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Les cheminots, Vichy et la Shoah: Des travailleurs ordinaires

Les cheminots, Vichy et la Shoah: Des travailleurs ordinaires
Tallandier 382 pages
1 critique de lecteur

Avis de Benjamin : "Le train sifflera deux fois aux oreilles de Tallandier qui a saboté cette édition en français"

On peut connaître la glorification des cheminots dans la Résistance à travers le film La bataille du rail qui reçut le prix du Jury du Festival de Cannes 1946 où René Clément présente les Résistants comme un collectif soudé, et il a choisi en grande partie des acteurs non-professionnels. C'est le premier film sur la Résistance tourné après la Libération. Le film commence au début de l'Occupation et se termine sur la Libération ; il a été tourné essentiellement en Bretagne (voir Henri Alekan raconte une anecdote de tournage sur La bataille du rail http://www.ina.fr/video/I10109510); il se veut à dimension documentaire. L’entreprise SNCF est décorée de la Légion d'honneur le 4 mai 1951: «La SNCF, par la solidité et la continuité de son organisation, grâce à l'intelligence, au travail, à l'abnégation, au courage de ses chefs, de ses cadres et de tout son personnel (...), a sauvegardé le chemin de fer de l'emprise de l'occupant.» 

Toutefois on peut être aussi au courant de la mise en cause de la SNCF dans son rôle par rapport à la Shoah. Pour le rôle de la SNCF dans la Déportation, selon l’accord de décembre 2014, le gouvernement français verse 100 000 euros à chaque déporté américain. Par ailleurs les anciennes gares de marchandises de Bobigny et du quai aux bestiaux de Pantin (100 rue Cartier-Bresson et 44 rue Denis Papin), d’où partaient les gens internés au camp de Drancy, ont été ou vont être aménagées en lieu de mémoire (voir http://www.leparisien.fr/pantin-93500/pantin-la-gare-de-deportation-oubliee-va-enfin-devenir-un-lieu-de-memoire-23-03-2016-5654197.php). La scène du départ le 15 août 1944 de l’avant-dernier train de déportés (en partance de la région parisienne) du film Paris brûle-t-il de René Clément a été tournée sur les lieux-mêmes du quai aux bestiaux de Pantin. Deux jours après, à l’initiative d’ Alois Brunner commandant du camp de Drancy, part de Bobigny un wagon de déportés dans lequel se trouve Marcel Dassault.   

En effet la SNCF a transporté 76 000 Juifs de France dans des wagons de marchandises à travers le pays et vers les camps d'extermination entre 1942 et 1944. Il y eut 40 450 déportés qui partirent de la gare du Bourget – Drancy et 22 453 de la gare de fret de Bobigny. En France Georges Lipietz (père des militants écologistes Alain et Hélène) a obtenu en 2006 la condamnation de l’État et la SNCF, en raison de leur responsabilité respective dans les faits incriminés, à verser respectivement 10 000 et 5 000 € à chaque victime (Georges, Guy et leur parents) au titre des dommages et intérêts. Ultérieurement une décision en appel a fait que la SNCF ne peut être regardée comme responsable, ayant assuré l’exécution d’une décision administrative. L’État n’a pas fait appel. Voir http://lipietz.net/spip.php?rubrique75

Ludivine Broch parle de l’évolution du métier de cheminot tout au long du XIXe siècle et jusqu’en 1939, on apprend que l’élément déclencheur des grèves de début 1920 fut l’absence de lavabos, réclamés depuis longtemps, aux ateliers de Périgueux. L’arrivée de Raoul Dautry à la direction générale des chemins de fer de l’État  En 1928 puis sa place au conseil d’administration de la jeune SNCF se traduit par le développement des cités-jardins cheminotes et d’autres mesures paternalistes en direction des employés et de leurs familles. Cela peut expliquer leur remarquable absence des grèves de 1936, d’autant que la nationalisation des chemins de fer apporte une sécurité professionnelle.

