Avis de Alexandre : "Comment le Limousin et ses poilus passèrent les 1 561 jours du conflit"
L’ouvrage 1914-1918 Auvergne Limousin avait été édité en 2013 par Le Populaire du Centre et La Montagne. Il ne manquait pas d‘intérêt, toutefois on sentait en de nombreuses occasions qu’un bon journaliste ne se transforme pas automatiquement en bon historien. D’autre part Stéphane Bein livrait l’année suivante le roman historique Allons enfants ... qui nous faisait suivre trois soldats du 63e régiment d‘infanterie (basé à Limoges) à savoir Joseph de la Haute-Vienne (le narrateur) et ses deux amis le Creusois Martin ainsi que le Corrézien Grégoire tandis que Génération champ d’honneur de Laurent Guillemot retraçait l’ensemble de la vie au front des poilus de la commune d’Auriat dans la Creuse. L’auteure, dans le roman Le petit cœur rouge nous conte essentiellement la vie entre 1914 et 1918 d'un hameau du Limousin appelé La Trimouille (à ne pas confondre avec le village poitevin homonyme).
Le titre 1917 LE LIMOUSIN ET LA ЯÉVOLUTION ЯUSSE: ЯEGARDS INVEЯSÉS est sorti en 2017 aux Ardents éditeurs, cette même maison d’édition avait déjà donné un ouvrage plus général près de dix ans avant. Les auteurs de Limousin 14-18 : un abécédaire de la Grande Guerre en Corrèze, Creuse et Haute-Vienne, ont réuni là une iconographie d’une diversité et densité exceptionnelle. Quasiment tous les documents proposés ont un rapport direct avec la région où des hommes de la région. Ainsi le sujet "dess(e)ins d’humour" met en valeur les illustrateurs Pierre Lissac (né à Limoges en 1878) et le briviste Gus Bofa qui est considéré comme un des meilleurs dessinateurs humoristiques du XXe siècle. Ce sont d’ailleurs deux illustrations de lui qui remplissent une page ; l’une est tirée de La Baïonnette et l’autre du Rire rouge. C’est le nom du Rire pendant la Première Guerre mondiale ; il s’agit d’un journal qui a paru de 1893 à 1978.
On commence l’ouvrage avec un tableau sur la population des trois départements limousins ; avec un maximum démographique ayant été atteint en 1891, les campagnes ont déjà commencé à se dépeupler. Brive a dépassé depuis peu Tulle en population. Des informations générales sont ensuite données sur le conflit.
Le choix étant fait de procéder par ordre alphabétique, le corps de l’ouvrage débute avec A comme Américains ; en effet plusieurs cités de la Haute-Vienne accueille des services de santé et des structures destinées à recevoir les sammies en permission, en découleront un certain nombre de mariages. Se succèdent les sujets suivants : armistice, artistes, associations d’originaires (presse d’une amicale d’originaires d’un canton corrézien), carnet B, commémorations, courrier, dess(e)ins d’humour, femmes dans la guerre, foire de Lyon (les industries limousines profitent de la fin des importations de produits allemands), grippe espagnole, indigènes (non seulement des colonies françaises mais par exemple aussi des hindoues arrivant par le train), internationalisme (autour de la spécificité du monument aux morts de Saint-Junien), le jouet en guerre ou la poupée boche détrônée, journées (appel à solidarités diverses), Leymarie Léonard soldat corrézien fusillé pour l’exemple (pour suspection de mutilation volontaire), limogeages, loi des trois ans, manufacture d’armes de Tulle, mobilisation, monuments aux morts, mots d’écrivains , mutinerie russe à La Courtine, Nivelle le Tulliste, œuvres de guerre, opinion publique, pacifisme, pantalon rouge, Pollachi Jules : un sculpteur de la porcelaine aux monuments aux morts, porcelaine(s), presse en Limousin, prisonniers de guerre, régiments, sculpteurs de la Grande guerre, uniforme(s)union sacrée (avec rappel que le Président du conseil en août 1914 est le député creusois René Viviani) Wilson. On termine donc, comme on a commencé, par les Américains.
Les services de santé américains sont installés dans l'ancien séminaire, près de l'ancienne caserne Beaupu à Limoges
Revenons sur certains contenus. Trois figures régionales sont marquantes en matière de pacifisme, ce sont Paul Faure et les parlementaires Adrien Pressemane et Sabinus Valière ; il est à noter que la fédération SFIO de la Creuse rejoint celle de la Haute-Vienne sur des positions qui demandent de tendre «une oreille attentive à toute proposition de paix d’où qu’elle vienne ». Rajoutons personnellement que Sabinus Valière prend en particulier la défense des soldats limousins ou charentais du 63e RI, impliqués dans l’affaire de Flirey (évoquée page 81) et obtient plus tard en 1934 leur réhabilitation. Parmi eux deux maçons, travaillant à Lyon à l’été 1914, originaires l’un de Royère-en-Vassivière et l’autre de Saint-Martin-Château.
On attendait un article sur la Manufacture d’armes de Tulle qui emploie tout près de 4 700 personnes en 1917 et reçoit la visite de Joffre. C’est une des très rares fois qu‘un nombre important de jeunes bourgeois aspire à devenir ouvrier, il est vrai pour échapper au front. Les conditions de précarité dans lesquelles les ouvrières sont renvoyées en janvier 1919 sont évoquées précisément. Le texte sur l’importance du travail des femmes nous les montre justement dans les usines de porcelaine et comme infirmières ; l’impasse est faite sur les agricultrices (voir le roman Les gardiennes du poitevin Ernest Pérochon sur le sujet).
N'est pas traitée la question des réfugiés, ni celle des internés ce qui aurait permis d'ailleurs de renforcer la dimension creusoise (un peu faible ici) de l'ouvrage (voir sur ce dernier point Prisonniers des libérateurs : Les otages alsaciens-lorrains en France pendant la Grande guerre). Un article sur les campagnes limousines aurait été souhaitable. On trouvera toutefois dans "Mots (d'écrivains)" une rapide présentation de titres, parus lors de la seconde partie du XXe siècle, qui consacrent de longs passages à la vie dans les villages de la région entre 1914 et 1918.
On revient sur le cultivateur Léonard Leymarie, fusillé pour l'exemple en décembre 1914 dans l’Aisne, à propos du pantalon rouge ; le texte de l’article sur ce vêtement permet d’apprendre que les nouveaux incorporés touchèrent dès fin décembre 1914 les uniformes bleus horizon et que l’alizarine, qui servait à la coloration rouge des pantalons, était fabriquée par les usines chimiques allemandes.
On voit, à travers cet exemple, qu’une connaissance approfondie de sujets touchant le Limousin, ne dispense pas de fournir des informations d’ordre général. L’ouvrage Limousin 14-18 : un abécédaire de la Grande Guerre en Corrèze, Creuse et Haute-Vienne gagnerait à figurer dans tous les CDI de collège et surtout de lycées du Limousin. Contrairement à ce qui est annoncé sur la page de l'éditeur, ce dernier en possède encore quelques précieux exemplaires.
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