Avis de Benjamin : "Jules Ferry se faisait appeler Jules par ses amis mais il se serait bien passé de l'être par ses ennemis"
Cet ouvrage est composé de trois parties, à savoir "Une vie", "Une œuvre" et "Des mémoires et des légendes". La première court de la page 11 à la page 102, la seconde finit par nous amener page 196 et la dernière se termine page 257. La conclusion se réduit à trois pages. Une bibliographie sélective couvre dix pages.
La chronologie occupe la même surface. Elle démarre en rappelant que, tant au XVIIe qu’au XVIIIe siècle, les ascendants de Jules Ferry sont fondeurs de cloches. Elle ne se clôt pas à 1895, date du décès de notre personnage. En effet diverses informations sont fournies pour la période de 1894 à 2018. Sont citées notamment des faits maintenant la mémoire de Jules Ferry. Ce sont par exemple des ouvrages consacrés à notre Vosgien, des inaugurations de monuments le glorifiant, la création précoce d’une association d’amis du grand homme, l’ouverture du musée de Saint-Dié avec une riche collection d’images qui sont en rapport avec lui, l’émission de timbres-poste… De plus, dans toujours cette chronologie, on suit la progressive massification du collège puis du lycée. On parcourt également les diverses étapes qui portent le financement de l’enseignement privé. Cette chronologie se termine, et c’est un hasard malheureux, par la parution en 2018 de la biographie qu’a pensé lui consacrer Éric Froment. Il s’agit là d’un ouvrage évoquant vraiment peu l’oeuvre scolaire de Jules Ferry et biaisant dans plusieurs domaines la pensée et l’action de ce dernier ainsi que celle de personnages comme Bazaine.
L’index de noms de personnes et de lieux réunis compte onze pages. On ne saura guère surpris que les hommes célèbres les plus cités soit pour l’inspirateur Condorcet et pour les contemporains du Vosgien avec une vison largement négative le général Boulanger et Napoléon III ou plus ou moins positive François Guizot, Victor Duruy, Émile Ollivier, Léon Gambetta, Georges Clemenceau, Paul Bert et Camille Pelletan (dont Paul Baquiast avait dressé la biographie, il y a quelques années).
On apprécie les seize pages d’illustrations majoritairement en couleurs. On y voit particulièrement Jules Ferry en habit de mandarin, par allusion à la Guerre du Tonkin. On découvre également les statues le représentant à Saint-Dié et Paris. D’ailleurs est présentée l’image de l’attentat commis en 1910 par un camelot du roi contre Aristide Briand (alors président du Conseil) lors de l’inauguration du monument Jules Ferry dans les jardins des Tuileries.
Dans la première partie, nous en apprenons plus sur les origines familiales de notre personnage. Un des arrières-grands-pères de Jules Ferry fut franc-maçon sous le règne de Louis XVI et se montra un ardent partisan des idées révolutionnaires. Devenu maire de Saint-Dié à l’époque du Directoire, il remplit cette fonction jusqu’en 1816.
Jules Ferry est orphelin de mère à quatre ans. Son père est avocat à Saint-Dié puis Strasbourg. Notre Vosgien suit les cours du lycée de Strasbourg, et c ‘est dans cette ville alsacienne qu’il assiste aux évènements qui suivent la chute de la Monarchie de juillet. Il fait deux ans de droit à l’université de Strasbourg puis termine ses études à Paris. Refusant de devenir fonctionnaire du régime tyrannique qu’était largement le Second Empire à ses débuts, il opte pour la fonction d’avocat.
Dans les années de la première partie du Second Empire, Jules Ferry fréquente beaucoup un salon républicain où se retrouvent le penseur positiviste Philémon Devoisin, Émile Ollivier, Léon Gambetta et Eugène Labiche. Il affiche ses opinions républicaines tant comme avocat que journaliste. En 1869 tous les députés parisiens sont républicains et parmi eux l’on trouve Jules Ferry représentant les VIe et VIIe arrondissements. Il est élu contre le catholique libéral Augustin Cochin. Il le fait sur un programme réclamant la séparation de l’Église et de l’État ainsi que la fin du service militaire obligatoire afin d’économiser des sommes à transférer vers l’enseignement public.