Lors de la Débâcle, le personnel de la SNCF ne semble pas briller par son patriotisme ou sa compassion pour les réfugiés et Marc Bloch le souligne dans L’étrange défaite.  Jean Berthelot directeur adjoint de la SNCF devient ministre des Transports et des communications de juin à septembre 1940 puis de décembre 1940 à avril 1942.  Date à laquelle il réintègre la SNCF comme adjoint au directeur général Robert Le Besnerais déjà en place à la création de la SNCF. Ce dernier écrivait le 2 juillet 1940 : «Le désir du gouvernement français et celui des autorités allemandes d'occupation paraissent être d'accélérer, par tous les moyens, la remise en marche de l'économie française». Alors que les Allemands avaient tout intérêt à voir revenir un grand nombre de cheminots prisonniers mais les négociateurs français furent peu adroits et environ seulement la moitié des 35 000 dans les stalags ou offlags étaient revenus en France en février 1941. Les femmes embauchées durant la Drôle de guerre sont gardés et on en recrute 32 000 en plus. Augmentation de la durée de travail et maintien au-delà de l’âge de la retraite viennent compléter ces mesures.

Pierre Guinand a été remplacé en septembre 1940 à la présidence de la SNCF par Pierre-Eugène Fournier. L’ouvrage fournit, en particulier pages 212 et 213 des exemples qui prouvent que ce dernier ne fit rien pour sortir de Drancy ces employés juifs et que ceux qui quittaient avant novembre 1942 la zone nord, par crainte d’une arrestation, ne se voyaient pas proposés un poste une fois la ligne de démarcation franchise.  Les juifs travaillant à la SNCF étaient peu nombreux et ne bénéficièrent guère d’une protection de leur employeur. Le 15 juillet 1942, le représentant de la SNCF propose que les convois de déportés soient dénommés "transports IAPT" («Israélites Allemands, Polonais, Tchécoslovaques») afin de ne pas choquer les populations outre-mesure. L’auteure pose la question des imites de la responsabilité de la SNCF dans la Shoah et on pourra retenir ceci :

« Si la SNCF a commis un crime moral, ce fut en acceptant d’effectuer des transports, et non en se faisant payer pour cela. Comme l’a fait remarquer Annette Wieviorka, il aurait été encore plus scandaleux que la SNCF ne facture pas ces services, ce qui auraient sous-entendu qu’elle y participait de son plein gré.» (page 238)

 Auparavant l’auteure a cité des exemples de sabotage et les cas de conscience de ceux qui les effectuaient, aucun de ceux cités ne concerne un train de déportés. On liera attentivement les pages concernant le cheminot Léon Bronchart (né à Bapaume en 1896), seul conducteur à avoir refusé de diriger un train contenant des internés politique de la gare d'Eysses  vers Saint-Pol-des-Jeaux (pages 290 à 294). Pour cela et avoir caché des juifs, il est le seul cheminot parmi les Justes. Il semblerait  que des petites actions comme enlever des écrous des boulons de fixation des planchers des wagons puis ralentir ponctuellement les trains permirent quelques évasions. Tous les lecteurs n’approuveront pas ces lignes de Ludivine Broch :

« De toute manière, qu’aurait apporté le sabotage d’un train de déportés ? S’ils n’avaient pas été tués ou blessés, où seraient allés ces centaines d’hommes, de femmes et d’enfants ? ». (page 240)  

L’ouvrage est paru en juin en anglais et l’éditeur d’outre-Manche avait proposé un certain nombre d’illustrations dont la BD Bogy et Tampon qui paraissait dans la revue cheminote Notre métier. Tallandier a préféré priver le lecteur français de toute illustration, ce qui est à notre avis proprement scandaleux.  S’il y a bien un index des noms de personnes dans la version française, la version anglaise permet de recenser aussi les lieux cités. Ces deux manques expliquent notre titre et notre appréciation s’en ressent.

Un exemple, hors Seconde Guerre mondiale, de la BD dont nous avons été privée

Pour connaisseurs Aucune illustration

Benjamin

Note globale :

Par - 459 avis déposés - lecteur régulier

733 critiques
30/10/16
Gare de Compiègne. Le Mémorial du wagon de la déportation.
http://desnos.1944.1945.over-blog.com/memorial-du-wagon-de-la-deportation
Inauguration du Mémorial du wagon de la Déportation à Compiègne en 2013 http://www.leparisien.fr/espace-premium/oise-60/les-wagons-de-la-deportation-inaugures-15-03-2013-2641111.php
663 critiques
07/01/17
Appel aux dons de la Fondation du Patrimoine pour la restauration des sols pavés foulés par les déportés de la gare de déportation de Bobigny.

De plus un appel pour retrouver et rassembler une dizaine de wagons de marchandises des années 1940 ayant servi à la déportation des Juifs de France, comme celui placé au mémorial de Drancy.

http://www.gazettevaldoise.fr/2017/01/06/memoire-idfm-appelle-aux-dons-pour-la-memoire-de-la-shoah/
733 critiques
22/11/18
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