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Histoire de l'Algérie coloniale, 1830-1962

Histoire de l'Algérie coloniale, 1830-1962
La Découverte 720 pages
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Avis de Adam Craponne : "L'Algérie de papa"

Comme avec "Pour une histoire Franco-algérienne" paru en 2008, sous les directions de Frédéric Abécassis et Gilbert Meynier, il s'agit ici d'un ouvrage qui permet de voir se côtoyer des chercheurs algériens et français, mais pas seulement car par exemple James Mc Dougall (de l'université d'Oxford) nous propose une réflexion sur l'Association des oulémas groupée autour du cheik Abdelhamid Ben Badis dans l'Entre-deux-guerres. Toutefois Histoire de l'Algérie à la période coloniale (1830-1962) ne propose pas les actes d'un colloque et il a été décidé d'élargir le cercle des auteurs au-delà des historiens et à diversifier les origines de ces derniers, en se tournant aussi vers l'outre-Atlantique. Ainsi peut-on trouver un consultant pétrolier Hocine Malti pour évoquer “Le pétrole saharien et son rôle dans la guerre de libération (1956-1962)“, un juriste, un démographe ou un géographe comme Marc Côte.

On notera que l'on n'a pas fait appel systématiquement aux habituels communicateurs sur la question comme Guy Pervillé en essayant de privilégier les personnes nées après 1962. Toutefois Benjamin Stora et Gilbert Grandguillaume sont présents tandis que René Gallissot (professeur émérite) livre deux textes dont un sur le mouvement ouvrier de l'Entre-deux-guerres comme on pourrait s'en douter. Côté français Sylvie Thénault est la personne la plus connue à avoir dirigé cet ouvrage, elle est directrice de recherche au CNRS, spécialiste du droit et de la répression coloniale en Algérie. Pour la partie algérienne c'est Ouanassa Siari Tengour qui est présente, celle-ci est chercheuse au Centre national de recherches en anthropologie sociale et culturelle d'Oran.

L'introduction précise « qu'il ne s'agit cependant pas de rejouer la tragédie franco-algérienne, ni de chercher naïvement à “réconcilier les mémoires” ». L'ouvrage se compose de quatre chapitres organisés chronologiquement et proposant une petite vingtaine de textes pour chacun d'entre eux. Amenés par une introduction, ces chapitres sont découpés en différents points. Les compositions de la période 1830-1881 (sous-titrée “la prise de possession du pays“) sont regroupées sous les chapeaux de “conquérir et coloniser“, “entrée en résistance“, lieux et espaces“, “acteurs“ et “ contexte“. Ces trois derniers points sont à peu près constants dans l'ensemble des chapitres.

On relève dans un article intitulé "L'Algérie coloniale ou la confrontation inaugurale de la laïcité avec l'islam" ces précieueses informations : « Il fallut attendre une circulaire du 13 juillet 1909, signée par le président du Conseil Georges Clemenceau (1841-1929), pour avoir une position gouvernementale sur l’islam algérien. Elle encourageait la constitution d’associations cultuelles musulmanes afin qu’elles puissent jouir gratuitement des mosquées restées propriétés de l’État. (…) Des acteurs religieux exclus de cet « islam officiel » – ce fut le cas de l’Association des oulémas d’Algérie à partir du milieu des années 1930 – ne se privèrent pas de s’engouffrer dans cette brèche pour mettre en place une organisation cultuelle concurrente. (…) Les autorités durent en effet composer avec une loi qui, appliquée intégralement, aurait fait disparaître le système religieux mis en place depuis la conquête. Or, prévu pour être supprimé dans un délai de dix ans, le financement exceptionnel fut sans cesse reconduit, avec l’aval du ministère de l’Intérieur et du Conseil d’État, et ce jusqu’à l’indépendance de l’Algérie. L’exception fut prorogée en 1917, 1922, 1932 et, sans limite de durée, par le régime de Vichy en 1941. L’intérêt politique à maintenir ce régime juridique fut avancé par tous les gouverneurs successifs. Loin d’être synonyme de liberté religieuse et de neutralité de l’État, l’exception algérienne à la loi de séparation fut pour l’État un moyen de perpétuer la domination coloniale. Mais, par un retournement, le mouvement national algérien en fit une cible de choix lui permettant de pointer le fossé entre la laïcité que le colonisateur affirmait promouvoir en Algérie et la réalité des pratiques administratives du culte musulman ».