Au lendemain de la chute du Second Empire, Jules Ferry assume les fonctions de secrétaire du gouvernement de Défense nationale présidé par le général catholique Mouis Jules Trochu mais aussi celles de préfet et maire de Paris. Responsable de ce fait du ravitaillement d’une capitale bientôt assiégé, il se verra attribuer le surnom de Ferry famine qui le desservira grandement par la suite et lui coûtera peut-être la présidence de la République. Le siège dure quatre mois ; il se termine le 24 janvier 1871 lorsqu’un armistice est signé entre les forces allemandes et l’armée française.
Jules Ferry n’a plus aucune chance d’être élu à Paris aussi se présente-t-il avec succès dans les Vosges aux élections législatives qui suivent. Victime de la stratégie machiavélique de Thiers bien décidé de réprimer sévèrement un mouvement insurrectionnel qu’il a en partie provoqué, Jules Ferry fuit Paris au moment de la Commune.
Dès le 13 novembre 1872, conscient de la paralysie mutuelle des deux factions royalistes, Thiers déclare que « la République existe. Elle est le gouvernement légal du pays. Vouloir autre chose serait une nouvelle révolution et la plus redoutable de toutes ». Jules Ferry va combattre la politique d’ordre moral entretenant l’espoir d’une restauration monarchique au profit des orléanistes.
En 1874 il rencontre à Paris Eugénie Rister, petite-fille de Charles Kestner député alsacien élu en 1848. Une de ses tantes a épousé Auguste Scheurer futur sénateur républicain inamovible allant devenir vice-président du Sénat ; ce dernier est connu comme un des plus ardents défenseurs du capitaine Dreyfus. Une autre de ses tantes a épousé Charles Floquet député radical et un temps président du conseil, au demeurant adversaire politique de Jules Ferry. Le fait que le mariage ne soit que civil et que Eugénie soit née à Than la fait traiter de concubine prussienne par ceux qui dénigrent Jules Ferry en le surnommant de ce fait Ferry l’Allemand. 1875 est à la fois l’année du mariage de Jules Ferry et celle de son entrée en franc-maçonnerie. Deux ans plus tard, le Grand Orient renonce à l’obligation de croyance envers le Grand Architecte de l’Univers.
Le général Mac-Mahon démissionne et le républicain Jules Grévy lui succède à la présidence de la République lui succède le 30 janvier 1879. Ce dernier nomme comme président du conseil William Waddington ; dans ce cabinet Jules Ferry se voit attribuer le ministère de l’Instruction publique.
Pendant une demi-douzaine d’années Jules Ferry va être au centre de la vie politique française. Si sa politique est combattue sans surprise par les conservateurs de tous bords, elle l’est aussi par les radicaux menés par Clemenceau et Pelletan. « Opportunistes et radicaux vont s’affronter sur trois questions essentielles : la question des institutions, la question sociale et la question coloniale, auxquelles on peut ajouter la question scolaire, les radicaux jugeant l’anticléricalisme de la politique de Jules Ferry en la matière, trop modéré » (page 67). Radicaux et catholiques pourront s’allier pour combattre Ferry. Les partisans d’une royauté diminuent avec l’arrivée en 1878 d’un nouveau pape Léon XIII, ce dernier encourage les parlementaires catholiques à reconnaître la République.
