Avis de Grégoire : "Violences et cruautés au VIe et VIIe siècle - écrit en 1963"
L'époque mérovingienne (Vie et VIIe siècles principalement) en Gaule est souvent mal connue, peu évoquée et assez mystérieuse. Rares sont les documents et témoignages. Grégoire de Tours est quasiment le seul témoin ayant écrit sur cette époque. Sans lui "nous serions condamnées au silence". Il est cité presque à chaque page, et l'écrasante majorité des notes et références renvoient à son Historia Francorum.
Le premier chapitre, parmi les plus intéressants d'ailleurs, concerne "l'individu et la société". Pas d'identité régionale : francs et gallo-romains cohabitent au sein de structures géographiques sans cesse mouvantes au fil des guerres de pouvoir et des successions (la Touraine subit dix pillages en dix-sept ans !). Encore moins d'identité nationale : la population, pas plus que les puissants (rois et surtout maires du palais), n'a le sens de l'Etat : les infrastructures matérielles (routes) et sociales (enseignement) sont abandonnées à l'entreprise privée. L'échelle est plutôt celle de la cité, dominée par un comte censé gérer la vie sociale mais plus avide de cruauté et de luxure, et par un évêque au moins aussi puissant et plus soucieux de la justice et de la protection des opprimés (mais pas toujours). Francs et gallo-romains se mélangent tant bien que mal, n'étant pas toujours mélangés (forte dominante germanique au Nord et à l'Est, population presque entièrement gallo-romaine au Sud). Rescapées de l'antiquité : des classes sociales imperméables, avec notamment des esclaves ayant valeur d'objets - l'Eglise lutte contre l'esclavage qui disparaîtra rapidement au profit du servage, pour les mille ans que durera le moyen-âge.
Deuxième chapitre : horizons et travail. Le peuple mérovingien est un peuple rural.réparties en villae très espacés - "on peut marcher trois jours sans rencontrer âme qui vive". Les villes sont plutôt des chateaux-forts, lieux cependant d'échange et de commerce (avec tout le monde méditerrannéen). Paris compte 5000 âmes, et abrite des ruines anciennes comme des élevages. Les pélerinages, dont les plus notables sont celui de Saint Nizier et surtout celui de Saint Martin à Tours sont courants et déplacent des foules, dans un périmètre relativement limité cependant : chaque cité possède ses saints et les reliques se déplacent. La monnaie, rare, diverse et hétérogène, obéit aux règles de fabrication et de décoration locales.
Troisième chapitre : les divisions du temps. L'année est marquée par les jours de commémoration des saints locaux.
Quatrième chapitre : la famille et les grandes heures de la vie. La famille est le groupe social fondamental, et aussi le plus structuré et peut-être le plus réglementé. Les familles sont des clans qui s'opposent parfois dans des vendetta sans fin. Les amendes (par exemple, 900 sous pour le meurtre d'un évêque) sont partagées entre les membres de la famille outragée. Sont détaillées dans l'ouvrage les grandes étapes de la vie : la naissance, le baptême, le mariage (déjà indissoluble et régi par des règles strictes notamment pour les échanges et les dots, également pour les festivités encore marquées par les croyances anciennes), la mort et les pratiques funéraires (encore imprégnées de paganisme : l'Eglise doit composer avec les traditions et les superstitions). Sarcophages et monuments funéraires sont pour les archéologues des trésors de connaissance sur la vie quotidienne de l'aube du moyen-âge (équipement ...), et sur les pratiques artistiques de cette époque.
Chapitre cinq : les dispositions matérielles. Chapitre intéressant car extrèmement concret : sont décrits les habitations, les édifices religieux, le mobilier, la vaisselle, les vêtements, les armes, les bijoux, la toilette et les repas, avec un nombre remarquable de détails et de références archéologiques - toujours accompagnées d'extraits du H.F. de Grégoire de Tours. A noter : la chevelure a une importance capitale (sans jeu de mot) : un roi tondu n'en est plus un, et le scalp assure au combattant l'annihilation de son ennemi.
Applique en forme de Rapace. Source
Sixième chapitre : plaisirs et culture. La chasse, les chants et les beuveries sont plus appréciés que les sciences de l'esprit et les disciplines littéraires. Les plus riches gallo-romains s'attristent de voir disparaître les richesses intellectuelles de l'empire Romain. L'Eglise créée cependant des écoles dans toutes les paroisses, gratuites, et qui enseignent toutes les disciplines. Les familles y placent parfois l'un de leurs enfants - pas forcément destiné à devenir prêtre pour autant. La langue évolue, faisant dévier le latin vers l'ancêtre de notre français, l'écriture change aussi.
Les deux derniers chapitres concernant les calamités - guerre, famine, maladie - successivement décrites comme assez proche des clichés que l'on peut avoir sur le moyen-âge. L'époque mérovingienne est sombre, la loi du plus fort règne et la mort est omniprésente. La crainte de Dieu et du Diable sont les principaux traits du christianisme encore assez primitif. Le clergé menace de l'enfer plus qu'il ne promet le paradis, pour contenir autant que possible la violence et les moeurs de ce temps.
En résumé, l'époque mérovingienne est décrite comme un affaissement civilisationnel, au niveau culturel comme politique. Quelques aspects positifs (solidarité familiale, efforts du clergé pour aider les plus pauvres, premières écoles ...) contrastent et laissent espérer des jours meilleurs que seront notamment la renaissance carolingienne. Très axé dans cette description sombre, l'ouvrage est néanmoins richement documenté et annoté - presque exclusivement par des référeces aux écrits de Grégoire de Tours - et s'appuie également sur l'archéologie. Ecrit il y a un demi-siècle, il date un peu et il serait intéressant d'en comparer les conclusions avec un ouvrage plus récent.
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