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Le Jour de deuil de l’armée française,2

Le Jour de deuil de l’armée française,2
Jean-Claude Delhez 55600 Thonne-la-Long2012 pages
1 critique de lecteur

Avis de Octave : "L’audace disciplinée est de mise"

                          Il est fort dommage que la forme prise par le texte soit un peu rebutante (voir infra)  car dans un ouvrage strictement d’étude quatre journées de la Grande Guerre se sont jamais vues consacrées une moyenne de cent pages chacune. Si le récit prend fin le 26 août, avec la reddition de la forteresse de Longwy, l’ouvrage démarre le 23 août et une page rappelle que le jour précédent le général Joffre avait lancé une grande offensive qui concernait environ un demi-million de soldats ; le but était de couper l’armée allemande en deux au niveau de cités du Luxembourg belge. On peut se plonger dans ce second tome sans avoir lu obligatoirement le premier car l’auteur sait nous introduire au cœur des actions qui vont d’un dimanche à un jeudi. 

                            Revenant sur cette journée du 22 août, l’auteur en fin d’ouvrage (page 527) écrit : « En fin de compte, le 22 août 1914 aura été pour la France un triple jour de deuil : celui des soldats, celui de l’offensive Joffre et enfin celui de son économie. Le plus important des trois, celui de l’économie, en prolongeant la guerre, en épuisant les nations, forgera les mentalités européennes qui conduiront à la seconde guerre mondiale ». Il dit aussi juste après que de cette bataille des frontières les généraux de l’Entre-deux-guerres concluent que le sort d’un prochain conflit (avec invasion de la Belgique) se jouerait vers Charleroi et non dans l’Ardenne belge, là où passeront justement les Allemands en 1940.

                             Jean-Claude Delhez qualifie ce 22 août 1914 de "Jour de deuil de l’armée française "  car ce jour-là 50 000 Français sont mis hors de combat (pour moins de 30 000 Allemands) et il y a près de 26 000 morts français ; ces chiffres  rendent cette journée «  la plus sanglante de la première guerre mondiale et même de toute l’histoire militaire française ». C’est ce jour-là que Maunoury prend la direction de l’armée de Lorraine reprenant du service depuis peu puisqu’il était en retraite depuis 1912. L’armée française ne se bat plus essentiellement en Belgique ou vers Colmar et Mulhouse (villes alors du Reich), elle doit maintenant songer à limiter la percée allemande dans le territoire national. La collecte des témoignages est très impressionnante et elle provient d’acteurs tant français qu’allemand.  Ainsi on obtient (sur un ou deux de ces tomes) les souvenirs de l’écrivain Jacques Rivière sur les combats situés vers Jarny en Meurthe-et-Moselle, celui de Rommel (tiré de L’Infanterie attaque dont nous avons rendu compte ici), d’un Alsacien Joseph Reinach (d’un village près de Bâle) qui sert dans l’armée allemande, de Maurice Chevalier (alors au 31e RI), du Kronprinz, de Gamelin, de Renaud Jean (futur leader communiste du Lot-et-Garonne qui est alors au 24e régiment d’infanterie coloniale) , de Louis Pergaud … On apprend par exemple dans une note page 628 que Gaspard qui reçoit le Goncourt en 1915, a été composé par René Benjamin à partir de ses souvenirs de la bataille de Spincourt (entre Thionville et Verdun) où il est blessé le 24  août. L’ouvrage s’appuie de plus sur un nombre pharamineux d’études dans différentes directions dont par exemple l’économie.

                          Fort heureusement l’épilogue et la conclusion mesurent différents états pour ces journées : forces engagées, pertes, enseignements tactiques, psychologie du soldat, idéologie du sacrifice en lien avec certains aspects du catholicisme français, rôle de Joffre dans le  limogeage de généraux, chiffres sur l’exploitation du bassin minier de Longwy-Briey avec questions sur l’inefficacité du bombardement de ce dernier et désir allemand de garder absolument ces ressources en cas de négociations de paix (jusqu’au début 1918), parallèle entre la montée du pacifisme en France dans l’Entre-deux-guerres et en Allemagne après 1945 du fait qu’il y ait eu invasion, historiographie de ces batailles, innovations en matière de tactique et de matériels. Pour la page 497 il y a une estimation des désertions dans chaque camp et on s’aperçoit que pour tout le mois d’août 1914 seules un dizaine sont attestées côté français alors qu’elles sont bien plus nombreuses côté allemand car le fait de soldats appartenant à des minorités comme des Polonais de la 10e division d’infanterie après la bataille de l’Elthe se sont rendus aux Français et des Lorrains ayant quitté la 40e division d’infanterie ont prévenu d’une attaque sur Mercy-le-Haut. Pour le lecteur attentif cet ouvrage contient une mine de renseignements et on apprend (page 591) que dans les six régiments les plus touchés (ceux qui ont plus de 2 000 victimes pour moins de 3 400 comme effectif), on compte 4 régiments d’infanterie coloniale  le premier venu de Saint-Louis du Sénégal, le deuxième, le troisième et vingt-troisième. Ces troupes n’étaient pas composées de troupes indigènes (Nord-Africains et soldats d’Afrique noire), ce sont des Européens appartenant à ce qu’on appelait aussi l’infanterie de marine. Les deux autres unités les plus frappées sont le 2e régiment d’Artillerie de Campagne qui, qualifié d’anéanti, a ses casernes à Grenoble et le 11e RI  basé à Montauban et on se dit que ce sont elles aussi des troupes du Midi (allusion à la mauvaise polémique autour des bataillons basés en Provence initiée par le sénateur Gervais dans "Le Matin", à laquelle Clemenceau sénateur du Var apporte son eau au moulin).      

