant" le désir de faire paraître dans le Bulletin de l’École  (qui d’ailleurs n’est plus fait significatif "émancipée" après le 8 août 1914 lors de sa reparution) des idées pacifistes en août 1915, Hélène Brion amorce un tournant qui la conduit à demander de mettre fin au conflit.  L’analyse de son courrier, déposé aux Archives nationales, le prouve.  Ceci est une broutille évidemment.

Et on ne peut qu’apprécier  l’introduction faite de chaque document par une courte biographie de l’auteur, biographie qui va pour notre grand plaisir au-delà de 1918. Si parfois la revue (car les textes présentés ont souvent paru dans la presse) est qualifiée de quelques informations fort intéressantes, ce n’est pas toujours le cas.

Ce genre d’introduction permet en particulier de comprendre que jusqu’à l’automne 1916 Léon Trotsky est en France et d’ailleurs ajoutons personnellement Hélène Brion (qui parle russe) le rencontre. Précisons d’ailleurs que ce dernier a séjourné en France au moins à quatre reprises et que, pour cette fois là, c’était entre le 19 novembre 1914 et le 31 octobre 1916, auparavant en 1902 à Paris il y avait rencontré une étudiante ukrainienne qu’il épousa. Léon Trotsky est d’ailleurs la "red star" de l’ouvrage puisque que l’on trouve de lui les textes suivants : "Leur œuvre" (1913) au sujet des Guerres balkaniques de 1912-1913, "Sur la mort de Vaillant" (Édouard le communard, évidemment pas le pigeon) , "1er mai" (celui de 1916 écrit à Paris, et diffusé en France, dans un journal de langue russe), "Lettre à Jules Guesde" (texte également  de 1916 et écrit à Paris juste avant son expulsion pour ce qu’il a affirmé dans le journal de langue russe évoqué précédemment).

Léon Trotsky est présent à Zimmerwald et il rédige pour beaucoup "le manifeste de Zimmerwald", ce qui ne lui vaut pas pour autant un texte de plus. En effet c'est le texte proposé par Lénine et Karl Radek, non conseusuel, qui est présenté ici; en quelque sorte une première mouture, bien plus radicale, que l'écrit qui est diffusé. Celui de Kienthal (non fourni) est dû, dans l’essentiel, à Pierre Brizon. On donne d'autre part le discours tenu par lui à la Chambre des députés le 24 juin 1916 à son retour justement de Kienthal.

Au passage, je signale que, comme les mousquetaires, les kienthaliens français n’étaient pas trois mais quatre car l’auteure (comme beaucoup d’autres) oublie le libertaire Henri Guilbeaux (qui fut rédacteur de L’Assiette au beurre). Ceci est dit afin de nous faciliter une transition vers le Manifeste des seize ; ce texte est à l’initiative de Jean Grave et Pierre Kropotkine et il est habilement introduit mais de façon top brève. Au contenu largement caricaturé par des journalistes, auteurs de l’histoire du mouvement anarchiste non universitaires, et écrivains aux sympathies libertaires comme Michel Ragon, il est considéré comme une ignoble tâche dans la biographie d’un militant le fait de l’avoir signé. La très grande majorité de ceux qui stigmatisent ses auteurs ne l’ont d’ailleurs jamais lu, donc voici une occasion de le faire.

Le manifeste des Seize dénonce l’impérialisme allemand et déclare qu’une perspective de paix qui offrirait à l’Allemagne une prime à l’agression doit être dénoncée : « avec ceux qui luttent, nous estimons que, à moins que la population allemande, revenant à de plus saines notions de la justice et du droit, renonce enfin à servir plus longtemps d’instrument aux projets de domination politique pangermaniste, il ne peut être question de paix. Sans doute, malgré la guerre, malgré les meurtres, nous n’oublions pas que nous sommes internationalistes, que nous voulons l’union des peuples, la disparition des frontières. Et c’est parce que nous voulons la réconciliation des peuples, y compris le peuple allemand, que nous pensons qu’il faut résister à un agresseur qui représente l’anéantissement de tous nos espoirs l’affranchissement». 