Le chapitre suivant, comme le rappelle la chronologie propre à toutes les époques, interroge pour la période allant de l'arrêt pour vingt ans de l'expansion vers le Sahara (suite à des massacres de Français) et du passage de la Tunisie sous protectorat à la fin de la Première Guerre mondiale avec la reprise des actions jugées indigénophiles à l'époque (en particulier par les colons mais pas seulement) à l'initiative du gouverneur général Charles Jonnart. L'ensemble qui couvre l'Entre-deux-guerres et la durée de la Seconde Guerre mondiale pointe certains aspects regroupés dans “que faire de l'Algérie et des Algériens“ et les trois questions habituelles.


Enfin la dernière partie qui court jusqu'à la proclamation de l'indépendance, outre les sous-parties récurrentes “acteurs“ et “ contexte“, traite des violences durant la guerre d'indépendance et sous un grand chapeau intitulé “les voies de l'indépendance“ de divers problèmes. Il est évoqué là les organisations politiques et militaires algériennes, la présence d'immigrés algériens en France et leurs manifestations de soutien à l'idée de la fin de l'autorité coloniale, les Français de métropole opposés à la répression des désirs de la majorité des Algériens. Une postface permet de réfléchir sur l'évolution interne de l'Algérie et des rapports de l'ancienne puissance colonisatrice avec l'Algérie et les populations d'origine algérienne présentes sur son sol. Il existe sur le sol français des mémoires entretenues depuis cinquante ans par des populations diverses (pieds-noirs et leurs descendants, anciens appelés et militaires ayant combattu en Algérie, population immigrée) autour cette guerre d'indépendance. le dernier paragraphe interroge sur l'idée d'élaboration, à l'exemple du partenariat franco-allemand, de façon indépendante de leurs autorités nationales respectives, par des historiens des deux nationalités un manuel retraçant l'histoire commune entre ces deux pays. Gilbert Meynier et Tahar Khalfoune avancent là qu'il s'agit de s'interroger "comment centre-trente deux-années d'une colonisation sans équivalent à l'époque contemporaine, dont ce livre à plusieurs voix tente de retracer l'histoire, ont-elles marqué la société algérienne et française ?".


En un nombre non négligeable d'occasions, ceux qui ont dirigé cet ouvrage ont jugé utile dans le corps d'un texte, de procéder à des renvois vers un autre contenu. Ainsi à page 253 la phrase de Georges Clémenceau qui évoque « le pouvoir répressif exorbitant que le régime de l'indigénat conférait à l'administration coloniale au mépris de toute séparation des pouvoirs », une indication invite le lecteur à regarder les écrits de Sylvie Thénault centrés autour du code de l'indigénat. Dans la mesure où il est question pour toutes les rédactions de faire globalement le point sur un sujet précis, il est plus facile de dégager ce qui est devenu (ou pourrait constituer à l'avenir) un consensus dans la communauté universitaire. Techniquement après avoir traité convenablement de la question, il est difficile d'aborder un aspect du problème qui fait débat, du fait de l'espace imparti très réduit de cinq pages pour le texte et la bibliographie.


Il s'agit donc d'articles de synthèse et pour certaines études, afin de connaître réellement le sujet abordé il faudra aller chercher dans la bibliographie proposée. Dans les conditions énoncées, aux yeux de "l'honnête historien" même non spécialiste de l'Algérie, certains textes n'apportent vraiment pas grand chose d'intéressant et peuvent évacuer un aspect assez majeur de la question, comme nous allons l'illustrer. La question des limites de l'Algérie, du fait de l'organisation de l'ouvrage est traitée par deux textes : la contribution intitulée "La longue histoire de la délimitation des frontières" pour la période 1830-1880 (confiée à une historienne) et celle appelée "La conquête du Sahara algérien" concernant les années 1881-1918 (confiée à un géographe). Chacune d'entre elle apporte des réponses sur la constitution de l'espace algérien, toutefois à leur lecture on ne soupçonnerait pas l'ombre d'un différent ait pu exister sur le tracé de la frontière algéro-marocaine avant et depuis 1962. Il manque entre autre la mise en relief du rôle rétrospectivement comme apparaissant paradoxal de Lyautey, c'est à ce dernier qu'on doit une avancée vers Colomb-Béchar en 1903 ; celle-ci restreint la surface d'un Maroc dont il allait se faire le chantre une dizaine d'années plus tard. Il faut déjà bien connaître le sujet pour deviner que cette question se cache en partie (la question Colomb-Béchar en moins) dans le paragraphe du second texte (de la page 268) commençant à « une seconde phase militaire s'ouvre au tournant du siècle » pour se terminer par « il faudra cependant attendre 1913 pour la reddition de Djanet, et 1934 pour l'occupation de Tindouf ».