                            L’auteur revient sur l’idée que la défaite française n’est due qu’au fait que les charges de l’infanterie française auraient été fauchées par l’artillerie française et aux pantalons rouges pour mettre plus en avant les faillites du commandement des officiers supérieurs. Ces insuffisances sanctionnées arbitrairement donnèrent naissance au verbe "limoger" car une bonne partie des généraux relevés de leur commandement furent assignés à résidence par mesure disciplinaire dans la 12e région militaire, dont le siège était à Limoges. Parmi ceux-ci nous relevons (en complément au contenu de ce livre) la présence du général Lanrezac qui, à la tête de la Ve Armée française (près de 300 000 hommes) voyant le risque d’être encerclé par trois armées allemandes, décide le 23 août de faire reculer son armée après les combats autour de Thuin (en Belgique non loin de Maubeuge). Préservant ses troupes, il s’impose à la bataille de Guise, ce qui facilite la victoire sur la Marne quelques jours plus tard.

Commandant en second de l'École de Guerre, Charles Lanrezac fut l'un des rares stratèges français  opposé à la théorie de l'offensive à outrance : « Si chaque commandant de corps subordonné a le droit de bourrer, tête baissée, sur le premier adversaire à sa portée, le commandant en chef est impuissant à exercer la moindre action directrice ». Par ailleurs on lui attribue la célèbre formule: « Attaquons, attaquons... comme la lune ! ». On voit, à travers cet exemple, que certains payèrent soit une inimité ancienne (bien moins de Joffre que des généraux de corps d’armée et de division explique Jean-Claude Delhez), soit un refus de respecter à la lettre des ordres en particulier ceux de tenir le terrain (alors que l’auteur pointe page 486 les marges d’initiative réelles en usage dans l’armée allemande), soit d’avoir été vu en situation d’abattement psychologique.

L’auteur pour sa part explique dans une note page 646 que « le général Coquet est (…) écarté de la 52e DR par Langle le 30 août pour insuffisance et apathie, alors que ce même Coquet venait de bloquer la tentative de franchissement de la Meuse par les Allemands à Fumay par une réaction dont la vivacité tranchait précisément avec l’habitude des généraux français ».  D’autre part parmi les démis de leur fonction il y a des lieutenants-colonels et des colonels et on apprend au bas de la page 441 que le lieutenant-colonel de Hautecloque remplace le 8 août le colonel Raymond (démis par le général Ruffey) à la tête du 14e hussard. Une rapide recherche sur internet nous apprend qu’il s’agit du frère du futur maréchal Leclerc et que Wallerand Hauteclocque décède le 22 août à Ethe en Belgique. L’ouvrage se termine par une réflexion qui élargit le sujet traité vers une philosophie de l’histoire : « Le rapport de l’homme au réel, et donc au mensonge, est largement sous-estimé dans la compréhension de notre Histoire comme dans notre présent. La dissimulation de la réalité est un des fondements sociaux et intellectuels des sociétés catholiques, comme la France, et peut-être de l’humanité en général, d’ailleurs». 

                             Si vous comprenez spontanément ce que sont les GDR, DR, RIC, BCP, CA, RA, RAC, IR, ID, FAR, RFAR, DM, DIC, AK, KD, FFA et j’ai dû en oublier, vous n’avez pas besoin du tableau des sigles du tome 1. Un outil qu’on aimerait avoir à notre disposition, quitte à ce qu’il ne soit que dans le tome 2 et renvoie aux deux tomes, est un index où figureraient les noms de tous les personnages dont on voit citer les propos et de tous les officiers évoqués. Enfin cerise sur le gâteau il faudrait un index des régiments (avec mention du nom de leur division et de leur corps d’armée) afin que le lecteur qui cherche des informations sur un homme dont il connaît le régiment puisse aller aux bonnes pages. Il faudrait souligner le choix d’une iconographie variée et assez abondante : cartes géographiques, cartes postales, dessins et photographies représentant des généraux des deux camps, groupes de soldats, lieux venant de souffrir des combats …    

                              Pour une très bonne connaissance de la question de cette Bataille des frontières d’où découle l’occupation du  sud de la Belgique et du nord-est de la France pour plus de quatre années, on lira non seulement le premier tome écrit par Jean-Claude Delhez mais également largement commenté par Jean-Louis Philippart et Eric Labayle "Rossignol, 22 août 1914. Journal du commandant J. Moreau, chef d'état-major de la 3e division coloniale" (édité par ANOVI) qui regroupe, en fait en plus du document qui lui donne son titre, deux autres témoignages inédits écrits par le lieutenant Chaumel, chef de section au 3e R.I.C. (on a vu combien son effectif fut touché), et par le colonel Guichard-Montguers, commandant d'artillerie divisionnaire.
 

L'ouvrage peut s'acquérir en contactant Jean-Claude Delhez 55 Grand-rue 55600 Thonne-la-Long, le livre revient à 28 euros plus 5 euros de port.

Réservé aux spécialistes Quelques illustrations

Octave

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