Avis de Octave : "Douze balles pour des Mata-Hari qui demandaient habituellement cher pour une passe"
Notre titre s’explique en raison du fait que nombre des femmes évoquées vivaient de la galanterie. Jusqu’en 1914, les seules femmes qui pèsent sur le devenir des états sont les maîtresses des souverains, voire des ministres ; songeons à Virginia de Castiglione, l'amante de Napoléon III, mise dans le lit de l’Empereur des Français par son cousin Camillo Cavour, afin d’obtenir le soutien de la France pour favoriser l’unité italienne.
Les espions sont jusque-là des hommes et on peut suivre Jean-Claude Delhez qui avance que l’espionnage associée à la séduction est, à l’échelle qu’il prend, une des grandes nouveautés de la Grande Guerre. Si bien que dans l’après-guerre, on se croit obligé de faire la différence entre les agents alliés de sexe féminin qui couchaient et celles qui ne couchaient pas. Selon L’action française et autres journaux de droite, dans les réseaux de renseignement de femmes catholiques (Louise de Bettignies et Marie de Croÿ), on n’avait jamais obtenu de confidences sous l’oreiller et évidemment ce n’était pas le cas avec des laïques comme Marthe Richard.
L’auteur se devait de commencer par la plus connue des espionnes à savoir Mata-Hari et les Ardennais seront surpris d’apprendre que cette dernière prit peut-être langue avec l'ennemi à Vouziers où l’état-major allemand s’est fixé selon Jean-Claude Delhez (d’après le n°76 du Curieux vouzinois, ce serait là qu’est le QG de la IIIe armée allemande). Elle aurait été mis en relation par le capitaine Hoffmann par l’intermédiaire de Werner von Mirbach qui l’avait connue (bibliquement ou pas) avant-guerre. C’est évidemment un passionné d’ornithologie (un prix porte encore aujourd’hui son nom), à savoir Carl Cremer qui paye à Amsterdam cet oiseau des îles des Indes orientales hollandaises. Voilà que même sur celle sur laquelle on a accumulé les textes, que l’auteur arrive à nous fournir quelques informations qui seront inédites pour la plupart des lecteurs.
Jean-Claude Delhez profite là, page 27, pour faire le point sur la fameuse Élisabeth Schragmüller, que l’on voit d’ailleurs apparaître dans quelques albums de BD. Cette dernière est alors un des personnages phare du renseignement allemand. Régulièrement, dans quasiment tous ses articles, il fait la biographie de personnages en rapport avec l’agent de renseignements évoqué. Ceci constitue évidemment un sérieux plus pour cet ouvrage. J’ai personnellement beaucoup apprécié (page 47), autour du capitaine Edgar Probster d’un sous-marin allemand, le récit de la tentative manquée d’armer des tribus au Maroc afin qu’elles se soulèvent contre les Français, ceci sous la direction du sultan El Hiba (en concurrence avec Moulay Youssef).
En second, on retrouve sans surprise Marthe Richard, opérant en Espagne. Avec (ou sans) étonnement, on découvre Léon Daudet se couvrant une fois de plus de gloire, entre l’Affaire des bouillons Kub et la seconde Affaire Caillaux. Il dénonce, dans L’Action française du 11 août 1917, comme espionne (au service de l’Allemagne) notre bonne Lorraine. On reparle à cette occasion des menées allemandes au Maroc et c’est cette fois à partir du Rif (occupé par les Espagnols) qu’ils agissent. Marthe Richard se voit confier, par les Allemands, des charançons qui introduient dans le blé, envoyé par l’Argentine, en Angleterre et France doivent y ravager les futures récoltes (page 98). Les services allemands auraient aussi répandu des épidémies de morve ou de charbon parmi les troupeaux en Europe et en Amérique latine (page 102).
Sont présentées ensuite l’actrice Odette Rousseau (de son nom de scène) mêlée à une tentative de paix séparée entre la France et l’Autriche, par l’intermédiaire d’Alphonse XIII roi d’Espagne. Elle récupère sur l’oreiller, et non dans un taxi, les précieux documents. Grâce à Jean-Cleude Delhez, j’ai enfin compris complètement une affaire d’espionnage où, en partie à Barcelone, sont mêlés des militants anarchistes dont Paul Pélissier né à Salon-de-Provence, Victorine Faucher qui a vu le jour à Périgueux et est une amie intime de Rirette Maîtrejean (liée à la bande à Bonnot mais acquittée lors du procès des survivants) et Joséphine Alvarez native de Cognac. Charles Gitton, marin vendéen, en devenant l’amant de Victorine Faucher se trouve mêlée à cette affaire d’espionnage qui se termine à Nantes par douze balles dans la peau pour les deux femmes.
Sont évoqués trois hommes, en premier l’Allemand Rudolf Stallmann qui est une Mata-Hari au masculin, malhonnêteté commune mais intelligence en plus. Le second est Pierre Boudaille, fils d’un officier né à Vouziers, il s’était engagé au 91e RI basé à Charleville mais il est réformé au bout de six mois. Il part pour les Balkans et c’est un acteur (authentique) à Salonique, réputé un nid d’espion, comme le rappelle un film sorti en 1937. Lui aussi est un agent pour tous et pour aucun car il escroque tous les services qui l’emploient. Le troisième Gaston Bricka nous amène à Mécrin dans la Meuse et il semble avoir commencé son action d’espion au profit des Allemands dès le tout début du XXe siècle.
On a une page sur Mathilde Lebrun, née à Nantes en 1879, qui eut une carrière d’espionne rudement efficace pour le compte des Français en 1915, révélant le rôle d’agent pour les Allemands de Maria Liebendall à Nice et Félicie Pfaadt à Marseille. Un large portrait de cette dernière et de ses activités étant dressé ; elle met en cause Pascal Ceccaldi, député et avocat de Caillaux. Toutefois lors du procès de Caillaux, on feindra de croire que c’est l’ancien président du Conseil qu’elle a pensé être un espion allemand, l’avantage est que, fusillé en août 1916, elle n’est plus là pour rectifier. On termine les biographies complètes avec Antoinette Avico, ayant pour nom de scène Regina Diana. Avico est suisse ; elle est exécutée à Marseille le 5 janvier 1918, elle avait envoyé des cartes postales de la France pour la Suisse qui, passées au révélateur chimique, donnent des informations en particulier pour le départ de troupes vers Salonique.
On a aussi des renseignements plus généraux, mais non dépourvus de noms de personne, comme sur les agents français agissant dans l’hexagone pour le compte de l’Allemagne entre 1900 et 1918.
https://www.lemonde.fr/sciences/article/2014/06/02/entre-1914-et-1918-allemands-et-allies-se-sont-livres-une-guerre-bacteriologique_4430494_1650684.html