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La Révolution russe

La Révolution russe
Le temps des cerises 132 pages
1 critique de lecteur

Avis de Alexandre : "Rosa a tout compris et avant tout le monde"

Rosa Luxemburg n’est connue aujourd’hui que sous son nom de jeune fille, alors que sujette russe, car née dans une famille juive polonaise, elle épouse Gustav Lübeck afin de pouvoir rester en Allemagne.  Elle avait connu le père de ce dernier, militant socialiste en exil à Zürich, en 1889. Le mariage blanc a tenu cinq ans.

En une bonne trentaine de pages, Gilbert Badia (ici le traducteur également) présente le texte de Rosa Luxemburg. Ce dernier est mort en 2004 à près de quatre-vingt-dix ans. Il est connu comme le traducteur de la correspondance de Marx et Engels aux Éditions Sociales et il avait rédigé la notice la concernant dans le Dictionnaire critique du marxiste et il disait déjà à ce propos que le luxemburgisme « appauvrit toujours la pensée de Rosa Luxemburg, et ne rend nullement compte de la personnalité si riche de cette révolutionnaire ». Ce texte de Gilbert Badia semble être la reprise d’une communication à un colloque, voire d’un article dans une revue dont malheureusement on ne connaît pas l’origine.

Image absente du livre

On est face à des notes, certes bien rédigées, écrites à l’automne 1918, juste après le déclenchement de la Révolution d’octobre en Russie et juste avant l’insurrection spartakiste en Allemagne. C’est à la suite de cette dernière que se produit son assassinat en janvier 1919, en conséquence elle n’a jamais apporté des corrections et éliminé des idées qui peuvent à la marge sembler contradictoires avec d’autres.  Parfois on est dans l’allusion un peu vague à des évènements, que l’auteure n’aurait pas manqué de préciser.

En fait, on a là deux textes, à savoir les 72 pages de La Révolution russe et par ailleurs un autre écrit intitulé Fragments sur la guerre, la question nationale et la révolution. Ce dernier écrit est contemporain du premier et il l’éclaire. Du texte Fragments sur la guerre, la question nationale et la révolution on retiendra :

« Ce qui importe c’est de comprendre le vrai problème de cette période ; ce problème s’appelle : dictature du prolétariat, réalisation du socialisme. Les difficultés de la tâche ne résident pas dans la force de l’adversaire, dans les résistances de la société bourgeoise. (…) La difficulté réside dans le prolétariat lui-même, dans son manque de maturité, ou plutôt dans le manque de maturité de ses guides, les partis socialistes. La classe ouvrière regimbe, elle recule chaque fois devant l’énormité imprécise de sa tâche » (page 132)

Dans le texte principal, Rosa Luxemburg insiste sur le caractère atypique de la Révolution russe, selon les critères marxistes. Elle n’oublie de rappeler quels furent les acteurs de la Révolution de février 1917, qu’on appelle "révolution bourgeoise". Elle souligne le fait que la question de la propriété de la terre et le problème de la paix furent les enjeux fondamentaux qui suivirent cette première insurrection. Elle rend hommage à Lénine et au parti bolchévik en général pour avoir su rassembler derrière la majorité du prolétariat urbain, des paysans et des soldats.

Elle s’inquiète des conditions dans lesquelles se sont faits, dans ce premier temps, les partages des terres. Par ailleurs, en tant qu’internationaliste, elle désapprouve l’éclatement de la Russie, d’ailleurs amplement appuyé par l’action de l’Allemagne avant et après le traité de Brest-Litovsk et même après le 11 novembre 1918. Connaissant ce que deviendra l’URSS, on est ébahi par sa vision prémonitoire :

«  Lénine et Trotski ont mis les soviets, en tant que seule vraie représentations des masses laborieuses, à la place des organismes représentatifs issus d'élections générales.Mais, si l’on étouffe la vie politique dans tout le pays, il est forcé que, dans les soviets aussi, celle-ci soit de plus en plus paralysée. Sans élections générales, sans liberté de la presse et de réunion, sans libre affrontement d’opinions, la vie de n’importe quelle institution publique dépérit, se transforme en une pseudo-vie, dans laquelle le seul élément actif qui subsiste est la bureaucratie  (page 104) ».

Ceci nous amène à comparer, à l’avantage de Gilbert Badia, avec une autre traduction du même passage par A.M. Bracke-Desrousseaux (d’ailleurs fils de l’auteur du P’tit Quinqin) longtemps député socialiste, il avait fait la connaissance de Rosa Luxemburg, à la Belle Époque, au cours des congrès socialistes internationaux. Voici la version de Bracke-Desrousseaux :

« Lénine et Trotsky ont mis à la place des corps représentatifs sortis d'élections populaires générales les soviets comme la seule représentation véritable des masses ouvrières. Mais, en étouffant la vie politique dans tout Ie pays, il est fatal que la vie soit de plus en plus paralysée dans les soviets mêmes. Sans élections générales, sans liberté illimitée de la presse et de réunion, sans lutte libre entre les opinions, la vie se meurt dans toutes les institutions publiques, elle devient une vie apparente, où la bureaucratie est Ie seul élément qui reste actif. »  

La divergence majeure entre Rosa Luxemburg et Lénine est donc la question de la démocratie dans et en dehors du parti. Les critiques de Rosa Luxemburg n'ont jamais été bien reçues par les communistes orthodoxes, et ceci alors que sa mort dramatique a provoqué une mythification de sa figure révolutionnaire dans la RDA. En 1932, Ernst Thälmann, secrétaire du Parti communiste allemand déclare : « Dans tous les cas où Rosa Luxemburg a défendu une autre conception que celle de Lénine, elle s’est trompée ».  Ceux, qui disaient que Rosa Luxemburg n’avait raison que sur les idées qu’elle partageait avec Lénine et tort sur tout le reste, se retrouvèrent à partir de 1945 à la tête de ce qui allait devenir l’Allemagne de l’est. Ils en firent une icône mais se gardèrent bien de populariser le contenu de l’ouvrage La Révolution russe.  

Pour connaisseurs Aucune illustration

Alexandre

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