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Histoire de France, 1 De la Gaule à Saint Louis

Histoire de France, 1 De la Gaule à Saint Louis
Édilys 163 pages
1 critique de lecteur

Avis de Ernest : "Avant le Petit Lavisse, le Petit Keller?"

Ernest Lavisse, né en 1842 en Picardie, commence ses publications pédagogiques en 1876 ; avec d’ailleurs une légère révision de l’esprit de ses propos dans les années 1880 pour tenir compte des programmes nationaux de la plume de Jules Ferry. Les manuels d’histoire d’Ernest Lavisse seront employés pendant quasiment toute la IIIe République avec évidemment une actualisation réalisée par lui autour d’abord de l’Empire colonial français, puis de la Première Guerre mondiale. On a même une réédition en 1947 où un professeur anonyme a traité de la Seconde Guerre mondiale.

Toutefois Émile Keller, de 1859 à 1863 puis de 1869 à 1881 et enfin de 1885 à 1889 député de Belfort alors dans le Haut-Rhin, l'avait précédé dans cette tâche. Il décède à Paris en 1909 alors qu’il a dépassé quatre-vingt ans. En 1859 il a donné, pour des élèves, aux Éditions Mame une Histoire de France. Écrite par un catholique ultramontin, elle a été republiée par cet éditeur  jusqu'en 1894. Édilys compte la rééditer en deux volumesl. Nous est offert de découvrir le premier en attendant qu’un succès mérité de celui-ci nous permette de lire le deuxième  qui sortirait en octobre 2018.

Pour rendre plus attrayant le contenu, l’éditeur a ajouté de très nombreuses illustrations, certaines étant tirées d’un ouvrage sur le même sujet écrit par Victor Canet, un ami de Lacordaire,  qui fut professeur aux facultés catholiques de Lille, et publié en 1889.

On relèvera la reprise malheureuse par l’éditeur page 95 d’une carte tirée d’un atlas scolaire des années 1880 où le domaine royal a des contours assez fantaisistes  pour 987, l’Anjou étant évidemment hors du domaine royal et s’il l’avait été on n’aurait peut-être pas eu la Guerre de cent ans. Rappelons qu’Aliénor d’Aquitaine épouse en secondes noces Henri II comte d’Anjou  et petit-fils d’un roi d’Angleterre. D’ailleurs on parle abondamment du comte Foulque III d’Anjou, un titre porté par lui de 987 (sic) à 1040, comme principal adversaire de Henri Ier au début du XIe siècle (page 102).

D’autre part Émile Keller évoque (page 120) un archevêque de Paris sous le règne de Louis-le-Gros or jusque sous Louis XIII, l’archevêque pour Paris est celui de Sens ; le premier archevêque de Paris est en 1622 Jean-François de Gondy. À ce propos une phrase qui prolonge cette affirmation a de quoi surprendre :

« Le roi est plus obstiné, et reste sourd à cette éloquence ; mais, par un arrêt de la miséricorde divine, son fils aîné meurt subitement d’une chute de cheval. Frappé dans son cœur et inconsolable jusqu’au tombeau, Louis le Gros fait pénitence ; son troisième fils prend l’habit de Clairvaux ; et, de peur que le second, le seul qui lui reste, ne lui échappe aussi, il supplie qu’il soit sacré » (page 120).  

J’ai eu du mal à comprendre spontanément que Dieu fasse mourir l’héritier du royaume, la notion de Dieu vengeur étant éloignée de notre mentalité contemporaine. Il nous est apparu captivant de réfléchir personnellement aux suites de ce qui est une vengeance divine, selon notre auteur. En effet d’abord Philippe le fils aîné, d’ailleurs déjà couronné au moment des faits, meurt du fait qu’un cochon affole son cheval. Cela a deux conséquences, tout d’abord cette mort est déshonorante pour la famille capétienne et ensuite arrive comme roi Louis VII dont l’inintelligence politique ne fait pas débat. C’est le souverain qui répudie Aliénor d’Aquitaine (appelée Éléonore dans cet ouvrage), ce qui, comme on l’a déjà dit, joue un rôle majeur dans les conflits qui ravagent le royaume de France de la fin du XIe à la fin du XVe (donc la Guerre de cent ans comprise). J’ai beaucoup apprécié que les raisons pour lesquelles Louis VII part en croisade soient si bien expliquées page 122 ; il y a en effet une suite d’évènements  qui commence par un conflit avec le pape autour de la nomination d’évêques.     