Notons d'ailleurs le renvoi à une carte de l'auteur de cet article à une carte dressée par lui la page 21 où il y a mention de la cité Colomb-Béchar (absente de son texte) et un oubli que certains jugeraient significatif de localiser Tindouf (pourtant cité par l'auteur dans le paragraphe, comme nous l'avons vu). Rappelons que le différent frontalier entre Algérie et le Maroc, s'est traduit par un premier affrontement à Tindouf au début octobre 1962. Un troisième texte “Les pays arabes et l'indépendance algérienne 1945-1962“ aurait pu servir à nous éclairer. Certes à la page 650 on évoque la tentative malheureuse de la Tunisie pour tenter d'obtenir une rectification frontalière et on aurait attendu là la mention de l'accord du 6 juillet 1961 entre Hassan II et Ferhat Abbas précisant que les revendications marocaines seront discutées quand l'Algérie sera indépendante. On voit qu'outre le fait de l'obligation d'aller chercher dans trois textes une réponse à une question essentielle par rapport à tout pays, la réponse fournie par cet ouvrage n'est compréhensible qu'à ceux qui connaissent déjà tous les éléments de la réponse.


Toutefois en se centrant sur des personnalités ou de aspects particuliers et en traitant dans la partie "contexte" de sujets pas obligatoirement spécifiquement algériens (mais concernant soit l'ensemble du Maghreb, soit un des deux autres pays de cet espace), cet ouvrage ouvre des perspectives intéressantes. de plus pour réaliser ces puissantes synthèses, il a fallu recourir à des documents variés et si ceux-ci sont dans la très grande majorité écrits, la place des témoignages oraux ou d'observations sur le terrain dans l'histoire la plus récente n'est pas négligeable. En traitant de points précis d'aspects tant « politiques, militaires, économiques, sociaux et culturels, (relevant) de l'histoire de l'État, des groupes sociaux, de l'économie, des idées ou des faits culturels » (page 12) avec des auteurs (historiens ou pas) au parcours et sources si diverses, le risque était d'aller vers un patchwork. Or ce livre prend plutôt l'apparence d'un tableau impressionniste. Faute de pouvoir réaliser encore une peinture magistrale d'histoire, on est donc en présence d'un livre qui pose un jalon vers un ouvrage à deux voix (l'une européenne, l'autre maghrébine) sur chacun des chapitres d'une histoire de l'Algérie coloniale. Il s'agissait de : « proposer une histoire partagée et critique de l'Algérie à la période coloniale qui tienne compte des interrogations des sociétés actuelles sur ce passé» (p.8) en questionnant « la façon dont s'est nouée l'histoire des deux pays et de leurs populations, dans des rapports complexes de domination et de violence, mais aussi d'échanges. Notre objectif a ainsi été d'aider les lecteurs à comprendre comment cette période de colonisation, d'une durée exceptionnelle dans l'histoire contemporaine, a marqué hier et marque encore aujourd'hui les relations entre leurs sociétés respectives» (p.12). Situé dans une perspective d'histoire globale dépassant l'eurocentrisme, cet ouvrage se rattache à l'idée d'une histoire symétrique dite "à parts égales" (selon en particulier Romain Bertrand), mettant en confrontation des sources coloniales et indigènes.


L'ouvrage vise, non seulement des historiens de profession (de l'enseignement secondaire et supérieur) mais un large lectorat composé de personnes sensibilisées au sujet de la présence française en Algérie (voire d'une manière plus large à l'histoire de ce pays du Maghreb) qui veut accéder à autre chose qu'aux images d'Épinal colportées de chaque côté de la Méditerranée. C'est pour une période large (cent-trente ans) et riche en évènements (dont trois guerres entre la France et l'Allemagne, auxquelles les Turcos participèrent) que l'ouvrage dresse un beau panorama à travers plusieurs dimensions. Celui-ci permet de bien prendre conscience que si la question de la Guerre d'Algérie (1954-1962) ne représente pas un aspect somme toute marginal, et encore moins un point de détail, pour reprendre une expression (employée dans un autre contexte) d'un de ses acteurs alors lieutenant de l'armée française, c'est toute la période coloniale de ce pays qu'il est souhaitable d'approcher pour comprendre les relations contemporaines entre la France et l'Algérie. Pour le lecteur qui n'ira pas au-delà de ce livre, l'Histoire de l'Algérie à la période coloniale (1830-1962) constitue donc un socle de connaissances pertinentes labourant, à travers des points précis, un terrain suffisamment vaste pour fournir un tableau de l'évolution de la situation de ce pays durant cette période. Pour celui qui dispose déjà d'un certain vernis de connaissances historiques, ce sera l'occasion pour lui de découvrir des personnalités, des aspects juridiques ou des aspects de l'historiographie de sa discipline (un article comme celui de Florence Deprest sur les géographes français de l'Algérie incite à la réflexion).

Pour connaisseurs Peu d'illustrations

Adam Craponne

Note globale :

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