Avis de Octave : "Le château de Noirmoutier, pas un lieu de villégiature durant la Première Guerre mondiale"
Cette illustration n'est pas dans le livre qui malheureusement n'en propose pas
Lorsque l’Allemagne déclare la guerre à la France, les consulats des deux empires ennemis de notre pays se lancent dans des négociations pour le rapatriement de leurs ressortissants qui n’aboutissent pas. Ces derniers sont regroupés et internés en province, loin des frontières ; il est à noter que nées françaises les épouses d’Allemands et Austro-Hongrois sont également internées car elles ont automatiquement changé de nationalité. En octobre 1914 sont renvoyés dans leur pays, via la Suisse, femmes, enfants, vieillards et invalides.
Le préfet de Vendée décide de répartir fin décembre 1914 les étrangers allemands ou austro-hongrois selon leur origine fine. Ceci à la fois parce qu’il dispose de six lieux d’internement dans son département et parce qu’un texte ministériel demande à ce que les essortissants étrangers soient internés de préférence dans des îles. Cette mesure a pour conséquence un envoi pour la Vendée de nouvelles personnes à interner en provenance d'autres départements.
Ainsi ne mélange-t-on pas les Alsaciens-Lorrains avec les Prussiens ou les Hongrois avec des ressortissants de la double-monarchie de langue tchèque, roumaine ou polonaise ; en fait on crée une échelle des sentiments de pro-français à anti-français. Ainsi les Alsaciens-Lorrains sont regroupés aux Sables-d’Olonne et après le passage devant une commission la plupart d’entre eux, tout en devant continuer à résider dans cette sous-préfecture de Vendée, ne sont plus internés. La commission en question était composée de grandes figures de la francophilie alsacienne, en particulier par Daniel Blumenthal l’ancien maire de Colmar et l’abbé Wetterlé. Les Allemands partent pour l’île d’Yeu (dans le fort où Pétain ira finir ses jours) et les Hongrois à Noirmoutier. Toutefois ces divisions ne sont pas rigoureuses, ainsi à Noirmoutier Aladár Kuncz est non seulement avec ses compatriotes le sculpteur Oscar Zadory et l’écrivain Andor Németh, mais aussi avec l’Allemand Rodolphe Nagel professeur de mathématiques. D’autre part, après avoir été d’octobre 1914 à juillet 1916 à Noirmoutier, Aladár Kuncz passe dans l’île d’Yeu car le préfet décide de faire du château un camp disciplinaire. Ce dernier ne croise pas le peintre expressionniste allemand Karl Hofer, car de dernier a déjà quitté l’île d’Yeu pour Carnac lorsque notre auteur hongrois arrive là.
Le récit contenu dans "Le monastère noir 1914-1919 Les mémoires d’un indésirable" démarre à la déclaration de guerre et nous suivons son narrateur dans les divers lieux où il est interné d’août 1914 à mai 1919 : Périgueux, Noirmoutier, l’île d’Yeu et pour trois semaines l’Île longue (qui n’est plus une île) sur la commune de Crozon dans le Finistère. Sa libération se fait alors qu’il a été interné quasiment cinq ans. En 1923 il s’installe à Kolozvár en Transylvanie où il avait fait ses études universitaires, la ville est devenue hongroise et se nomme maintenant Cluj. Professeur à Budapest, il avait reçu une bourse pour étudier en France durant l’année universitaire 1912-1913 et il passe ses vacances dans le Finistère durant l’été 1914.
Il commence par nous raconter l’annonce de la mobilisation dans un hôtel dans la petite station balnéaire de Carantec: silence général à l’exception de quelqu’un qui éclate en sanglots. Détestant le militarisme prussien, cet Hongrois francophile avait idéalisé la France et il découvre les plus abjectes expressions du nationalisme français. Là Périgueux :
« Une clameur immense nous accueillit à la sortie de la gare. [...] Une grêle d’invectives et de pierres nous assaillit. Les plus proches nous frappèrent à coups de cannes et de parapluies. »
Les conditions matérielles sont rudes à Noirmoutier :
« Dans la chambrée no 6 la vie s’écoulait sans grand changement [...]. Au bout de quelques mois de captivité, je me perdais parfois complètement dans un monde imaginaire [...]. Les baquets pour la toilette, les barriques des bains mensuels dans la cave infestée de rats, les cabines exposées à la pluie et à la neige, les chambrées surpeuplées et pourries de vermine, rien de tout cela ne fut modifié. Mais il [le nouveau commandant] rendit le tout plus pénible à supporter en accrochant partout des ordres. Dans les dortoirs empuantis, il était interdit de fumer. Il fallait se lever à sept heures exactement. Le soir, à partir de neuf heures, défense de souffler mot, défense d’aller sur la terrasse et ainsi de suite... »
Toutefois les internés finissent par gagner la sympathie de nombre de leurs gardiens. Le narrateur y tente une évasion par un tunnel mais ils ne trouvent pas de bateau capable de les transporter sur l’océan sans risque. Malheureusement le régime redevient plus sévère sur l’île d’Yeu.