Le camp républicain est sujet à une guerre des chefs entre d’abord Jules Ferry et Gambetta puis Jules Grévy et Ferry. Gambetta dirige le groupe parlementaire de l’Union républicaine « qui recrute dans la moyenne bourgeoisie et les couches sociales nouvelles en pleine ascension » alors que Ferry est à la tête des députés de la Gauche républicaine « qui recrute parmi les dynasties bien installées de la grande bourgeoisie ». Jules Grévy avantage Ferry contre Gambetta mais, après la mort de ce dernier en décembre 1882, il fait plusieurs tentatives, aidé en cela par son peu honorable gendre Wilson, pour déstabiliser le pouvoir de Ferry.
Face à un Paul Bert désirant des mesures remettant totalement et immédiatement l’organisation de l’enseignement, Jules Ferry juge plus habile de procéder par étapes afin de ne pas susciter une opposition plus massive des parlementaires. Se succèdent donc des textes sur la gratuité de l’enseignement primaire, de l’obligation scolaire et de la laïcité des programmes. Il procède toujours en échelonnant pour sa politique coloniale et sa politique de réformes constitutionnelles.
Après la retraite de troupes coloniales au Tonkin, le catholique Albert de Mun, le républicain modéré Alexandre Ribot et le radical Georges Clemenceau s’allient pour faire tomber le ministère Clemenceau. On est le 30 mars 1884 et moins de deux ans plus tard, avec le cabinet Freycinet, à la demande de Clemenceau, c’est l’arrivée au gouvernement du général Boulanger comme ministre de la Guerre. Jules Ferry perçoit dans les premiers le danger que représente pour la République ce militaire au discours populiste.
En 1887 Jules Grévy doit démissionner suite au scandale de l’attitude de son gendre. Les radicaux mobilisent nombre de Parisiens pour menacer d’une insurrection populaire en cas d’élection de Ferry à la présidence de la République. Une partie des parlementaires radicaux votent pour le républicain modéré Sadi Carnot descendant d’Hippolyte Carnot afin d’éviter que Jules Ferry soit élu. Le 10 décembre de cette même année notre Vosgien est victime d’un attentat au revolver et deux députés médecins radicaux le prennent en charge dans un premier temps, l’un d’eux est Georges Clemenceau. Après que Boulanger ait fui outre-quiévrain, le danger boulangiste n’est pas totalement écarté, et aux élections de septembre 1889 Ferry est battu par Ernest Picot un ancien officier qui tient un discours tantôt nationaliste tantôt ouvriériste. Cette élection est annulée pour corruption mais Jules Ferry décide de se tourner vers le Sénat et il est élu là en janvier 1891.
Nombre de radicaux s’étant fourvoyés dans le boulangisme, alors que les opportunistes ont été unanimes pour le combattre, un rapprochement semble d’autant possible que certains de ces derniers sont devenus plus sensibles à la question sociale alors que de plus (ajouterai-je de mon propre chef) que certains socialistes en particulier possibilistes ont défendu la République. Jules Ferry verrait à la fois cette dimension sociale mais également le nouveau contexte (dû aux idées de Léon XIII) qui permettrait au plus grand nombre des catholiques de se rallier à la République.
Au moment où éclate le scandale de Panama, Jules Ferry apparaît comme un modèle de moralité alors que Clemenceau (faussement accusé de panamiste) est battu dans le Var. Ferry se présente à la présidence du Sénat et est élu. Cependant trois semaines plus tard, il décède d’une crise cardiaque.
Dans le premier chapitre de la seconde partie, les auteurs montrent que Jules Ferry a enraciné les institutions républicaines, les libertés démocratiques en matière de réunion, de presse, de syndicalisme et de choix du maire (entre 1871 et 1882, ce dernier est nommé par le préfet qui le prend dans les élus municipaux). Il a également épuré d’adversaires du régime républicain la préfectorale, le Conseil d’ État et la magistrature mais n’a pas touché l’armée dans cette action de renouvellement.
