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Abel Bonnard, plume de la collaboration

Abel Bonnard, plume de la collaboration
Perrin382 pages
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Avis de Adam Craponne : "La route s’allonge, une marche au pas cadencée accompagnée de chants permet d’éviter la formation de groupes de traînards et de donner à la troupe une notion de la discipline de marche"

Notre titre est tiré d'un courrier évoquant notamment un enseignement sur le terrain de la géographie; rédigé par E. de Martonne à la demande d'A. Bonnard, il est envoyé fin juillet 1942. Ceci pour rappeler que, créée par décret le 28 avril 1941 à l’initiative du ministre Jérôme Carcopino, l’agrégation de géographie ne devient effective que par l’arrêté du 28 septembre 1943. Abel Bonnard met fin à l’ajournement de cette mesure, et permet de ne pas enterrer cette perspective de mettre fin à la situation où existait, depuis 1831, une agrégation d’histoire et géographie.

Pour l’état-civil, Abel Bonnard est né le 19 décembre 1883 à Poitiers et mort le 31 mai 1968 à Madrid. Il est le fils d'Ernest André Étienne Bonnard, alors directeur des prisons de la Vienne et notre historien réfute absolument qu’il soit en fait le fruit des amours de sa mère Marie-Pauline Benielli avec Joseph Napoléon, comte Primoli, arrière-petit-fils de Lucien Bonaparte, frère de Napoléon Ier (page 38). Ce dernier a accueilli quelques mois Abel Bonnard à Rome, fin 1906 et début 1907. Relevons que l’auteur de ce livre doute de l’homosexualité de Bonnard (page 42), alors que la supposition d’un tel goût lui vaut les surnoms de "Gestapette" et de "La belle Bonnard".  

Ce personnage, fort de sa poésie plus parnassienne que symboliste, a été couronné du prix de poésie de l’Académie française et a reçu la Bourse nationale de voyage littéraire. Dans son ouvrage En Chine paru en 1924, Abel Bonnard dira d’ailleurs : « Le double bienfait du voyage, c’est qu’il donne en même temps plus de précisions à nos pensées et plus de liberté à nos rêves ». Notons que de 1893 à 1900, il a été élève du lycée Thiers de Marseille, un de ses biographes Olivier Matthieu le donnait, durant ses études secondaires, comme lecteur des poètes provençaux Aubanel, Mistral et Roumanille.

Benjamin Azoulay retrace de façon très complète la carrière littéraire et journalistique du personnage qu’il étudie. Il montre également que, quoique les idées de ce dernier renvoient à nombre de thèmes portés par l’Action française (notamment le préservation de la ruralité face à l’urbanité), Abel Bonnard loue le régime fasciste quasiment dès que Mussolini prend le pouvoir.

On doit à Abel Bonnard un ouvrage, L’Éloge de l’ignorance, où il écrit : « Que ceux qui étudient se dévouent, sans réserve à leur grand objet, mais il faut aussi que les ignorants, s’il est permis de le dire, ignorent bien. Loin d’humilier personne, ces grands partages quand on les comprend, sont également magnifiques ». C’est un homme convaincu qu'il n'est pas bon de répandre aveuglement l'instruction, qui crée une masse de frustrés mettant en péril la paix sociale.

Abel Bonnard fut Secrétaire d'État à l’Éducation nationale et à la Jeunesse (on n’est plus ministre sous les gouvernements de Vichy) du 25 février 1942 au 20 août 1944. Certes Christian Fouchet, René Haby, Christian Beullac, Lionel Jospin, Claude Allègre, Luc Chatel et Jean-Michel  Blanquer tinrent, sans discontinuité, ce ministère plus longtemps mais Abel Bonnard resta quand même en place un temps considérable et plus de la moitié de la période que dura le temps de l’ensemble des gouvernements de l’État français.

