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Le maître à la gueule cassée

Le maître à la gueule cassée
Rouergue265 pages
1 critique de lecteur

Avis de Adam Craponne : "Le livre excellent est celui qui émeut, stimule, met en branle la réflexion parce qu’il y a quelque chose d’ample et grave"

Cette citation est de Léon Émery et si elle a sa place comme titre, c’est que cela permet d’introduire, autour de ce roman, l’homme qu’on attendait dans ce texte. Professeur à l’École normale de Lyon pendant toute l’Entre-deux-guerres, après en avoir été élève-maître, il professait des idées pacifistes proches de celles du héros de l’ouvrage "Le maître à la gueule cassée". Ce dernier est Louis-Joseph qui est envoyé un an sur les bancs de l’École normale du Rhône au milieu des années 1920.

D’ailleurs Léon Émery était ultra-pacifiste comme nombre de membres proches du courant de l’École émancipée au sein du syndicat des instituteurs. C’est au sein de cette tendance que l’on trouvait proportionnellement le plus de promoteurs de la pédagogie dite Freinet (pas ce dernier d’ailleurs, mais c’est le cas de Wullens instituteur parisien, qui est le second du mouvement). Par ailleurs on aurait pu glisser également un ou deux noms d’instituteurs militants syndicaux comme Lavenir qui sera membre du cabinet d’Abel Bonnard ministre de l’Éducation nationale d’avril 1942 à l’été 1944.

"Le maître à la gueule cassée" peut être considéré comme le second tome d’une série qui ne dit pas son nom et commencerait par "Les frères Joseph". Sans avoir lu ce dernier ouvrage, on rentre très facilement dans "Le maître à la gueule cassée".

François et Louis-Joseph ont vécu ensemble dans les tranchées quasiment durant tout le conflit, comprend-on. Leur amitié survit dans ces années 1920 et 1930 comme on le voit dans ce second livre. Toutefois on évoque à tort dans la quatrième de couverture, que ce n’est pas François qui incite Louis-Joseph à passer le concours d’entrée à l’École normale (que ce dernier réussit en juin 1924) mais l’ancien instituteur de Louis-Joseph.

Louis-Joseph a donc sa première classe en octobre 1925, donc les élèves qu’il a connus en 1925-26 ont effectivement vingt ans en août 1939 comme il écrit toujours sur cette quatrième de couverture. À propos d’École normale, j'ai d'abord cru que François avait fait l’École normale supérieure, car il est donné agrégé (au bas de la page 35).

En fait, fils de paysan doté du certificat d'études comme plus haut diplôme (comme le précise la page 48 du tome 1(que j'ai lue postérieurement), François n'aurait même pas été autorisé à présenter le concours de l’École normale d'instituteur en 1914. Admettons, sans aucune réserve, qu'il ait pu réussir au brevet élémentaire, nécessaire pour s'inscrire au concours pour devenir instituteur, après avoir été réformé pour la perte d'un bras. Mais que dire de l'idée d'imaginer qu'il aurait pu enseigner en secondaire au lycée, même sans l'agrégation ; par contre il aurait pu avoir un emploi d'instituteur au petit lycée, c'est-à-dire dans les classes élémentaires qu'on trouvait dans les lycées jusque dans les années 1960. Et cet emploi l'aurait amené à fréquenter des enseignants majoritairement agrégés et de parents d'élèves appartenant pour le plus grand nombre à la petite et grande bourgeoisie; cela aurait aidé à son évolution idéologique.

La substance de ce roman est le glissement qui fait de Louis-Joseph un militant socialiste pacifiste engagé dans les méthodes nouvelles d’enseignement et de François un adhérent des Croix-de-feu puis un journaliste à "Je suis partout". Le fait que ces deux anciens poilus partent dans deux directions différentes est une idée tout à fait pertinente. Ils sont pourtant du même milieu, comme on l'a vu dans le premier volume.

On suit deux vies parallèles qui s’entrecroisent à certains moments du fait de cette camaraderie de tranchées. François sort des griffes des franquistes le fils de Louis-Joseph parti combattre en Espagne dans les brigades internationales. Le récit se termine avec l’annonce de la déclaration de la Seconde Guerre mondiale. La montée du syndicalisme chrétien, les revendications féministes et les grèves du Front populaire.

La particularité de l’ouvrage est qu’à côté du récit sont proposés des extraits de carnets tenus par Louis-Joseph (poursuivant vraisemblablement une tâche commencée à la guerre) et des courriers des principaux acteurs.

Ce roman historique dépeint bien l’atmosphère de l’Entre-deux-guerres pour la France. À travers des points de vue idéologiquement différents, on peut se faire une idée de la façon dont furent vécus certains évènements. Les conséquences de la guerre sur les hommes sont bien perçues dans diverses dimensions : gueules cassées (mutilation du visage), obusés (troubles mentaux) ou gazés.

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Adam Craponne

Note globale :

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