Avis de Adam Craponne : "À vos téléviseurs le 16 novembre 2017!"
Bernard Papin est maître de conférences de l’université Paris Sud et membre du Centre d’Etude des Images et des Sons Médiatiques où il anime un groupe de réflexion sur la fiction historique. En 2010, il avait donné l’ouvrage Images du siècle des Lumières à la télévision.
Le feuilleton apparaît dans la presse sous la Monarchie de juillet et en matière de feuilleton télévisuel en France on remonte à 1950 avec L'Agence Nostradamus qui est une série policière mâtinée d’allusions astrologiques dans une dimension humoristique. Certains d’entre nous peuvent se rappeler que dans les années 1970, la télévision française diffusait Les rois maudits qui étaient une adaptation du roman en plusieurs volumes de Maurice Druon et Schulmeister, espion de l’Empereur (avec Jacques Fabri dans le rôle du héros).
Dans la mesure où cette série du Village français a couru sur sept saisons en neuf ans (de 2009 à 2017), avec soixante-douze épisodes de cinquante-deux minutes, cette œuvre revêt un caractère exceptionnel. Il s’agissait de faire percevoir la période de L’Occupation telle qu’avaient pu la vivre les Français dans leur commune et de ne se référer à des évènements politiques ou militaires que lorsqu’ils avaient des répercussion dans la vie de tous les jours de cette sous-préfecture du Jura complètement fictive. Celle-ci se trouvait dans une position stratégique intéressante pour le récit puisqu’à la limite de la zone occupée et la zone libre et non loin de la Suisse.
On est toujours dans le vraisemblable, en prenant toutefois certaines libertés pour tout y caser. En effet s’il est intéressant par exemple de mettre en scène pour l’année 1940 des réfugiés espagnols et des aviateurs anglais, aucun de ces groupes ne mit les pieds à l’époque en Franche-Comté ; cependant cette licence permet de rappeler que nombre d’autres Français rencontrèrent cette année-là cette sorte de gens. Dans le préambule, basé pour beaucoup sur des extraits d’interview du scénariste Frédéric Krivine et de l’historien conseiller Jean-Pierre Azéma, le lecteur reçoit les lignes directrices du discours tenu et parfois les sources qui aident à les étoffer (lecture de tous les exemplaires d’un quotidien paraissant sur l’année 1941 par exemple).
Le chapitre "D’un débarquement l’autre …" revient sur l’essentiel des évènements mis en scène et les sentiments de certains personnages face à eux, ceci de l’arrivée des Allemands (une sorte de débarquement) en juin 1940 à la Libération (qui fait suite au Débarquement des Alliés). Le chapitre suivant "Au fil des jours et des saisons" relève certains choix de focalisation comme sur les enfants dans les débuts de la série ou le retour dans l’esprit des personnages d'évènements passés (en particulier l’enfance commune entre le docteur Larcher et son frère Marcel). Bernard Papin relève qu’un épisode couvre très souvent une seule journée, si bien qu’il n’a compté que soixante-dix jours présentés.
Il pointe également que sont rares les moments où un évènement mobilise l’attention de l’ensemble des habitants de Villeneuve (comme le 11 novembre 1943), le reste du temps on est dans le ressenti individuel ou commun à un petit groupe. Toutefois avec la montée des périls, à partir de 1943, des préoccupations identiques sont de plus en plus partagées par certains personnages principaux de la série. Bernard Papin réfléchit également sur les procédés employés pour dramatiser l’action aux yeux du spectateur, à cet égard le contenu de la fin du dernier épisode de l’une des saisons est toujours porteur d’interrogations, censées ramener le téléspectateur devant la série plusieurs mois après.
Un personnage peut paraître tellement ambigu que l’on se demande de quel côté il va tomber comme l’invertie Marguerite présentée comme maîtresse de chant. Ce type de fonction d’ailleurs n’existait que dans le département de la Seine, car il était rétribué sur le budget d’une collectivité territoriale exceptionnellement riche et non sur celui de l’État. L’auteur relève un certain nombre d’autres surprises qui frappent le spectateur dont les moindres ne sont pas d’une part la réapparition, après plusieurs épisodes où elle avait disparu, de Marie en tant que chef de la Résistance gaulliste et par ailleurs l’arrivée de troupes américaines qui sauvent Hortense et Heinrich d’une exécution alors qu'ils tentaient de passer en Suisse.
Un autre chapitre est intitulé "L’écriture de l’histoire par la fiction", on y relève en particulier le désir de reconstitution minutieuse de la période avec un souci constant autour de l’habillement et des objets apparaissants à l’écran mais aussi en intégrant à l’action nombre de chansons d’époque, des succès de Maurice Chevalier, Charles Trenet et Pierre Dac (grâce à Radio Londres) ou en montrant des extraits d’actualité de l’époque projetées au cinéma.
On arrive au chapitre "Du côté des personnages", où Bernard Papin pointe que les personnages vieillissent aussi dans la vie puisque neuf ans séparent le premier épisode du dernier et c’est extrêmement frappant pour Gustave le fils de Marcel. Il classe les personnages entre trois catégories les monstres intrinsèquement mauvais (Marchetti par exemple), les justes (comme Marie) et le marais (dont le docteur Larcher). Certains destins sont exceptionnels comme celui d’Alban qui n’est pas sans rappeler le personnage de Lucien Lacombe du film de Louis Malle. L’évolution psychologique de Lucienne est remarquable, tout en gardant des points d’ancrage. Violaine Bellet a fait modifier le caractère des personnages en cherchant à pousser leurs caractéristiques psychologiques dans un mouvement extrême qui amène progressivement des transformations inattendues de leur personnalité et Lucienne est le cas le plus manifeste.
Dans les dernières pages, il y a une réflexion autour du ressenti et de la fidélité des téléspectateurs envers cette série mais aussi des remarques qui décrivent comment la violence est montrée ou suggérée. Si la série se fixait pour fin 1945, il était évident qu’elle laisserait ses fans sur leur faim de savoir ce que devenaient ceux qui survivaient (les plus nombreux parmi les personnages essentiels), aussi une épilogue a-t-elle été rajoutée et elle montrera que si certaines comme Lucienne ont gagné en sagesse et acquis des galons d’héroïne, d’autres comme Hortense n’ont rien compris aux changements de la société française dans les quarante ans qui suivirent la Libération, s’enfermant dans une tour d’ivoire en ne pensant quasiment qu'à Heinrich.
Pour connaisseurs Quelques illustrations
http://www.telerama.fr/television/un-village-francais-regardez-un-episode-en-avant-premiere-sur-telerama.fr,n5331227.php
https://www.lanouvellerepublique.fr/actu/quand-thierry-godard-apprenait-la-menuiserie-a-fontenay
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