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Les parias de la République

Les parias de la République
Perrin 377 pages
1 critique de lecteur

Avis de Adam Craponne : "Un livre qui sort justement alors que l’assassinat de Jean de Broglie date de 40 ans"

Le titre renvoie à un imaginaire que risque de conduire vers une anticipation du sujet bien loin du contenu. En fait Maxime Tardonnet a choisi en fait huit personnalités ayant joué un rôle politique très important sous les IIIe, IVe et Ve République. Quatre sont liés à la période 1870-1940 ce sont Albert de Broglie, Joseph Caillaux, Alexandre Millerand et André Tardieu, deux ont une action principalement sous la IVe République à savoir Jules Moch (toutefois il est député socialiste dès 1928) et Georges Bidault (qui est député de 1945 à 1962 et a donc des interventions publiques au début de la Ve République), enfin les deux derniers Michel Poniatowski et Édith Cresson sont en rapport avec la Ve République.

En gros, l’auteur pense que ces huit personnalités sont parmi les plus mal aimés des hommes politiques français connus alors qu’ils ont nombre de qualités. Bref on est face à des hommes d’État selon  Maxime Tandonnet, ceci l’obligeant à donner des pistes pour mettre un contenu derrière ce qualificatif. Sur son blog, l’auteur, ancien de l’ENA, se dit avoir été un des conseillers de Nicolas Sarkozy pendant sept ans (à partir de 2004, mais on peut avancer aussi l’année 2002) sur certains sujets dont l’immigration mais lui était contre l’idée de déchéance de nationalité et il a une vision éclairée du sujet (voir http://www.lefigaro.fr/vox/societe/2015/08/03/31003-20150803ARTFIG00089-l-immigration-revelateur-du-gouffre-entre-l-europe-d-en-haut-et-l-europe-des-peuples.php). En 2011 il devient inspecteur général au ministère de l'Intérieur et donne des cours dans plusieurs universités, l’un de droit de la nationalité et des étrangers à Paris XII et l’autre de coopération policière internationale à l’université de Nice.

Dans son introduction, on est surpris de lire que Louis XVI fut le premier paria de la République française, par contre on le suit plus facilement sur l’attribution de ce qualificatif à Lamartine. Voici la définition qu’il livre :

« Les grands parias de l’histoire politique sont des incompris, des mal-aimés. Ils perturbent constamment l’ordre établi, contestent les idées les plus consensuelles. Ils sont accusés de mauvais caractère, d’arrogance, de misanthropie, d’autoritarisme, sinon de tentation totalitaire… » ( page 19). Évidemment, comme le souligne l’auteur, peu de rues portent leur nom. Au passage l’auteur oublie qu’une rue André Tardieu existe à Belfort et d’ailleurs elle a été inaugurée lorsque Jean-Pierre Chevènement était maire, ceci en lien au fait que ce collaborateur de Clemenceau fut député de la partie rurale du Territoire de Belfort entre 1926 et 1936. Ce qui nous fait penser personnellement que sans la Première Guerre mondiale, Clemenceau aurait compté dans les rangs de ces parias car juste avant 1914 il était tant rejeté par la droite pour son anticléricalisme que par les socialistes pour sa répression du mouvement ouvrier.    

Puisque l’auteur nous a cité Louis XVI dans un éventuel corpus, pourquoi ne pas prendre en exemple Albert de Broglie,  député puis sénateur orléaniste de l’Eure de 1871 à 1885, resté dans l’histoire comme le chef de deux gouvernements d’ordre moral qui sévissent l’un de 1873 à 1874 et l’autre en 1877. Voilà toutefois qu’on apprend que notre personnage a voté le 30 janvier 1875 l’amendement Wallon instaurant un nouveau régime par son contenu :

 « Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans ; il est rééligible. »

Maxime Tandonnet nous rapporte les propos du duc de Broglie sur ce sujet :

« J’avais toujours pensé, on le sait, que le vrai moyen de sortir de nos embarras était de vendre au centre gauche la reconnaissance de la république, au prix de la constitution d’un Sénat conservateur. » (page 49)

Pour la Sénat, il imaginait un Grand Conseil des Notables composé de membres nommés à vie par le président de la République, de membres de droit éminents et de membres élus pour leurs capacités. Selon Maxime Tandonnet lui et son ami le vicomte Marie-Camille-Alfred de Meaux (qui a voté contre l’amendement Wallon) se voient contraints par solidarité avec le président Mac-Mahon à être les agents de ce dernier dans un nouveau gouvernement durant l'année 1877. L’auteur rappelle que nombre de fonctionnaires et maires sont révoqués durant ce ministère; d’autre ajouterons-nous sont déplacés comme cet inspecteur primaire de Corrèze qui par chance retrouve d’ailleurs sa Nièvre natale. Le mérite essentiel du duc de Broglie semble dans cette affaire d’avoir refusé de se lancer dans un coup d’état après que les élections d’octobre 1877 aient renvoyé une majorité républicaine. Notre auteur conclut que :

«  La défaite d’Albert de Broglie marque le basculement du pays dans une nouvelle ère, où les valeurs d’égalité, de progrès social et de libertés publiques l’emportent définitivement sur celles d’honneur, de foi, d’équilibre et de traditions. » (page 57)