On ne peut qu’approuver les idées générales avancées par Benjamin Azoulay sur le moteur de l’action d’Abel Bonnard et en particulier l’idée de certaines convergences entre les impulsions données par Jean Zay (ministre de l’Éducation du Front populaire) et Abel Bonnard. « On retrouve en effet, chez les deux Ministres, une attention portée au bien-être des élèves, un parti pris contre le surmenage, une priorité accordée à l’enseignement primaire, une volonté de dépasser l’examen et d’alléger les programmes, de développer un nouveau rapport des enfants à l’apprentissage, de lutter contre la prééminence de l’enseignement classique au profit des études techniques, de promouvoir de nouvelles méthodes pédagogiques, de faire du sport un instrument d’éducation et de rendre les élèves au plein air autant qu’à l’observation de la nature. Pour l’un comme l’autre, il s’est agi de faire de l’école non plus le sanctuaire de l’instruction pure, c’est-à-dire de l’enseignement théorique des connaissances et des valeurs, mais le lieu d’éducation complète. Bonnard apparaît alors, au même titre que Zay, comme le précurseur d’une pédagogie moderne et le promoteur d’une éducation nationale en rupture avec les conceptions traditionnelles de l’instruction publique » (page 210-211).

Que certaines actions autour de thèmes communs existent n’empêchent pas que les visions philosophiques de l’enseignement soient totalement différentes chez l’un et l’autre. On apprécie que l’auteur donne les noms d‘Émery et de Lavenir, toutefois pour une bonne compréhension de l’origine des soutiens d’Abel Bonnard, on eusse aimé que l’on précise que ces deux enseignants lyonnais viennent de L’École émancipée et si Benjamin Azoulay évoque, à juste titre, le Bulletin national de l’enseignement primaire (créé par Bonnard car depuis 1932, il n’y a plus de Bulletin administratif de l’Éducation nationale), on aurait apprécié de voir expliquer que Jean Beaucomont, né en 1891 à Challuy dans la Nièvre et décédé en 1967, précédemment inspecteur de l'enseignement primaire à Albertville mais aussi membre du comité directeur du GFEN à partir de 1935, signant "J.B." en est la cheville ouvrière.

Dans le Bulletin national de l'enseignement primaire n°7 de juillet-septembre 1943, où Abel Bonnard présente son texte sur les cours complémentaires, on trouve un texte de Louis Renard vantant ce type de classe. Ce dernier est lui aussi issu du courant de L’École émancipée.  Ce programme des cours complémentaires paraît également le 18 septembre 1943 dans le Journal officiel. Abel Bonnard entend  réserver l’enseignement secondaire à une élite intellectuelle et c’est pourquoi il encourage le maintien ou le développement des cours complémentaires existants ainsi que la création d’autres classes de ce type. Abel Bonnard entend lutter contre l’exode rural et pour lui non sans raison un élève, qui part étudier au collège, ne reviendra pas résider à la campagne ou vivra mal d’y retourner. Les écoles primaires supérieures, qui préparaient au brevet élémentaire ou au brevet supérieur, sont devenus des collèges, la rentrée 1941, par la grâce de Jérôme Carcopino (prédécesseur immédiat d’Abel Bonard) ; ces collèges préparent non seulement aux deux brevets déjà cités mais également au baccalauréat. Les cours complémentaires sont installés dans des écoles primaires où ils préparent en quelques années les élèves (déjà titulaires du certificat d’études) au brevet élémentaires ; composés d’une seule classe à plusieurs niveaux, ils sont situés généralement en milieu rural,  dans des communes qui ne sont ni des sous-préfectures ni à fortiori des préfectures.  Bref la partie de l’ouvrage de Benjamin Azoulay traitant du rôle d’Abel Bonnard comme ministre aussi intéressant soit-elle est le moins bien documenté de ce livre.

Au gouvernement, Abel Bonnard est de tous les complots visant à renforcer le tournant pro-allemand pour mieux répondre aux exigences allemandes (exposées par Sauckel organisateur du recrutement forcé de main-d’œuvre dans l'ensemble des pays d'Europe), cette allégeance sans nuance exaspère même Pierre Laval à partir de l’été 1943 d’autant que notre ministre de l’instructiontion souhaiterait que Brinon prenne la place de l’Auvergnat. Benjamin Azoulay  donne le garde des sceaux proche de la ligne de Bonnard. Ces deux-là prendront d’ailleurs ensemble un avion qui, depuis l’Allemagne, les conduira en Espagne le 2 mai 1945.

Pour connaisseurs Aucune illustration

Adam Craponne

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