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Le testament du Kosovo

Le testament du  Kosovo
Rocher512 pages
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Avis de Ernest : "Serbes martyrs de l’OTAN ou Kosovars sauvages, islamistes, terroristes, mafieux et génocidaires, choisis ton camp camarade !"

C’est le récit d’un témoin engagé pas d’un historien, il a séjourné au Kosovo d’avril à juin 1999. Le début de la première page nous dit que la Serbie est bombardée sans relâche de mars à juin 1999 par les forces de l’OTAN sans aucun mandat préalable de l’ONU. Daniel Salvatore Schiffer poursuit :

« La province autonome du Kosovo, berceau culturel, identitaire et religieux de la Serbie, dont l’Armée de libération du Kosovo (UCK), constituée de sécessionnistes kosovars et de guerriers albanais, mais aussi de clans mafieux, revendiquait, contre le sens même de l’histoire tout autant que l’intégrité territoriale de ce pays, la totalité indépendance.

C’est donc au seul nom de ce principe théoriquement universel qu’est la vérité – la vérité objective  des faits historiques – que bravant le danger  sur le terrain et donc au péril de ma vie, faisant fi également de tout préjugé comme de toute idée préconçue, je me suis rendu, lucide et vigilant, dans ce qui était alors la Yougoslavie ». (pages 11-12)

Après avoir bien ri ou pleuré à la lecture de ce discours à connotation stalinienne (avec ses amalgames injurieux, ses affirmations douteuses, et en se posant comme détenteur de la vérité et du sens de l’histoire), deux options s’offrent à vous. La première est d’arrêter là et la seconde est de bouffer du kosovar tout en retrouvant "ce peuple grand ami de la France" (qualificatif très en vogue entre 1914 et les années soixante) que sont les Serbes. Dans cette alternative, j’ai choisi la troisième solution (en bon élève de Foch, à qui ce mot est attribué), à savoir survoler l’ouvrage et aller voir la conclusion :

« ce sera, si l’Occident n’y prend pas garde, l’embrasement total, avec un retour de flammes peut-être en Bosnie, des Balkans. À moins que l’OTAN, impuissante à y faire régner l’ordre, n’autorise alors, à la faveur de la Macédoine elle-même, le retour, en cette région particulièrement sensible, des forces serbes : les seules apparemment, tant elles sont aguerries, efficaces et déterminées, à pouvoir s’opposer de manière radicale, les stoppant en leurs avancées et les délogeant ensuite de leurs fiefs stratégiques, aux terroristes de l’UCK » (page 497)

Bref l’avenir de la paix passe par les Serbes, il faut dire qu’ils ont une grande expérience en la matière, au moins depuis l’attentat de Sarajevo en 1914... On appréciera aussi l’ignominieuse attaque contre Ismaïl Kadaré, qui vaut là encore son pesant de stalinisme (page 503).  

Bien entendu ce drapeau n'est pas en illustration dans ce livre 

Maintenant on peut aussi ne voir que du feu dans le discours de notre auteur, dans divers sens du terme. Rappelons un peu les faits: la langue albanaise descend de l’illyrien et Ptolémée mentionne le peuple albanais au deuxième siècle de notre ère, les Slaves arrivent donc dans l’actuel Kosovo bien après les Albanais.

Revendiquer le Kosovo comme le berceau de la Serbie c’est certes un peu plus complexe que d'imaginer Clemenceau lors du Traité de Versailles demander la Rhénanie au nom des ancêtres de Clovis, du fait que de 1798 à 1814 elle fut divisée en départements et parce que cette région était catholique. Charmant traité d'ailleurs, avec un très bel exemple de non-respect du droit international, qui au passage attribue un pays allié et vainqueur le Monténégro à la Serbie pour permettre la construction d'une future Yougoslavie. La partie nord-ouest de l'actuel Kosovo était d'ailleurs au Monténégro jusqu'à la Première Guerre mondiale.

Le recensement yougoslave de 1921 (organisé par les Serbes) dénombre 280 000 Albanophones au Kosovo, sur une population de 439 000 personnes.Les Albanais deviennent encore plus majoritaires par la suite, du fait des conséquences de la Seconde Guerre mondiale d’abord et dans les années 1970 quand l’administration s’albanise.

Les Albanais se révoltent contre la suppression de l’autonomie du Kosovo décidée par Milosevic en 1989; de résistance passive les Kosovars passent progressivement à la résistance armée. Meurtres et déplacements de population se succèdent. La délégation kosovare proclame être en mesure de signer dans un délai de deux semaines, après consultation du peuple kosovar et de ses institutions politiques et militaires, les  Accords de Rambouillet. Elle le fait le 18 Mars 1999. Les accords disent que le Kosovo  est une province autonome au sein de la Yougoslavie, avec la présence d’une force de 30.000 soldats de l'OTAN pour maintenir l'ordre au Kosovo. Les délégations yougoslave et russe les refusent. Le 23 mars le secrétaire de l’OTAN ordonne le lancement des opérations aériennes. Destinés à ramener Belgrade à la table des négociations, les bombardements durent soixante-dix-huit jours ; les frappes s'arrêtent le 10 juin et les forces serbes commencent à se retirer du Kosovo investi par la force internationale mandatée par le Conseil de sécurité de l’ONU, avec l’accord de la Fédération de Russie. La Kosovo Force  (KFOR) est incapable de contrôler les exactions et près de 200 000 Serbes, Tziganes et non-Albanais quittent le Kosovo du fait des actions de groupes armés kosovars.

Le 2008 le Kosovo déclare son indépendance, non reconnue en particulier par la Serbie, la Russie et la Chine; le nord de ce nouveau pays est resté sous contrôle serbe.  On attendait la morale de l’histoire, mais Daniel Salvatore Schiffer se fait ici moraliste mais jamais historien. Nous  souhaitions qu’il nous dise que de la logique de reconnaissance d’une région autonome en état indépendant, avec le Kosovo, sert de prétexte à la Russie pour en Géorgie appuyer les indépendances de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, en Ukraine le retour de la Crimée dans le giron russe et la menace de la sécession de l’est de l’Ukraine sous l’appellation de Nouvelle Russie. Certains pays se sont tirés là une balle dans le pied.

La Serbie essaie de se reconstruire et en avril 2013 le premier ministre serbe Ivica Dacic, a avancé que la Serbie "ne possède plus le Kosovo depuis longtemps" et que l’on doit parvenir à "conclure un accord avec les Albanais du Kosovo pour mettre un terme au passé, à la misère et aux défaites. (…) Ce n'est que si nous avons du courage (…), si nous avons une vision que nous pourrons faire de la Serbie un pays prospère". On voit combien a percé en Daniel Salvatore Schiffer le sens de l'histoire dont il s'est réclamé d'entrée de jeu... Pour rentrer dans la Communauté européenne, la Serbie reconnaîtra un jour ou l'autre l'inépendance du Kosovo.  

Les Serbes, pas plus que les Kosovars ou les Monténégriens (le Monténégro n’est indépendant qu’en 2006)  ne sont un peuple à stigmatiser et on espère qu’un historien viendra nous éclairer sur les ressorts de l’ultime étape de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie où bien sûr tout le monde ne joua pas franc jeu (le "Plan Fer-à-cheval" fabriqué en 1999 de toute pièce par les autorités allemandes en étant un bel exemple).

Pour connaisseurs Peu d'illustrations

Ernest

Note globale :

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