Avis de Georgia : "Par le trône de Baal, mes éléphants passeront !"
Placé sous les ordres du général Hannibal Barca de Carthagène, - ville fondée par son père Hamilcar et située en Murcie au sud de l'Espagne - , le jeune Aris possède ce que veut Hannibal plus que tout pour concrétiser son destin : un mastodonte gris qui est l'ami d'Aris. Car aussi fou que cela paraisse, Hannibal a décidé de défier Rome en passant les Alpes à l'aide de ses éléphants de guerre. Bomilcar, le père d'Aris a confié très tôt à son fils un éléphanteau qui se nomme Sira et qui, de fait, n'appartiendra qu'à lui. Ils vont grandir ensemble, partager les mêmes campements et voyager de Carthage à Carthagène, cheminer fièrement sur la route de Rome sans parvenir jamais à l'atteindre. Rome a imposé son pouvoir dans le bassin méditerranéen et envahi la Sicile et la Sardaigne, ce qui clôt la première guerre punique mais en ouvre une autre. Les historiographes prêtent à Hannibal la responsabilité de la seconde guerre punique (punique est un adjectif dérivé du mot « phénicien » ).
Quoi qu'il en soit, Aris est du voyage. L'expédition se suit vallon après vallon, escalade les roches escarpées, traverse les flots tumultueux des rivières, découvre des vallons verdoyants et dévale les pentes abruptes des cols apennins. Au cours d'une de ces journées périlleuses, Aris, fils de Bomilcar, perd l'un de ses amis prénommé Imilcon lors de la traversée du Rhône. Il faut dire que la plupart des soldats d'Hannibal ne savent pas nager. La mort est présente partout, comme un brouillard épais qui ne laisse pas voir d'où elle surgira. La faim rôde, elle aussi. La guerre n'est pas uniquement une affaire de courage ou de corps à corps. Le ravitaillement est le nerf de la guerre. Un éléphant, un cheval, un chariot avec son chargement qui dérape sur les chemins glissants et raides des cols alpins et voilà plusieurs centaines d'hommes qui n'auront pas à manger le soir. De quoi les plonger dans le désespoir le plus noir. De quoi amoindrir leur santé et la force physique de leurs corps aguerris. Un homme épuisé de faim et dépressif est un soldat quasi mort.
Il faut avoir été un grand général pour avoir su regonfler le moral des troupes. Tâche ardue car les hommes se distinguent par leurs origines et leurs dialectes. Des Lybiens, en grande majorité mais aussi des gaulois, des ibères, des numides qui se révélent excellents cavaliers. A cela, s'ajoutent trente-sept magnifiques éléphants de guerre, pris en main par un maître des éléphants. Hannibal tient à ses éléphants, ne serait-ce que pour l'effet de panique qu'ils provoquent chez l'ennemi. Il faut les préserver. Leurs pattes et genoux sont recouverts de protection de cuir, pour éviter qu'ils ne glissent et ne basculent dans la vallée, entraînant hommes et ravitaillement, armes et chevaux.
Aris, le jeune numide connaît la vie des camps depuis sa naissance et a beaucoup erré de par les routes. Comme si rester était déjà mourir, comme si se contenter de ses territoires ne suffisait plus à l'orgueilleuse Rome. « Se fixer, c'est mourir » dit l'auteur. Il fallait bien réagir. Heureusement qu'Hannibal, fils d'Hamilcar Barca était là avec son génie militaire, son éducation en partie grecque, ses impulsions et la rapidité de ses décisions.