Grâce à un langage imagé employé par leurs correspondants en Hongrie, ils arrivent à se tenir plus ou moins au courant de l’évolution du conflit :
« Parfois, dans notre correspondance, une phrase glissée par-ci par-là nous apportait une information déguisée. “Mme Olaszország a quitté son mari”, lisait-on sur une carte postale rédigée en français. Cela voulait dire que l’Italie venait de déclarer la guerre aux Empires centraux, “Olaszország” signifiant “Italie” en hongrois. “M. Medve (l’ours) se porte très mal” annonçait une grave défaite subie par la Russie. »
Liant l’arrivée au pouvoir de Clemenceau aux échecs des tentatives de paix blanches (dans lesquelles le nouvel empereur autro-hongrois est fort impliqué Aladár Kuncz croit pouvoir percer les ressorts du jusquauboutisme qui s’est emparée d’un secteur de l’opinion française :
« Dans les journaux français sonnait toujours et toujours plus haut le slogan cruel et implacable : “Jusqu’au bout !”, fouet de la haine, tressé à plaisir pour la foule, avec lequel on pousse à l’abattoir le bétail recru de fatigue. [...] Clemenceau peut avoir été le génie de la “poigne” et des “hauts faits”. Il peut avoir eu un idéal, des buts élevés pour son pays et pour cet impérialisme capitaliste, contre lequel, en d’autres temps, il s’était furieusement élevé. Mais nous, [...] nous ne pouvions nous faire de lui une telle idée. À nos yeux, ce géronte était l’incarnation de la haine aveugle et de la soif de sang, qui vivait, sans cœur et sans âme, pour sa besogne de vengeance et de destruction. »
Les derniers mois à l’île d’Yeu sont ceux où sévit la grippe espagnole, elle décime en partie le groupe des internés. Toutefois un bourgeois âgé l’invite chez lui pour son dernier souper, ce dernier l’envoie chercher par ses deux petits-fils, jeunes officiers en permission.
« Le plan me semblait un peu aventureux, et pourtant cela s’est passé comme ça. A 9 heures, un groupe est venu me chercher, avec la permission du chef des gardes, et j’ai passé la nuit jusqu’à l’aube parmi les Français faisant le fête à la manière hongroise.
Mais cette nuit de liberté a été suivie encore de cinq semaines de captivité en France. Le lendemain à l’aube, nous sommes partis de Challans, et nous sommes arrivés trois jours plus tard dans l’après-midi sur l’île Longue, près de Brest. Sur la route nous avons passé un après-midi à La Roche-sur-Yon où les filles du bordel au bout de la ville ont cuisiné des repas pour nous. A la gare de Lorient nous avons rencontré des soldats américains, qui nous ont approvisionnés de conserves, de viande, de chocolats et de tabac. La condition de ces cadeaux était la même que celle de nos visiteurs sur l’île d’Yeu, c’est à dire, de ne pas en donner aux Français. Il y avait beaucoup de soldats américains à Brest. Deux grands paquebots les attendaient dans le port pour les amener aux Etats-Unis. C’est à peine si j’ai reconnu le port, tellement les Américains l’ont transformé. Nous avons accosté sur l’île Longue, au bout d’une demi-heure de voyage.
Cette île de forme allongée, en grande partie inhabitée, a été transformée en un grand camp de prisonniers. Derrière des clôtures de fils barbelés se trouvaient de nombreuses baraques où étaient logés 4 à 5 000 prisonniers civils pendant la première guerre mondiale. Aujourd’hui, il y a à peu près 4 000 personnes. »
Fort succès d’édition en Hongrie, avec un constant renouvellement de ses lecteurs, le livre paraît en 1937 avec une traduction de Ladislas Gara qui prend bien soin de ne jamais donné le nom du préfet de la Vendée d’alors, à savoir Fernand Tardif (né le 20 mars 1867, enfant d'un député républicain de la Creuse) qui a laissé un ouvrage "Un département pendant la guerre" qui traite de la première moitié de la Guerre puisqu’il est paru en 1917. Réédité en 1999 déjà par l’Étrave, cet ouvrage a connu un large succès auprès de la population vendéenne et des historiens français de la Première Guerre mondiale ; ceci explique sa réédition en 2015. Pour ces derniers ce témoignage est précieux car on a là un sujet traité qui est peu connu, à savoir l’internement de civils étrangers durant la Première Guerre mondiale. On pourra prolonger sa lecture par la connaissance des conditions dans lesquelles les armées françaises en pénétrant en Alsace-Lorraine à l’été 1914 (et en se maintenant mais uniquement à l’est des Vosges méridionales) arrêtèrent et déplacèrent des civils (souvent fonctionnaires). Pour cela on se reportera à "Prisonniers des libérateurs" de Camille Maire.
Pour tous publics Aucune illustration
http://www.corsematin.com/article/article/lhistorien-simon-giuseppi-poursuit-ses-recherches.1941412.html
http://www.tvr.bzh/programmes/les-internes-civils-de-la-grande-guerre-1463317200