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Diane de Poitiers

Diane de Poitiers
Fayard432 pages
1 critique de lecteur

Avis de Kingsale : "Un ménage à trois ?"

Diane de Poitiers reste une des plus connues parmi les maîtresses royales, peut-être en raison de son enracinement, en province comme à Paris. En province, c'est bien sûr Anet, malgré sa mutilation, construit pour elle par Philibert Delorme, mais aussi Chenonceau (on lui doit le jardin renaissance au bord du Cher et le pont), Chaumont-sur-Loire, les tombeaux de la cathédrale de Rouen, la salle de bal de Fontainebleau (p. 225-227), la chambre de Diane à Ancy-le-Franc (1), pour  les principaux lieux. Et parmi les plus confidentiels, Sahurs, en bord de Seine, retraite cachée de la grande sénéchale, pieusement conservée dans son jus. A Bréval et Nogent-le-Roi ne subsistent que quelques restes des anciennes forteresses. Beynes (Yvelines), donné par Henri II, n'est plus qu'un grand tas de pierres. Cheverny, Maulévrier et Mauny (Seine-Maritime) ont été reconstruits entièrement. Le château où Jacques de Brézé, beau-père de Diane, a commis l'irréparable, Rouvres près d'Anet, a disparu. Rappelons qu'après avoir trouvé sa femme, Charlotte de Valois, au lit avec un écuyer, il les a tués tous les deux, provoquant une fausse colère de Louis XI, qui ne pouvait officiellement admettre qu'on tue sa demi-sœur, mais détestait tout ce qui se rapportait à Agnès Sorel.

A Paris, en raison de ses fonctions à la cour, Diane habite l'ancien château du Louvre et va assister à sa mutation avec la construction de l'aile Lescot. C'est dans sa chapelle qu'elle marie sa fille Françoise à Robert de La Marck en 1538. Son royal amant a adopté son emblème, le croissant de lune, qui est en fait l'emblème de Diane chasseresse. Il le porte et le fait porter à ses gens. Mieux, il s'invente un emblème à trois croissants entrelacés, que Diane aussi utilise. Est-ce que cela signifie Henri, Catherine et Diane ? Les liens sont forts entre les trois. Diane a été choisie par François 1er pour s'occuper de l'éducation d'Henri après le retour de captivité du jeune garçon (p. 78) et il a développé à son égard un sentiment maternel, avant de franchir le pas. Elle est pour beaucoup dans le projet de mariage avec Catherine de Médicis, qui se trouve être sa cousine par les La Tour d'Auvergne (p. 78-79) et dont elle s'est vite fait une alliée, chargée de lui raconter tout ce qui se trame. En retour, Diane servira les intérêts italiens de la dauphine. Quand, au bout de dix ans de mariage, Catherine n'a toujours pas d'enfant, Diane plaide sa cause auprès de François 1er qui veut la répudier, et pousse Henri à accomplir son devoir conjugal (p. 110) ; elle lui donne même de judicieux conseils sur la meilleure façon de pallier la malformation dont il est victime (p. 132). Difficile d'aller plus loin ! Par la suite, le chirurgien du roi serait intervenu. Le résultat de tous ces bons soins est que Catherine aura dix enfants, dont Diane, encore elle, va s'occuper en les pouponnant (p. 173-174). Elle est naturellement nommée première dame d'honneur de la nouvelle reine en 1547 (p. 164). 

Au Louvre, ce n'est pas seulement l'emblème du roi mais son chiffre qu'on utilise, dont on va truffer les murs, les plafonds, les boiseries et les meubles. Ce chiffre atteint le sommet de l'ambiguïté : il est censé être composé d'un H et de deux C entrecroisés. Le problème est que les branches des C s'arrêtent pile aux jambages du H, de sorte qu'on lit plutôt H + D. Personne n'est dupe et les commentaires vont bon train (p. 209). Catherine supporte sans mot dire, mais après la mort du roi, sa réaction est éloquente : elle fait redessiner les branches des C, qui dépassent nettement les jambages du H, de sorte que personne ne peut plus lire H + D. Elle ne touche pas cependant aux motifs sculptés qui continuent d'évoquer la présence de Diane. Trois siècles plus tard, Balzac commet une étude en introduction de son roman historique Sur Catherine de Médicis, où il nie farouchement toute ambiguïté. Pour lui, le chiffre royal ne pouvait se lire que H + C. Il cite à l'appui de ses dires le chiffre qui figure sur la colonne astrologique. Il oublie juste qu'elle a été construite de nombreuses années après la mort d'Henri II. Serait-il aussi mauvais historien qu'il a été bon romancier ?