Pour la petite histoire, c’est Le Manifeste des quinze qu’il  aurait dû s’appeler ; Hussein Dey n'étant que le nom de la ville (en Algérie) de résidence d'un des signataires (Antoine Orfila) et pas le nom d’une personne. Les autres signataires sont : Christiaan Cornelissen, Henri Fuss, Jacques Guérin, Charles-Ange Laisant, François Le Levé, Charles Malato, Jules Moineau (de Liège), Marc Pierrot, Paul Reclus, Ph. Richard (lui aussi d’Algérie), Ishikawa Sanshirô (du Japon) et Warlaam Tcherkesoff (ou Varlam Tcherkezichvili, un Georgien évadé de Sibérie, après un emprisonnement).  Notons, mais de 1911, un texte de Victor Serge, paru dans le journal L’Anarchie.

On est d’ailleurs extrêmement heureusement surpris de l’apparition de textes très originaux comme celui du 15 octobre 1918 de l’un des fondateurs du Parti communiste chinois Li Dazhao qui est pendu en 1927 par le seigneur de la guerre Zhang Zuolin qui contrôlait la Mandchourie. Zhang Xueliang qui a passé 53 ans de sa vie en prison, pour des  raisons politiques, était le fils de ce dernier. La Chine a considérablement aidé les Alliés par l’envoi d’environ 140 000 travailleurs chinois sur le front occidental (Li Dazhao gonfle les chiffres), et elle avait déclaré la guerre le 4 août 1917 en prenant prétexte de la guerre sous-marine intensive menée par Berlin.

Outre une description acide de la mentalité chinoise (une généralisation évidemment abusive), ce dernier est, à juste raison, pessimiste, sur le contenu futur des traités de paix « à moins que les gens qui défendent la justice et qui sont libres du préjugé de nationalité n’y soient en majorité » (page 322). Le Japon entend conserver Qingdao,  un territoire cédé à bail l’Allemagne,  dont il s’est emparé. Le laisser aux Nippons, comme le prévoit le Traité de paix, c’est faire fi des principes énoncés par le président Wilson. Li Dazhao avait bien raison d’être pessimiste.

On dispose par ailleurs d’un texte traduit par Léon Wieger (père jésuite français d’origine alsacienne, connu de tous les étudiants de chinois)  d’un interprète chinois qui décrit les conditions de vie des travailleurs chinois en France durant la Grande Guerre.

Parmi les textes de femmes, autres que celui d’Hélène Brion, on dispose de celui de la journaliste socialiste Louise Saumoneau,  évoquée d’ailleurs par Trotsky dans son courrier à Jules Guesde, reprochant à ce dernier l’emprisonnement de la première. Elle est la seule Française à avoir pu participer en mars 1915 à la Conférence des femmes socialistes à Berne. Saumoneau rapporte un manifeste "Le monde crache le sang !" qui lui vaut un mois d’emprisonnement. On a également plusieurs contributions de Rosa Luxemburg et une pour chacune des suivantes : Alexandra Kollontaï, Clara Zetkin et Anna Adelmi. Par contre Marcelle Capy, dite "la veuve Brizon", n'est pas représentée ici.

Quelques écrits proviennent de soldats coloniaux , certains sont collectifs même si on en connaît l’inspirateur (comme la pétition du 298e RI de juin 1917, dont les casernements sont à Roanne et où sert au tout début du conflit Jean Giraudoux) ou anonymes (telle cette lettre envoyée par un soldat italien en avril 1916 au roi de son pays).

Certains textes ont été écrits après la fin des hostilités comme celui intitulé "Ce que les vétérans et les victimes de l’armée exigent" (rédigé en 1924) de Filipos  Orfanos, soldat pendant la Guerre Gréco-turque du 15 mai 1919 au 11 octobre 1922, exclu pour trotskysme en 1927 du parti communiste grec et exécuté en 1943 par les Italiens. En effet quelques textes évoquent des évènements qui suivent la fin officielle du conflit.  La compréhension générale du contenu des huit chapitres est facilitée par une introduction, à chaque fois, d’une demi-douzaine de pages. Voci la table des matières: Résister à l’irrésistible, Chapitre premier. Apocalypse ?, Chapitre II. « Si demain la guerre éclatait… », Chapitre III. Guerre et révolution, Chapitre IV. Résistances intimes et refus déclarés, Chapitre V. Féminismes en guerre et front interne, Chapitre VI. Colonisés, opprimés, dominés face au conflit,  Chapitre VII. Transformations des imaginaires ?, Chapitre VIII. « J’étais, je suis, je serai ».

Pour connaisseurs Aucune illustration

Alexandre

Note globale :

Par - 401 avis déposés - lecteur régulier

465 critiques
10/04/18
L’antimilitarisme dans la littérature
https://www.youtube.com/watch?v=MOYqrGUisXI
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