Avis de Adam Craponne : "Eh bien ! tâchez de le reprendre, à présent qu’il m’aime !"
Durant la Première Guerre mondiale, une institutrice Marie Silve des Basses-Alpes, née en 1894 et morte en 1976 rencontre à Notre-Dame du Laus (entre Gap et Embrun) des collègues. Elles décident de produire un bulletin de liaison pour servir de communication entre elles ; cette revue est devenue mensuelle sous le nom Aux Davidées et par la suite un sous-titre a précisé Revue de Formation chrétienne. On sait que de 1920 à 1922 le nombre d’abonnés passe de 1 600 à 3 000, ceci pour un nombre d’institutrices laïques que j’évalue personnellement à 65 000 (j’exclus les enseignantes congréganistes d’Alsace-Lorraine).
Deux remarques sont à faire, tout d’abord un nombre non négligeable de davidées sont au départ des veuves de guerre et ensuite que chez les instituteurs qui allèrent à l’École normale dans l’Entre-deux-guerres, il y eut également des hommes qui affichèrent leur foi catholique (ceci est évoqué en particulier à la page 244 de l’ouvrage Chapitres d’histoire de l’école en Franche-Comté rédigé par Joseph Pinard). Les Davidées reçoivent les encouragements d’intellectuels catholiques comme Jean Guitton et Emmanuel Mounier dans les années 1930. Le phénomène reste largement incompréhensible pour nombre d’instituteurs et inspecteurs de l’enseignement public.
La question qui doit brûler des lèvres les acteurs laïcs de l’époque est celle de l’origine de ce nom de "davidée". En fait était paru en 1912 le roman Davidée Birot de René Bazin. De retour à Fours (près de Barcelonnette) où elle enseigne, Marie Silve se voit conseillée par le curé, le Père Signoret, de lire le roman en question et elle choisit de faire du prénom de l’héroïne (le féminin de David) le nom de son mouvement de christianisation.
Entre 1880 et 1918, le livre de lecture le plus présent dans les classes de cours moyen ou cours supérieur de France (image absente de l'ouvrage)
L’action du récit de René Bazin se passe dans le village d’Ardésie, qui renvoie au village de Trélazé (présent déjà dans un récit de La douce France de René Bazin) à l’ouest d’Angers. On laissera le lecteur découvrir les cas de conscience successifs de l’héroïne, donnée comme originaire d’un village de Charente-Inférieure (dont le nom fictif évoque en fait la commune d’Esnande), et on relèvera que l’histoire permet d’en savoir un peu plus sur la vie des instituteurs dans les villages à la Belle Époque. Quasiment tous commencent leur carrière à la campagne. Comme Ernest Pérochon dans L’instituteur, René Bazin pointe la difficulté pour l’institutrice à se trouver un mari qui lui plaise (page 16). Il est aussi question de l’influence que pouvaient avoir les francs-maçons dans la carrière des instituteurs de la Belle Époque, à qui il était interdit aors, comme tous les fonctionnaires, de se syndiquer. Si l’héroïne se pose la question de son entrée dans un univers plus religieux, cette dimension est traitée sans appesantissement.
On est par ailleurs surpris de trouver, chez cet auteur, une description de la répression par l’armée d’une grève des ardoisiers. Certaines pages sont présentées comme tirées d’un journal intime tenu par Davidée Birot. On apprécie la mise en scène de la bonne conscience que se donne l’héroïne dans sa conquête de l’ancien amant de l’ex-femme de ménage de l’école. Voici le dernier échange entre les deux femmes :
« Elle se tut un moment. Et, changeant de ton, devenue agressive comme aux jours mauvais du passé :
– Vous avez des nouvelles du fendeur de La Forêt ?
Elle ne nomma pas Maïeul.
– Non.
– Moi, j’en ai.
– Par lui ? dit vivement Davidée.
– Non. S’il m’avait plu d’en avoir par lui, je les aurais eues. Il paraît qu’il réussit.
– Tant mieux.
– Et le bruit court que vous l’épouserez.
Davidée s’écarta de celle qui marchait sur la même banquette de la route.
– Pourquoi me parlez-vous de lui, et comme vous le faites, méchamment ?
– Je vous ai dit que j’étais mauvaise. Garez-vous de moi !
– Phrosine, ce que je voudrai un jour, je ne le sais pas. Et cela ne regarde personne.
– Pardon, moi, la première : j’ai droit sur lui.
– Il vous a quittée.
– À cause de qui ? Croyez-vous que ça se pardonne ?
– À cause de la petite que vous faisiez mourir.
Phrosine s’arrêta. Elle jeta le brin de menthe du côté de Davidée.
– Je ne peux plus vivre ! Mon mari s’est mis avec une autre. Mon fils ne partagera pas son pain avec moi. L’a-t-il assez dit ? L’avez-vous entendu ? Et à présent, vous voulez me prendre mon amant ?
– Phrosine.
– Je l’ai lâché, mais je ne l’ai pas donné !
La voix de Davidée, nette et ardente cette fois, répondit :
– Eh bien ! tâchez de le reprendre, à présent qu’il m’aime ! » (pages 287 à 289)
Personnellement, j’ai trouvé un ton bien plus sarcastique et provocateur dans ce roman que je ne m’attendais à rencontrer chez René Bazin et j’ai vraiment beaucoup apprécié.
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