La chapitre suivant évoque l’oeuvre scolaire. Jusqu’aux lois Ferry, la majorité des enfants ne sont scolarisés qu’entre huit et dix ans et d’après nous-même souvent seulement cinq à six mois. Les instituteurs sortent de la tutelle des curés. La Charte de 1830 inscrit la liberté de l’enseignement. Ceci a pour prolongement en 1833, dans la loi Guizot, d’ouvrir la profession d’instituteur à des congrégations à condition toutefois de la possession d’un brevet de capacité. Cette exigence est levée pour les religieux qui peuvent se contenter d’une lettre d’obédience après le vote en 1851 de la loi Falloux. Cette même loi Falloux accorde une liberté toute nouvelle pour l’enseignement secondaire. Elle a des suites immédiates nombreuses comme à notre propre connaissance en Vendée à Luçon l’ouverture du collège Richelieu. Cependant sous le Second Empire, Victor Duruy freine le développement des congrégations enseignantes. La liberté de l’enseignement supérieur est obtenue sous un gouvernement d’Ordre moral en 1875. Ceci explique que les quatre établissements ouverts en 1875 à Paris, Lille, Lyon et Angers plus Toulouse l’année suivante certains aient gagné et conservé jusqu’à nos jours le titre d’université, bien que la législation de 1880 à l’initiative de Jules Ferry le leur interdise. Ils devraient prendre tous pour dénomination officielle celle d’Institut catholique.
En fait Jules Ferry conforte l’existence de deux écoles primaires celle du peuple dans la commune et celle de la bourgeoisie au lycée (enseignement payant mais avec possibilité de bourse à partir de la sixième) dès la grande section ou le cours préparatoire (avec d’ailleurs la nécessité pour les instituteurs d’avoir un diplôme spécifique pour y enseigner). Le passage d’enfants de la communale vers le lycée au niveau de la sixième est théorique, en fait nombre de ces enfants préfèrent passer vers les écoles primaires supérieures qui préparent au brevet élémentaire et plus rarement aussi au brevet supérieur. Il est possible aussi d’une orientation vers l’enseignement professionnel et technique. Notons que Jules Ferry confie à Victor Duruy la rénovation du contenu de la filière qui conduit à la préparation d’un baccalauréat sans grec ni latin. Cette filière avait été créé par ce dernier sous le Second Empire.
L’école n’est ni mixte pour les élèves ni pour les enseignants mais il y aura au fur et à mesure quelques adaptations dans ce domaine. Ferry pousse à une rénovation des contenus et des méthodes mais avec un succès relatif. L’Église catholique de France, par la voix de certains de ses évêques, demande aux parents catholiques de ne pas accepter certains manuels en 1882, Les curés qui relaient ces interdictions sont sanctionnées financièrement en vertu de la tutelle concordataire d’alors.
Tous les départements doivent se doter d’une École normale (mais deux départements peuvent s’allier pour en créer une en commun). Les enseignants dans celle-ci se forment auprès des écoles normales supérieures de Saint-Cloud pour les hommes (les futurs députés Pierre Brizon et Marcel-Edmond Naegelen notamment selon nos sources) en sort ou de Fontenay-aux-Roses pour les filles. Dans le domaine de l’enseignement supérieur, Ferry crée ds bourses d’agrégation, augmente le personnel enseignant et donne des crédits pour la construction de nouveaux locaux. Dans un autre domaine, celui ds Beaux-Arts, il augmente aussi les crédits.
Le dernier chapitre de cette seconde partie est consacré au domaine parfois contesté de la politique coloniale de Jules Ferry. Nous la laisserons découvrir au lecteur du livre, signalant seulement que sont largement traités les cas de l’Algérie, de la Tunisie et du Tonkin après une belle dissertation sur la pensée portée par Ferry dans ce domaine. L’image controversée de Ferry dans la mémoire française et l’entretien de cette mémoire (parfois au prix de la construction de légendes) font l’objet d’une très percutante troisième partie.
Pour connaisseurs Beaucoup d'illustrations