M’a chagriné une note de l’éditeur page 17 qui nous affirme qu’évangélisèrent la Gaule, certains personnages présents dans le Nouveau Testament ; il cite Saint Martial, saint Restitut, saint Ursin, saint Gatien et saint Amadour (page 17). Que l'on signale que des traditions locales attribuent ces actions à ses saints, ne m'auraient évidemment pas fait sursauter et j'aurais appécié que l'on évoque des personnages liés à de pieuses légendes sur le sujet du début de la christianisation de la Gaule dont on ne trouve trace, d'après les historiens, que plusieurs années après la moitié du IIe siècle. Émile Keller s’était modestement et prudemment contenté de l’arrivée sur les côtes de la Narbonnaise de Marie Madeleine, Marthe la sœur de cette dernière, Lazare le frère de ces deux-là et saint Maximin.

Le contenu est globalement très intéressant car on y voit quelle lecture catholique est faite de l’Histoire de France. Il ne surprendra personne que les bons rois sont les rois pieux ou/et ceux qui ont pour conseiller un évêque (on le verra dans le passage que nous citons plus loin autour de Sainte Radegonde). Les moments où certains souverains sont mauvais sont ceux où ils vont à l’encontre des intérêts de l’Église. Sachant que l’auteur défend, avec une exceptionnelle énergie, le maintien des États du pape au moment où il écrit ce manuel, on comprend sa sensibilité à ce sujet.

Par ailleurs, sa préoccupation sociale transparaît comme ici à propos de la Gaule romaine:

« Mais cette prospérité a son triste revers : la fortune est le privilège des grands ou de quelques fonctionnaires pressés de s’enrichir aux dépens des peuples. Ainsi Rome, qui prolongeait son existence en demandant aux nations conquises des soldats, des généraux, des souverains, leur inoculait ses vices et sa dépravation croissante » (page 16).

Sainte Radegonde (statue de Saint-Germain-l’Auxerrois)

Émile Keller met parfois en avant des personnages qui ont un grand intérêt régional. Ainsi les Bourguignons (et tous ceux qui habitent un des nombreux villages au nom de Saint-Léger) aimeront le récit autour de l’évêque d’Autun de 663 à 676 et les Poitevins apprécieront le long passage sur la reine Radegonde, épouse de Clotaire Ier un des fils de Clovis :

« Des six enfants de Clovis, il ne restait plus que Clotaire, brave seulement pour tuer des enfants et pour épouser de force des veuves ou des captives. Il fallut le menacer de mort pour lui faire prendre les armes contre les Saxons révoltés. Se battant à contre-cœur, il fut vaincu et mis en fuite. Parmi les dépouilles de son frère Thierry, il avait trouvé la fille du malheureux roi de Thuringe, la jeune et pieuse Radegonde. Épris de sa beauté, il la fit reine. Elle n’en fut pas moins pieuse, mais plus charitable, et pendant six ans, nouvelle Clotilde, elle obtint le rachat des captifs, le pardon des condamnés, et des trésors pour les pauvres. Quand Clotaire ne voulut plus de cette sainte plutôt religieuse que reine, elle déposa au pied des autels sa couronne, ses bijoux, et prit le voile qu’elle avait toujours désiré.

Elle alla fonder à Poitiers le monastère de Sainte-Croix, groupant des femmes d’élite vouées au travail et à la prière. Simple religieuse, sous les ordres d’une de ses suivantes, elle vivait comme les autres, balayant la maison, copiant des manuscrits ou chantant des psaumes. Charmé par ces aimables vertus, un poète italien, Fortunat, italien cultivé, disait que les Francs ne faisaient aucune différence "entre le cri de l’oie et le chant du cygne". Poursuivi de regrets, que la gloire nouvelle de Radegonde ne faisait qu’irriter, Clotaire cherchait à la revoir. Une fois, il vint jusqu’à Tours ; mais l’évêque de Paris, saint Germain, qui l’accompagnait, lui défendit d’aller plus loin. Sous l’inspiration de ce grand évêque, digne successeur de saint Rémi auprès des enfants de Clovis, Clotaire rendit malgré lui quelques lois sages » (page 39).

Dans un style soutenu, mais avec un contenu abordable, l’auteur développe son discours. Une des clés est que la puissance royale se construit en s’appuyant sur les bourgeois et l’Église mais aussi qu'elle doit faire face à des révoltes seigneuriales. Il est intéressant que les principaux nobles qui les mènent ne soient pas seulement cités, on a droit à un développement autour de chaque conflit en question. Si on compare ce que dit Lavisse sur un évènement historique à ce qu’en rapporte Keller on passe de l’affirmation brute à l’explication des faits. L'ouvrage de ce dernier convient donc à un lectorat d'élèves du secondaire et nombre d'adultes gagneraient à sa lecture.

Accessible jeunesse Beaucoup d'illustrations

Ernest

Note globale :

Par - 333 avis déposés -

751 critiques
21/08/18
Pépin le Bref, roi des Francs et grand-père du Vatican
https://fr.aleteia.org/2018/08/20/pepin-le-bref-roi-des-francs-et-grand-pere-du-vatican-1-5/
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