Avis de Octave : "L’Histoire vivante à travers la fiction?"
En 2002, tous ceux qui s’intéressent à la fiction historique pour la jeunesse relevaient la sortie aux Presses universitaires de Rennes de l’ouvrage Le Moyen Âge dans la littérature pour enfants. On pouvait y lire, à la page 16, ces quelques phrases reprises dans l’ouvrage Fictions médiévales pour la jeunesse: « D’un livre à l’autre, de Bretagne en Béarn, le paysage est le même. Ce Moyen-Âge-pays n’a que trois lieux : une ville, un château, une forêt. Ou mieux : la Ville (qui est souvent un bourg, parfois un simple hameau), le Château, la Forêt. D’un roman à l’autre, seuls les noms changent. On ne se perd jamais au Moyen Âge ». On pourrait également évoqué les présences d'abbaye, d'après nous.
Dans l’introduction, vraisemblablement pas d’Yvon Houssais (elle n’est pas signée), est posée la question de la valeur historique des romans historiques, en renvoyant à un article de Bernard Solet (un très grand auteur de roman historique de qualité) qui, dans le TDC n°867 de mars 2004, dénonçait des ouvrages où l’Histoire n’est utilisée que « comme un décor et une source à personnages, pour un récit intemporel pouvant se dérouler n’importe où » (page 8). Vu la date de rédaction des articles, aucun titres postérieurs à 2014 ne sont évoqués dans l’ensemble des contributions qui composent Fictions médiévales pour la jeunesse.
Pour d’autres périodes historiques on peut très facilement prouver que n’importe quel auteur un peu connu pour ses fictions dans un univers contemporain en direction des enfants s’autorise à faire dans le roman historique de littérature de jeunesse, sans connaître vraiment l’esprit et la période qu’il évoque. Ainsi L’Horizon bleu de Dorothée Piatek, où les anachronismes se ramassent à la pelle (de tranchée) est un des romans historiques de la période de la Grande Guerre les plus encensés par la critique et Le dernier ami de Jaurès de Tania Sollogoub, se voit qualifier dans une revue pédagogique de « roman historique fort bien documenté » par un ancien professeur de littérature médiévale qui n’a pas remarqué en particulier la reprise d’un aspect légendaire autour de la mort de Jaurès qu’un historien identifie spontanément à vue de nez, une affirmation d’un personnage en 1914 qui ne peut être faite que par quelqu’un qui connaît déjà l’histoire des deux révolutions russes de 1917, plus la large incompréhension qu’a l’auteure de l’enchaînement des évènements qui conduisent à la déclaration de guerre… Bref l’auteur de roman historique pour la jeunesse joue sur le velours, son éditeur lui fait une confiance aveugle sur le contenu historique et le critique de littérature de jeunesse est, sauf exception notable, doté d’une culture historique.
Il est certain que le décor médiéval occidental tient une large place dans la fiction pour la jeunesse francophone. Yvon Houssais montre que pour l’ouvrage Basile et le secret de l’abbaye de Gérard Montcomble « il s’agit d’une intrigue fictive qui ne rencontre que très partiellement l’Histoire, réduite à une allusion, une référence. Le texte ne comporte aucune information d’ordre historique, le lecteur apprend l’existence des moines soldats certes, mais la logique événementielle du récit demeure en grande partie extérieure et indifférente à l’Histoire, réduite à un cadre historique qui sert de vague décor, de contexte » (page 18). Yvon Houssais cite Georges Lukàcks qui fixait au roman historique pour adultes l'objectif de rendre « les mobiles sociaux et humains qui ont conduit les hommes à penser, sentir et agir exactement comme ils l’ont fait dans la réalité historique « (page 19). Yvon Houssais évoque assez longuement deux titres qui sont conformes à cet objectif.
Dans le texte suivant, Christine Guérinet montre combien la fantasy s’est emparé de l’univers médiéval. Monique Noël-Gaudreault analyse le contenu du Chevalier Jordan de Maryse Rouy paru chez Hurtubise en 2006 et elle en dégage ces nombreuses qualités, concluant pour ce roman dont l’action se situe en Aquitaine à l’extrême fin du XIIe siècle que « l’auteure parvient à rendre l’Histoire si vivante que Le Chevalier Jordan pourrait servir à enseigner cette discipline, dans la mesure où celle-ci s’intéresse enfin aux relations sociales, aux divers modes de vie des individus, aux croyances et valeurs véhiculées » (page 48). Marie-Laurentine Caëtano s’intéresse aux filles et femmes insoumises dans l’univers médiéval, on ne sera pas surpris d’y trouver Jeanne d’Arc, Marguerite de Male (à la fin du XIVe siècle, comtesse de Flandre et de Rethel mais pas seulement, elle apparaît dans La Jeune Fille rebelle, voir http://www.mijade.be/jeunesse/images/pg_telechargements/La%20jeune%20fille%20rebelle-Fiche%20p%C3%A9dagogique-A.-S.%20Laurent.pdf) ainsi qu’Aliénor d’Aquitaine avec également Anne de Bretagne quoique cette dernière soit née en 1477 (et même si on prend 1492 et non 1453 comme date de fin du Moyen Âge, sa vie relève pour l’essentiel des Temps modernes) à côté d’autres uniquement personnages de fiction.
En matière de littérature de jeunesse, Prague n’est pas seulement prétexte à mettre en scène le golem (censé être apparu vers 1600) comme c’est le cas dans les productions francophones. En effet Renata Štlcová a écrit nombre de romans dont l’action se déroule en particulier sous le règne de Charles IV (roi de Bohême et des Romains de 1346 à 1378), ceci nous est expliqué par Miraslova Novotna. Olivier Wicky évoque le titre La Nouvelle Croisade des enfants d’Henry Bordeaux daté de 1913 où les enfants se rendent à Rome en ce début du XXe siècle, ce n’est donc pas un roman historique à sa sortie et il n’a d’intérêt pour notre sujet que parce que son action trouve ses prémisses dans le récit de la Croisade des enfants en classe. Bien connu dans l’univers de la BD, entre autre pour son active participation au journal Le Téméraire (caractérisé par une forte dose de propagande contre la Résistance, les juifs, les communistes et les Anglo-américains), Erik l’est aussi par ses romans de chevalerie ; Hélène Gallée démonte l’univers fictionnel de cet auteur. Si Mélusine est connue dans le domaine de la BD (à la fois pour son personnage historique et surtout pour la jeune sorcière créée ex nihilo par François Gilson et Clarke), elle a aussi été prétexte à quelques romans historiques, Myriam White-Le Goff s’était déjà penchée sur la question en 2010 et y revient encore.
La deuxième partie et la troisième partie occupent en gros ensemble le tiers de l’ouvrage, elles relatent des expériences en classe de lecture de romans historiques (dont au cours moyen une autour de quelques ouvrages évoquant Aliénor d’Aquitaine) et donne la parole à quatre auteurs de romans historiques, à savoir Jean-Pierre Tusseau, Anne Pouget, Marion Poirson-Dechonne et Pat Van Beirs. Si personnellement nous avions un auteur vivant et un éditeur actuel à recommander en matière de roman historique, pas uniquement pour l'univers médiéval, ce serait Margot Bruyère dans le premier cas et Oskar dans le second. Signalons que Bernard Solet, mort le 4 février 2017, fut l’auteur phare en matière de romans historiques en France pour la seconde moitié du XXe siècle.
Pour connaisseurs Aucune illustration