Avis de Adam Craponne : "Le Roi Jean s’enterre le 15 janvier 1952 en la cathédrale de Paris"
L’ouvrage commence bien mal en matière de rigueur historique. En effet on a l’impression d’ouvrir là un livre de contes et légendes, autour des ascendants de la mère de notre personnage, du fait du contenu des pages 25 et 26 :
« (...) ils se connurent le 10 février 1793 au pied de la guillotine dressé à Fontenay-le-Comte, sur la place de l’hôtel-de-ville. (…) Marie-Louise de La Sorinière approche de l’échafaud, s’arrête, retire sa pélisse et l’offre à une mendiante, puis, sereine, franchit les derniers pas vers la mort. L’officier lui propose de l’épouser, il en a le droit. Elle peut accepter, elle sera sauvée. Elle refuse. Le jeune garde, lui, n’a d’yeux que pour Mlle du Chesne de Denard, une jeune aristocrate vendéenne que guette aussi la guillotine. Son chef vient de lui donner l’exemple et le courage. Il crie qu’elle était sa compagne. Elle ne dément point. Elle est sauvée. Ils se retirent à Mouilleron ».
On regarde les sources auxquelles se réfère Pierre Pélissier et là on les gobe ou on rigole. Je cite la note 4 : « Selon Émile Gaborit, d’après les archives de la préfecture de Vendée ». En langage clair, n'a pas été consulté le livre en question et cette histoire est reprise d'un autre ouvrage ne citant pas ses sources de façon plus précise. Émile Gabory (et non Émile Gaborit) est donc pris comme caution, et si Pierre Pélissier ne connaît même pas le titre de l’écrit en question c’est vraisemblablement parce qu’il n’existe pas. Émile Gabory est à partir de 1911 archiviste du département de la Loire-Inférieure et si on ne peut vraisemblablement pas l’accuser de bâtir ou cautionner une légende, on sait que sa lecture des Guerres de Vendée est un plaidoyer pour les contre-révolutionnaires.
Pierre Pélissier ne connaît pas grand chose à l’histoire politique de la Vendée sous la IIIe République, qui est marquée par un ancrage à gauche sans discontinuité du sud du département de la Vendée et de la ville de La Roche-sur-Yon. Ceci se traduit par l’élection entre 1893 et 1914 d’un ou plusieurs députés radicaux à chaque législature. En conséquence, Pierre Pélissier s’autorise à écrire « Clemenceau a toujours été bien trop à gauche pour espérer se faire élire un jour député ou sénateur de Vendée ». (page 20)
Si notre auteur se permet d’évoquer Clemenceau c’est parce que un heureux concours de circonstances a fait que de Lattre et Clemenceau sont tous les deux nés à Mouilleron-en-Pareds. Aujourd’hui on a d’ailleurs dans ce village aux limites de la Vendée et des Deux-Sèvres un musée consacré à ces deux figures historiques.
Heureusement pour le reste de l’ouvrage, Pierre Pélissier prouve qu’il est historien. On le voit particulièrement lorsqu’il tente de nous éclairer sur les attaques de l'extrême-droite mettant en cause l’attitude de l’officier Jean de Lattre au milieu des années 1930. Certains des membres de cette mouvance en font un complice du ministre de l’Intérieur Eugène Frot autour des évènements et des conséquences du 6 février 1934 (pages 195 à 204).
Si l’on veut connaître dans le détail la période de la vie du personnage depuis l’invasion de la zone sud en novembre 1942 jusqu’à novembre 1943 on se reportera à "La longue nuit du général : l'évasion du général de Lattre" de Raymond Fourgous aux éditions Créer. Là où il faut rendre hommage à Pierre Pélissier c’est de nous faire sentir en quoi la décision de François Valentin de passer à Londres, lui le président de la Légion française des combattants et des volontaires de la Révolution nationale (organisation qui en deux temps deviendra la Milice), a pu avoir un lien avec le procès fait à de Lattre par les autorités liés au gouvernement de Vichy.
Saint-Cyrien de la promotion précédant celle de Charles de Gaulle, le futur maréchal de Lattre est de l’essentiel de l’histoire militaire française de l’ensemble de première partie du XXe siècle : aux première et dernière guerres mondiales s’ajoutent les opérations au Maroc dans les Années folles et la Guerre d’Indochine. Mieux connaître la vie de cet officier, c’est approcher sous un autre angle, rendu captivant par le talent de Pierre Pellissier, de nombreux faits sur le terrain des combats et à l’état-major. On retrouve là des figures d’homme d’état comme Mandel ou Pierre Cot.
Si dans l’édition de poche de 2015 on a supprimé les photographies, on a par contre maintenu les cartes : l’une montre la progression des armées débarquées en août 1944 en Provence jusqu’à la mi-septembre de la même année, une seconde les diverses colonies et les principales voie de communication de l’Indochine française et une dernière le nord du Tonkin. Jean de Lattre a été surnommé "le roi Jean", d’où notre titre.
Pour connaisseurs Peu d'illustrations
Au hasard, tiens: après avoir si brillamment noté la faiblesse d'une source au début du livre, Adam Craponne s'est-il à aucun moment demandé si les sources existaient en général dans ce livre...?