Avis de Zaynab : "Il paraît que 14-18, les fusillés de Frédéric Mathieu et un ouvrage sur Clemenceau seront dans les prochaines acquisitions de la bibliothèque Victor Hugo aux Pieux"
Victor Hugo s'est arrêté en 1836 aux Pieux, une commune de près de 1 800 habitants alors ; elle en a compté le double en 2009 avant de perdre quelques villageois. Aussi verra-t-on, le vendredi 18 novembre 2016 à 11 heures à la médiathèque Victor Hugo des Pieux, la remise du Prix Littéraire du Cotentin 2016 à Michel Giard pour son roman Un sou de bonheur. L’auteur est né en 1946 dans cette commune et il est entre autre un historien de la Société nationale de sauvetage en mer (SNSM).
Ce livre compte vingt-six chapitres. L’action démarre en juillet 1950 avec une Joséphine devenue grand-mère qui reçoit aux Pieux sa petite-fille venue de Cherbourg. C’est justement la veille de la Saint-Clair et la grand-mère fait une allusion à la louerie, un terme que l’enfant lui demande d’expliciter. Voilà Joséphine qui évoque sa venue dans ce village pour cet évènement en 1904 ; pour elle ce qui lui fait immédiatement remonter à 1889 où c’est sa mère adorée qui s’était gagée chez une riche famille de fermiers. Défilent les années de la Belle Époque avec le mariage puis la mort de la mère de la narratrice. Elle se marie peu avant que Gustave son époux ne parte au service militaire en août 1910, il est libéré en juillet 1912 sans besoin de tirage au sort comme l’écrit l’auteur (page 180) en plus on pourra rajouter qu’à l’époque c’est au premier octobre qu’on part au service militaire. Son mari a ensuite l’opportunité de devenir boucher à Cherbourg et elle tient la caisse du magasin.
Ce n’est qu’au quatorzième chapitre que se fait sentir le danger de guerre et le chapitre suivant ouvre sur le départ de Gustave pour la guerre. Un mot est dit sur la suspension rapide du journal de Clemenceau, ce dernier change alors son titre passant de L’Homme libre à L’Homme enchaîné (page 231). À diverses occasions, des pages plus loin, on retrouve Clemenceau avec Monet à Giverny. Considérant que ces moments relèvent d’une partie largement fictionnelle, je n’ai pas pris le temps d’aller vérifier la marge de crédibilité historique. Si l’imagination de l’auteur a pris ponctuellement le pas, cela n’a pas de conséquences sur la compréhension de la période évoquée.
Par contre le récit de la non-élection de Clemenceau à la Présidence de la République, pages 396 et 397 relève d’une simplification très abusive qui lui enlève toute intelligence (voir n’importe quel ouvrage sur Clemenceau qui aborde la question et en particulier Clemenceau chef de guerre de Jean-Jacques Becker page 177).
Les frères de Joséphine ne font aucune action de devancer l’appel lorsqu’ils ont 20 ans (page 251) début 1915 puisque la classe 1915 est déjà sous les drapeaux au 15 décembre 1914. Le 20 août 1915 Gustave arrive en permission à Cherbourg et c’est l’occasion de raconter que le 17 mars 1915 "quatre instituteurs de la Manche" sont fusillés pour l’exemple. Vu ce que s’est démenée la veuve Maupas pour obtenir la réhabilitation de son mari et son rôle de symbole pour tous ceux qui, entre autres à la Ligue des droits de l’homme et à la Libre pensée, ont agi jusqu’à nos jours dans le sens d'une réhabilitations des fusillés pour l'exemple, on aurait quand même pu citer le nom de Théophile Maupas.
Toutefois quand on prend un horloger, un garçon de café et un cheminot pour des instituteurs, on n’en est évidemment pas à ce souci de passer une telle information. L’horloger était de la Manche et professait à Aubervilliers, le garçon de café était d’Ille-et-Vilaine et servait à Vitré, le cheminot était de Condé-sur-Vire et exerçait à Caen, l'auteur était dans l'ignorance et admirait Clemenceau. Et tout ça fait d'excellents Normands, d'excellents soldats qui marchent au pas, comme aurait dit Maurice Chevalier !
Gustave termine le conflit gazé et son retour à la vie civile en juin 1919 est bien difficile physiquement et moralement. Il ressasse La chanson de Craonne (page 408). En fin d’ouvrage, on assite à l’arrivée étonnante pour tous les acteurs du père de Joséphine, après huit ans de bagne. Il m’a semblé bizare qu’il ait été condamné pour trois ou quatre années de travaux forcés puisqu’à l’expiration de sa peine, un bagnard était tenu de résider en Guyane pendant un temps égal à la durée de sa condamnation. Je pense, pour avoir consulté à Aix-en-Provence, des dossiers de bagnards que des peines aussi légères en années relèvent au minimum de l’exceptionnel… Bref parti en fanfare ou comme en 14 sur ce livre (à la lecture de la quatrième de couverture), j’ai fait progressivement ma retraite de la Marne sans la contre-offensive qui a suivi. Je pense qu’il y aura un second tome.
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