On passe à Joseph Caillaux, ce qui permet de poser la question des conditions de déclenchement de la Première Guerre mondiale. On est en droit de penser que Georges Mandel excuse bien à tort Clemenceau (sur le dos de Poincaré) pour les ennuis qu'a connu Joseph Caillaux entre 1914 et 1920 (page 87). En effet au sujet du procès en intelligence avec l’ennemi , on sait que le Tigre avait très mal perçu l’amnistie de Caillaux en 1924 et qu’il considérait encore comme un traître. Ceci, comme il le raconte, allant jusqu'à à fermer sa porte à tous ceux qui l'avaient votée, y compris des parmementaires dont il avait appuyé la candidature aux élections de la fin de la Belle Époque. Joseph Caillaux, homme d'état, on peut se poser la question en particulier à partir de ce qu'écrit son épouse à la veille de leur mort en expliquant que Caillaux savourait sa vengeance en faisant tomber les gouvernements Blum du Front populaire en lui rappelant qu'en 1925, 1926 et 1935 les socialistes l'avaient empêché de gouverner. Une remarque personnelle évidemment.

Deux chapitres plus loin on aborde le cas d’André Tardieu qui fut l’autre collaborateur principal de Georges Clemenceau dans les années 1910 toutefois lorsqu'en juillet 1926 le premier entre dans le  gouvernement d'Union nationale de Poincaré comme ministre des Travaux publics, Clemenceau se brouille avec lui. On sait généralement que les réformes constitutionnelles qu’il exposait (dont la possibilité de dissoudre la Chambre sans l’avis du Sénat, l’usage du référendum et un Premier ministre aux pouvoirs élargis face à un président qui garderait le peu d’influence qu’il a) servirent pour parti d’inspiration à la constitution de la Ve République et on ignore généralement que son dernier acte politique est la condamnation des Accords de Munich.

Jules Moch a laissé chez les militants communistes le souvenir d’un maître dans la répression des grèves de 1947 et 1948. On peut d’ailleurs regretter que ne soient pas mis en avant les grèves sont déclenchées en octobre 1948 par la CGT en raison d'un retard des salaires sur les prix de plus de 30 % L’auteur préfère décrire très largement "un climat insurrectionnel qui semble entraîner la France vers l’abîme" (page 187). On pourra retenir deux choses de cet épisode, tout d’abord l’usage de la communication par la radio et l’image d’homme d’ordre qu’il y gagne (il envoie non seulement la police, les CRS mais aussi les militaires pour dégager les piquets de grève). Toutefois on peut se demander si son échec dans sa tentative de devenir Président du conseil en octobre 1949 n’est pas dû aussi au fait que les ministres potentiels ne veulent se trouver en la compagnie d’un homme porteur d’une telle symbolique. Selon certains, un de ses plus grand mérites fut de rendre publique en 1954, dans le cadre de son mandat à l'ONU, la secrète et intense coopération militaire franco-israélienne dans le domaine du nucléaire qui donna la bombe atomique à Israël, nous le signalons de notre propre chef.  

Le texte sur Michel Poniatowski est l’occasion de reparler de la famille de Broglie avec cette fois Jean qui est assassiné le 24 décembre 1976 ; on aurait pu nous dire que si Michel Poniatowski, alors ministre de l'Intérieur, intervient si vite pour révéler ses conclusions sur le meurtre c’est parce qu’il entend cacher que ce meurtre est lié à un trafic d’armes (avec en particulier la Syrie et la Lybie). D’ailleurs deux des personnes dont il livre les noms sont innocentes. Autre petit oubli de la part de l'auteur, nous signaler que Jean de Broglie avait été le trésorier des républicains indépendants, donc au courant du financement de la campagne présidentielle de Valéry Giscard d’Estaing en 1974. Cerise sur le gâteau, il venait de passer, avec toute sa science sur les réseaux giscardiens, au RPR naissant. Michel Poniatowski, avait fustigé en 1972 dans le mouvement gaulliste une tendance vers la « République des copains et des coquins ». Que de couleuvres n'a-t-il du avaler comme ministre de l'Intérieur! La rivalité entre Giscard d'Estaing et Chirac ne laisse pas que de Broglie sur le carreau. Bref ce que reproche, sur ce sujet, le président Giscard d'Estaing à son ministre de l'Intérieur n'est pas ce qu'avance Maxime Tandonnet. Notre auteur nous dit que Michel Poniatowski « jette les fondements du discours sécuritaire », « Avec lui, la délinquance et la criminalité, issues des désordres du monde moderne, sortent ainsi de la sphère des faits divers pour s’affirmer comme un enjeu prioritaire » (page 275). Est-ce un titre de gloire, au regard de l’exploitation qui en a été faite (entre autres par Sarkozy et le Front national)? En tout cas certains lui disent merci…

L’auteur cherchait en ces personnages « un dirigeant politique qui sans prétendre incarner à travers sa personne le destin national, ni viser à éternise sa mémoire, serait à même de réhabiliter la politique en la ramenant sur le terrain du gouvernement, de la décision, des choix et de l’intérêt général» (page 348). A-t-il fait le bon choix avec ces huit-là ? On peut en discuter pour plus d'un. En tout cas, l’ouvrage nous permet de revisiter, certes avec un peu de complaisance pour les acteurs sélectionnés, de nombreux moments fort intéressants de l’histoire de France (bien plus que huit).   

Pour connaisseurs Aucune illustration

Adam Craponne

Note globale :

Par - 733 avis déposés - lecteur régulier

400 critiques
08/10/19
Georges Bidault, le naufrage d’un grand homme d’État
https://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/georges-bidault-le-naufrage-d-un-218357
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