Avis de Adam Craponne : "Pierre, ciseaux, Puy !"
Cet ouvrage, sous-titré Prisonnière cent jours en France, permet de comprendre plusieurs dimensions de la Première Guerre mondiale. Tout d’abord c'est la surprise que fut la déclaration de guerre pour l’ensemble de la population et ensuite ce sont le bourrage de crâne qui frappa au début du conflit la plupart des Français (y compris certains comme des enseignants qui auraient dû exercer un esprit critique), l’atmosphère de haine qui s’en suivit, les conditions d’internement des personnes qui se trouvaient dans l’hexagone à l’été 1914 et relevant d’un pays en guerre avec la France, l’espionnite déferlante avec par exemple un camp de concentration de 1 300 suspects français ou belges à Aurec, non loin du Puy-en-Velay (dont l’institutrice vosgienne Julia Bertrand, ajouterons-nous personnellement), la lutte entre anticléricaux et catholiques qui se poursuit avec le maire catholique de la préfecture à savoir Gibelin (d’ailleurs liquoriste) qui est accusé par le journal radical d’envoyer "des bataillons" de curés aux internés présentés comme des espions… C'est bien la première fois que l'on doit voir la presse laïque plaindre des Français catholiques pour une pénurie de prêtres à leur disposition...
Liqueur fabriquée par Gibelin, image absente du livre
Ce dernier, dont le fils est mort le 3 septembre 1914 des suites de ces blessures au combat, était d’ailleurs une des rares personnes montrant un peu de compassion pour les civils étrangers enfermés dans les locaux de la Chartreuse à Brives-Charensac. Sur le chemin de Saint Jacques, à l'entrée du Puy-en-Velay, ces bâtiments avaient vu leurs derniers chartreux en 1790, ensuite ils avaient servi de séminaire de 1818 à 1906 et étaient quasiment vides en 1914. La narratrice est Fanny Hoessl, une Allemande née en 1862 à Ratisbonne en Bavière et décédée en 1949, elle a été préceptrice, dans de nombreuses familles aristocratiques, de divers pays européens et en particulier auprès d’enfants français qui ont fait ultérieurement Saint-Cyr.
Jean-Louis Spieser, le traducteur de ce témoignage publié en Allemagne dès 1915, agrémente, de façon très pédagogique le récit de son personnage principal et ses propres textes de documents variés (photographies, cartes postales, coupures de journaux, extraits de rapports et même monnaie interne au camp). Le livre comporte en outre de nombreuses reproductions d’archives conservées aux archives départementales de la Haute-Loire qui corroborent le récit de Fanny Hoessl jusque dans des détails incongrus comme la présence parmi les détenus d’une montreuse de puces savantes. Voilà une intéressante approche d'une vie d'internés riche en évènements très significatifs et en tensions multiples.
Cerise sur le gâteau, on apprend que la propagande austro-hongroise (reprise en Allemagne) disait que la dynastie serbe descendait d’un éleveur de porc. En effet on avait adapté là une légende rapportant que Karadorde (ou Karageorges), premier prince de Serbie en 1808 (après plus de trois siècles de perte de souveraineté pour ce pays), aurait débarrassé (tel le personnage de Hamelin) une ville de ses porcs (au lieu de rats) avec un instrument monocorde local nommé "gulse" ou "gulza" (à la place d’une flûte) et qu’en récompense le sultan lui donna une des ses filles comme épouse et le reconnut comme prince de Serbie.
On relèvera ce passage :
" Le samedi 1er août, on placarda l’avis de mobilisation générale, où apparaissait aussi en lettres géantes l’ordre donné à tous les étrangers de quitter la ville. Il faisait à peine jour lorsque je me retrouvai à la gare en compagnie de ma sœur, avec juste un petit sac à main ; j’avais fini par prendre peur.
Cent fois déjà j’avais entendu marmonner à gauche, à droite, tout autour de moi : « Les boches à la lanterne ! » Je ne réussis pas à me frayer un chemin jusqu’au fourgon à bagages. Sans cesse on me repoussait et un employé, plutôt haut placé, me beugla :
- « Il fallait prendre l’avis au sérieux et partir avant ! »
Voici la table des matières de l’ouvrage :
Préfaces
Première partie
Mon été 1914 au Puy de Fanny Hoessl, p. 13
Lettres de civils allemands encore internés en France en 1915, p. 95
Les souffrances d’une femme de la bourgeoisie déportée en France, p. 115
Deuxième partie
Témoignage historique ou propagande nationaliste partisane ? par Jean-Louis Spieser, p. 121
Documents en annexe, p. 159.
Liqueur Maurin quina, très connue et fabriquée au Puy-en-Velay (image absente du livre)
Pour tous publics Beaucoup d'illustrations