Avis de Adam Craponne : "Vichy: une justice imbuvable"
Cet ouvrage est préfacé par Charles Berling acteur (notamment dans un rôle de Jean Moulin), metteur en scène, directeur de théâtre, réalisateur, scénariste, producteur et chanteur français. Il a rencontré l’auteur alors qu’il jouait Léon Blum.
Laurent Sebag, aux côtés de Marie Bougnoux et Jérome Pauzat, préside l’association A.M.O.U.R de la justice ; il est actuellement conseiller de cour d’appel à Aix-en-Provence et enseignant associé à l’université de Toulon. Rappelons que le nom de famille "Sebag" est un nom d'origine séfarade, principalement porté par des Juifs d'origine marocaine, tunisienne ou algérienne. Il est dérivé du nom "Sebagh" qui signifie "teinturier". Même si les juifs d’Afrique du nord ont eu un sort moins dramatique, ce qui ne veut pas dire sans souffrances diverses, durant la Seconde Guerre mondiale, on peut comprendre que le thème de la justice française sous Vichy intéresse notre auteur
On apprend incidemment que, lors de nombreuses occasions, lors du culte juif, est dite une prière pour rappeler que la France a été une terre d’accueil pour les juifs. Façon positive de voir les choses car on comprend, en lisant entre les lignes, qu’il y a ici le maintien un peu aménagé d’une injonction napoléonienne à l’encontre de tous les cultes qui avaient signé un Concordat sous la houlette de Napoléon Bonaparte.
Dans son introduction, l’auteur rappelle que les juifs ne furent pas les seuls à être discriminés par le gouvernement de Vichy. Il évoquera également les protestants (mais leurs ennuis furent bien bénins selon nous), les francs-maçons et les nomades mais pas les homosexuels penseront certains lecteurs. Ceux-ci n’ignorent certainement pas que le 6 août 1942, Philippe Pétain fait promulguer une loi permettant une répression spécifique des comportements homosexuels, texte qui d’ailleurs ne sera abrogé que le 4 août 1982. Il y eut également une surveillance attentive de ce que faisaient les femmes de leur corps.
Laurent Sebag rappelle que la Commission centrale d’épuration de la magistrature n’a retenu aucun grief contre les magistrats. D’ailleurs à son procès, nous préciserons que Pierre Laval rappelle au procureur général Mornet, qui occupe le siège du ministère public, qu’il a été à sa demande vice-président, de la commission pour la "révision des naturalisations" ou dénaturalisations, chargée de priver en particulier les juifs de la nationalité française et qu’il a participé à l'élaboration du statut des juifs.
Laurent Sebag, en s’appuyant sur le concept d’habitus, affirme que « pouvoir politique a réglé les choix, les goûts et les jugements de ses magistrats à leur insu » (page 28). Pour lui existent trois questions essentielles :
« - Quel fut le tôle des juges dans la mise en œuvre de la politique totalitaire sous l’Occupation ?
-Comment ces hommes appliquent-ils les textes raciaux ?
-Comment ces hommes de loi auraient pu s’opposer à une ségrégation institutionnalisée ? »
Le premier texte international réprimant les crimes de guerre date du 8 août 1945 et fut signé à Londres. Selon l’auteur le terme "révisionniste" est chargée d’ambiguïtés, aussi il préfère qualifier de "négationniste" celui qui réfute la réalité de l’extermination voulue des juifs par les nazis.
Le premier personnage sur cette ligne à être médiatisé fut Paul Rassinier, militant communiste puis socialiste dans l’Entre-deux-guerres. Cet instituteur belfortain fut lui-même déporté, mais grâce à sa parfaite maîtrise de l’allemand, il semblerait qu’il ait bénéficié d’un régime de faveur. Le second grand communicant était jusqu’à peu Robert Faurisson, mort en 2018 (ironie du sort à Vichy). D’autres, non cités ici, ont pris le relais dont l’ancien professeur de lycée technique Vincent Reynouard.
Lors de la Révolution française les discriminations à l’égard des juifs avaient disparu, Napoléon en introduit de nouvelles par le décret du 17 mars 1808. En s’appuyant sur l’émoi suscité par le scandale de Panama en 1882, naît le mythe du complot juif en France. On sait que l’Affaire Dreyfus renforce l’antisémitisme. Durant le régime de Vichy, cette même idéologie s’ancre dans les milieux judiciaires.
Dans une première partie nommée "Le rôle des juges à l’heure de Vichy", Laurent Sebag informe que Vichy créa certes des justices d’exception, mais que l’essentiel de la répression fut portée par des tribunaux ordinaires. Sont présentés, pour illustrer l’action d’ostracisation des juifs, des documents et des photographies de deux personnages, à savoir Raphaël Alibert garde des sceaux de juillet 1940 à fin janvier 1941 (et à ce titre rédacteur de la législation antijuive) et Xavier Vallat commissaire aux questions juives.
« Les nombreuses incapacités de jouissance finirent à terme par dégrader la personnalité juridique des juifs. Elles ont été aussi contraires à leur essence, puisqu’elles ne visent pas à les protéger, mais devenaient destructrices de la personnalité juridique » (page 93).
Le second chapitre de cette première partie porte sur le rôle des juges vichystes face à des choix d’interprétation des législations antisémites et anti-communistes. Il est question du jeune Toulonnais Adino Basili sur quatre pages pleines (voir https://maitron.fr/spip.php?article176836).
La seconde partie de ce livre est l’occasion d’évoquer les procès de responsables français de crimes de guerre qui concernent René Bousquet, Maurice Papon, Jean Leguay et Paul Touvier. Il est fait également place au procès de Klaus Barbie. Ceci ne va pas sans poser la responsabilité globale du régime.
Le deuxième chapitre de la seconde partie s’intitule "La responsabilité des falsifications de l’histoire : la relation juge-historien". On disserte là autour de la distinction à faire entre vérité historique et vérité judiciaire, de l’attitude des tribunaux face à des propos négationnistes et d’apologie de crimes de guerre. Apparaît sans surprise le contenu de la loi Gayssot de 1990 et les figures de Dieudonné et de Soral.
Répression judiciaire de l’antisémitisme, d’apologie du terrorisme ou de crimes contre l’humanité dans les années 2020 se produisent dans un contexte où les repères se brouillent. Ce propos est amené dans la conclusion. L’auteur reproduit ici notamment la fresque d’Avignon (due au graffeur Lekto) où on peut voir Jacques Attali manipuler une marionnette avec la tête de Macron, cette image est mis en regard d’affiches antisémites de la fin du XIXe siècle. Il rappelle que l’antisémitisme a eu ses heures à l’extrême-gauche et s’offusque à ce titre d’un propos de Jean-Luc Mélenchon où il reproche à Yaël Braun-Pivet de camper à Tel-Aviv car Laurent Sebag fait le lien entre le verbe en question et le vocable "camp d’extermination".
Aujourd’hui les choses sont compliquées car il est parfois très difficile de faire la différence entre une position antisémite et une opinion antisioniste. Certains lecteurs ne suivront pas le raisonnement de Laurent Sebag qui lui permet d’écrire (à leur grand dam) « que l’accusation d’existence d’un apartheid sur le sol d’Israël est un non-sens ». Ils auront d’autant moins de possibilités de tomber dans cette opinion qu’ils auront vu le film No other land cosigné par quatre cinéastes (deux Palestiniens et deux Israéliens).
Pour connaisseurs Beaucoup d'illustrations