Mais déjà, se profile un obstacle. La traversée du Rhône pose problème. Que faire des éléphants ? Comment leur faire passer les beaux rivages qui mènent à la victoire ? Hannibal trouve une solution. Il en trouve toujours. Enfin, le plus souvent. Il fait acheter une quantité incroyable de bois. Les masdodontes effrayés par les flots traverseront sur des ponts construits par les soldats qui se font pour l'occasion charpentiers. Des hommes à tout faire et à tout endurer pour leur général. Les carthaginois n'ont rien inventé et tout appris des grecs. Il faut faire face aux adversaires, à tous les ennemis, les volques et leurs attaques surprises, sans ordre, sans ruse mais le cœur au ventre. Plus tard, ce sera les Allobroges, les médulles. Tous de redoutables combattants. Les populations hostiles défilent, le paysage, aussi. Mais l'ennemi irréductible reste Publius Scipion qui mène les légions de Rome avec ordre et méthode, précision militaire et endurance.
L'auteur nous oblige à suivre le parcours dangereux et initiatique qui mènera Hannibal et ses troupes disparates au succès. Passer la Durance, franchir l'Isère avec en tête les éléphants, trouver des alliances le long des chemins pour s'assurer du succès, lutter contre les attaques dans des défilés meurtriers avec jets de pierre et chutes dans le ravin. Les Boïens sont des alliés de circonstance tout comme les Gaulois qui agissent en éclaireurs et qui ont en menace visuelle les légions venues de Rome qui se propagent dans les plaines du Pô. Les Allobroges observent d'un très mauvais œil les carthaginois se risquer sur leurs terres. Détruire l'ennemi coûte que coûte et leur voler leur nourriture, leurs armes et assurer leurs bases devient le credo d'Hannibal. Et progresser. Lentement. Irréversiblement. La vallée de la Maurienne se profile enfin avec sa horde de médulles à combattre.
Et toujours le général qui exhorte, félicite, titille la fierté humaine et fait miroiter des réussites qui dépasseront en nombre et en valeur celles de leurs aînés. Hannibal sait parler à ses hommes, sublimer leur courage et susciter la ferveur. Il leur promet des vivres et de l'or et jure qu'aucune mort ne sera inutile. Que dire d'autre, qu'affirmer de plus pour les pousser à avancer ? Car rester, c'est mourir : « Les dieux m'ont confié la meilleure et la plus brave des armées. Préparez les bagages ! Demain, à l'aube nous partirons comme le vent ».
Malgré cela, les armées d'Hannibal n'ont pas la légéreté du vent face à ce climat implacable. Il faudra laisser les cols derrière eux avant que la neige ne ferme les routes, les condamnant tous à une mort affreuse. Les ravins sont là, immuables et traîtres. L'aridité des paysages s'oppose au gré du voyage à la liquide mouvance bleue des rivières à passer, aux vallées verdoyantes où se déverse l'ennemi. Nul lieu où se reposer. Aucun moment de répit. Même si les morts se comptent par milliers, il n'en reste pas moins que sur les trente-sept éléphants au départ, trente-sept poseront leurs grosses pattes dans la plaine du Pô. Comme si les principaux personnages du récit, les héros de l'histoire étaient ces mastodontes grisâtres qui accompagna l'homme dans l'expédition militaire qui reste dans les mémoires comme l'aventure la plus tactique de l’Antiquité.
Le récit est d'autant plus vivant que Vincent Delannoy utilise la brisure de styles, passant alertement d'une phrase privée de son verbe à une autre qui se sert de l'infinitif comme pour pour mieux accélérer le rythme de l'action. Et toujours le présent de l'indicatif qui donne une fulgurance au récit. Un voyage que j'ai aimé faire et que je conseille. La légende dorée d'Hannibal emporte l'adhésion du lecteur avec un zeste symbolique : « Et puis, trois jeunes cornacs ont abattu huit loups. La nouvelle a grandement réjoui le général. Tuer un loup, c'est tuer Rome. C'est un présage de notre victoire ».Car comme le dit Vincent Delannoy, pour un soldat, pour un général qui plus est, pour Hannibal enfin, il ne s'agit que de vaincre ou de mourir. Il n'y a pas d'autre alternative.
Pour tous publics Quelques illustrations Plan autre