Avis de Patricia : "Après Jean Moulin, Manouchian est le résistant le plus célèbre pour la France"
En 1974 sortait, sous la plume de Mélinée Manouchian, l’ouvrage Manouchian consacré à son époux fusillé trente ans auparavant. Manouchian: Témoignage suivi de poèmes, lettres et documents inédits est la version enrichie du premier titre. Le livre paraissant aux éditions Parenthèse sort à quelques mois de l’entrée de Missak Manouchian au Panthéon.
Katia Giragossian, petite-nièce de Missak Manouchian a milité pendant des années pour l’entrée au Panthéon de ce dernier. Armène, une de ses grand-mères, était la sœur de Mélinée, cette grand-mère parlait souvent de Missak à Katia Giragossian. Cette dernière faisait à manger au groupe de résistants autour de Manouchian, elle cachait des armes dans le placard et il y avait des réunions chez elle. Missak a écrit un poème qui s’appelle Les couturières, en hommage à Armène dont c’était le métier . Katia Giragossian assure la préface de cet ouvrage, elle avait déclaré que l’entrée de Massoukian au Panthéon était un symbole de voir être enfin reconnus les étrangers et apatrides qui ont combattu pour la Libération de la France. Elle rappelle que l’on prête à Missak le propos suivant aux journalistes de la presse collaborationniste qui suivaient à la mi-février 1944 son procès : « Vous avez hérité de la nationalité française, nous, nous l’avons mérité » (page 10).
La préface est suivie d’une présentation de Mélinée Manouchian. Elle est née à Istanbul en 1913 d’un père haut-fonctionnaire des Postes ottomanes qui meurt lors du Génocide de la Première Guerre mondiale. Mise à l’abri par sa mère, Mélinée se retrouve dans une école protestante à Istanbul puis au sein d’un orphelinat en Grèce. Arrivée en 1926, elle est scolarisée à l’école arménienne de Marseille. Venue dans la région parisienne en 1929, elle rencontre Missak en 1934. Cette année-là tous les deux sont adhérents au Parti communiste français. En 1947, elle part en URSS , comme 3 500 Arméniens à l’invitation de Staline, afin d’aider au développement de l’Arménie soviétique, elle est contrainte d’y rester jusqu’en 1964, année de son retour.
Mélinée retrace l’ensemble de la vie de Missak, dont la célébrité doit beaucoup au départ à sa présence sur l’Affiche rouge produite par le Centre d’études antibolchéviques antenne du Comité d’action antibolchévique (où travaillent des personnes proches du PPF de Doriot ou du RNP de Déat). Cet instrument de propagande est placardé massivement dans les grandes villes françaises et dans des communes de seconde importance (le tirage est de 15 000 exemplaires). La mémoire de Missak Manouchian a été entretenu par la parution le 5 mars 1955 d’un poème Strophes pour se souvenir d’Aragon sous le titre Groupe Manouchian à la une du journal L’Humanité. Le texte a été repris dans le recueil Le Roman inachevé puis mis en musique par Léo Ferré, la chanson sortant en 1959 sous le titre de L’Affiche rouge ; elle restera interdite sur les ondes des radios publiques jusqu’en 1982, année de la fin du monopole d’état en matière de radiodiffusion. Cette œuvre musicale est reprise en 2022 par le groupe Feu ! Chatterton et Patrick Bruel. Ajoutons que Mélinée témoigne en 1985 dans le documentaire Des terroristes à la retraite , que L'Affiche rouge du réalisateur Frank Cassenti reçoit le prix Jean Vigo en 1976, et que le réalisateur d’origine arménienne Robert Guédiguian a donné L'Armée du crime , un film qui retrace le parcours du groupe de résistants communistes des FTP/MOI dirigé par Manouchian.
Cet ouvrage Manouchian: Témoignage suivi de poèmes, lettres et documents inédits est très largement illustré par la reproduction de diverses productions et papiers dont certains poèmes de Missak Manouchian et une lettre de Simone Signoret à Mélinée l’informant qu’elle avait joué le rôle d’une résistante dans le film Le Jour et l’heure de René Clément. Proposé au public en 1963, ce film présentait une reproduction de l’Affiche rouge. Le 18 juin 2023, Emmanuel Macron annonce le prochain transfert au Panthéon de Missak et Mélinée Manouchian pour le 21 février 2024.
Voici un extrait du dernier courrier du héros :
« 21 février 1944
Ma chère Méline,
Ma petite orpheline bien-aimée,
Dans quelques heures je ne serai plus de ce monde....Je m'étais engagé dans l'armée de la libération en soldat volontaire et je meurs à deux doigts de la victoire et du but...... Le peuple allemand et tous les autres peuples vivront en paix et en fraternité, après la guerre qui ne durera plus longtemps....J'ai un regret profond de ne pas t'avoir rendue heureuse. J'aurais bien voulu avoir un enfant de toi, comme tu le voulais toujours. Je te prie donc de te marier après la guerre, sans faute, d'avoir un enfant pour accomplir ma dernière volonté.... Je mourrai tout à l'heure avec mes vingt-trois camarades, avec le courage et la sérénité d'un homme qui a la conscience bien tranquille (.... )»
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