Ivan Cloulas a recensé les représentations de Diane dans les divers musées. Au Louvre, elle joue les vedettes aux Sculptures et aux Peintures, le plus généralement nue. Aux Sculptures, c'est bien sûr le groupe en marbre aux proportions monumentales de Diane au cerf, qui vient d'Anet, chef d'œuvre d'harmonie d'un sculpteur non identifié (comme l'est toujours l'auteur de cet autre chef d'œuvre, le gisant de Louis de Brézé à Rouen). On peut aussi mentionner le bronze de la Nymphe de Fontainebleau du grand Benvenuto Cellini, commandé à l'artiste par François 1er pour Fontainebleau et qui n'est pas censé représenter Diane, mais qui n'a jamais été installé à Fontainebleau car détourné vers Anet. Ce bronze de grande taille représentant une nymphe allongée aux proportions très bellifontaines est maintenant dans l'escalier Mollien, mais il avait été conçu pour orner le tympan d'un portail avec sa forme arrondie. Et c'est effectivement au-dessus du portail d'entrée d'Anet que Philibert Delorme l'installa. Il conserve donc le souvenir de Diane. Aux Peintures, incontournable est le portrait de Diane chasseresse, avec un discret croissant dans les cheveux, qu'Ivan Cloulas a choisi pour la couverture de son livre. Quant à l'Eva Prima Pandora de Jean Cousin, aux proportions également bellifontaines, elle n'est généralement pas rapprochée de Diane, mais pourrait faire allusion à elle sous une forme allégorique en raison des symboles utilisés. On notera qu'une autre version du tableau a servi pour l'entrée solennelle d'Henri II à Paris en 1549, où Diane était aux premières loges, et que l'artiste a travaillé pour elle. Enfin, les Objets d'Art conservent plusieurs émaux de Léonard Limosin et d'artistes anonymes qui se rattachent à Diane.

Si la relation entre Henri, Diane et Catherine a fait couler beaucoup d'encre, Ivan Cloulas ne fait aucune allusion à un ménage à trois au sens charnel où on l'entend. Il note juste des liens d'amitié, des relations étroites, une grande complicité qui n'est pas exempte de brouilles et de rivalités. Il est certain que Catherine a souffert de la place dévolue à Diane, la plus que reine, comme l'appelle l'auteur, mais elle supporte cette situation stoïquement, au nom de l'amour qu'elle porte à son mari et en souvenir des services rendus par Diane. Il en ira différemment après la mort d'Henri mais sa vengeance restera des plus modérées. On est par contre surpris quand Ivan Cloulas fait intervenir le connétable de Montmorency dans un rôle où on ne l'attendait pas (p. 170 et 194-196), qui est fort choquant et suscite l'incrédulité...

Plus généralement, le portrait de Diane qu'il trace est très contrasté : dévouée à la cause royale certes, mais avide et saisissant toutes les occasions pour accroître sa fortune. Elle a fort à faire à ses débuts avec la duchesse d'Étampes, favorite de François 1er, et participe à fond aux luttes d'influence entre Guise et Montmorency. Politiquement, elle adopte un parti belliqueux face à Charles Quint et pousse Henri II à un affrontement qui sera des plus stériles et des plus coûteux, au nom d'ambitions italiennes qui peuvent rejoindre ses intérêts personnels. Elle cherche même à torpiller les tentatives de paix. Charles Quint se vengera de la plus horrible façon : en février 1556, une énième trêve est conclue à Vaucelles. Il est prévu un échange de prisonniers. Le plus important que détiennent les Impériaux est Robert de La Marck, maréchal de France et gendre de Diane. Il est libéré mais Charles Quint a donné l'ordre de l'empoisonner préalablement. Il a le temps de rentrer en France et meurt dans d'horribles convulsions. Cet incident pourtant significatif manque à l'ouvrage d'Ivan Cloulas. Mais, de Diane, la plupart ne retiendront qu'une chose : sa splendide nudité qui réjouit les yeux et le cœur...

 

(1) A Ancy-le-Franc, un des plus beaux châteaux renaissance de France construit par Serlio, Antoine de Clermont a fait réaliser au rez-de-chaussée un appartement dédié à sa belle-sœur, Diane de Poitiers, dont les fresques sont somptueuses

 

Pour tous publics Quelques illustrations Plan chronologique

Note globale :

Par - 16 avis déposés - lecteur régulier

16 critiques
25/08/16
C'est passionnant, merci !
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