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Le procès de canonisation de Charles de Blois,duc de Bretagne (1319-1364)

Le procès de canonisation de Charles de Blois,duc de Bretagne (1319-1364)
Presses Universitaires de Rennes958 pages
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Avis de François S.F. : "Une procédure qui n'a débouché sur rien"

À la mort de Jean III, duc de Bretagne, en 1341, parti sans laisser un successeur né de son sang, l'époux de Jeanne de Penthièvre, nièce et héritière du prince défunt, se mit sur les rangs et se fit proclamer duc baillistre de Bretagne. Cet homme, nommé Charles de Blois, se trouvait être le neveu du du roi de France, Philippe VI de Valois, et ce lien le rangeait plus ou moins nécessairement dans le camp de ce dernier. Mais c'était sans compter avec un rival de poids, Jean de Montfort, qui se trouvait être l'oncle de Jeanne de Penthièvre et qui, lui, marié avec Jeanne de Flandre, allait à son tour revendiquer la couronne ducale armoricaine en s'appuyant sur les Anglais, qui devaient implanter des garnisons dans le duché et qui allaient même tenir Brest pendant des décennies. Chacun des deux camps avait son clan derrière lui et ses places fortes conquises sur le terrain. Cette guerre, que l'on peut bien appeler la guerre de succession de Bretagne, et qui fut fort longue puisqu'elle dura de 1341 à 1364, se solda, après bien des retournements, par l'échec final des partisans de la famille de Blois-Penthièvre sur le champ de bataille d'Auray, le 29 septembre 1364, et par la mort de Charles de Blois, alors que Charles V dit le Sage était en charge du royaume de France et qu'Édouard III régnait en Angleterre. Un traité, signé à Guérande invalida les prétentions de Jeanne de Penthièvre et consolida les positions de Jean IV de Bretagne (dit aussi Jean de Montfort, troisième du nom), lequel avait succédé à Jean III de Bretagne, décédé en 1345. Jean IV allait continuer à "régner" en Bretagne contre la promesse plus ou moins respectée de ne plus faire appel aux Anglais.


Le corps de Charles de Blois fut dignement enterré dans l'église des Franciscains à Guingamp puis déplacé en 1591 pour être inhumé définitivement non loin de là, à Notre-Dame de Grâces. Le gendre de feu Charles de Blois (1), Louis d'Anjou, fils de Jean II le Bon et frère de Charles V, qui était le lieutenant de ce dernier dans les terres du Languedoc et qui connaissait l'ardente piété de Charles de Blois, appuya la démarche entreprise par un moine franciscain, Raoul de Kerguiniou, et par Jeanne de Penthièvre pour instruire, dès 1367, auprès de la Papauté qui siégeait encore en Avignon, un procès de canonisation de l'ancien duc baillistre. Après de multiples enquêtes, un procès dans les règles s'ouvrit effectivement à Angers en 1371, dans le but plus ou moins avoué de discréditer moralement, sinon de déligitimer totalement, Jean IV de Bretagne. La lutte entre les Blésistes et les Monfortistes allait donc se poursuivre sur un autre terrain. Tout sembla bien commencer pour les premiers sous le pontificat d'Urbain V. Mais, malheureusement pour celui que l'on voulait porter sur les autels, Grégoire XI, autrement dit Pierre Roger de Beaufort, dernier Souverain Pontife français, élu en décembre 1370, alors qu'il n'était même pas prêtre et qu'il fallut rapidement consacrer au sacerdoce et à l'épiscopat, fut pris dans le mouvement de retour de la Papauté à Rome, qui devait être effectif en janvier 1377. Du coup, la cause de Charles de Blois se trouva oubliée du fait du départ de la curie vers l'Italie et du déclenchement du Grand Schisme d'Occident à la mort de Grégoire XI par scission du Sacré Collège et à la suite de la double élection d'un pape italien, Bartolomeo Prignano sous le nom d'Urbain VI et d'un pape pro-français en réaction, Robert de Genève, sous le nom de Clément VII, avec le soutien de Jean de La Grange, cardinal d'Amiens.

Voilà pour le contexte historique et le point où fut laissée la défense du dossier de canonisation de Charles de Blois

Venons-en maintenant au livre qui nous occupe. La nouvelle édition critique qui nous est proposée des pièces du procès n'est pas fondée, et c'est un bon point, sur le manuscrit plus ou moins défectueux qui avait servi en 1921 au père franciscain Antoine de Sérent. André Vauchez, initiateur du nouveau projet, a quant à lui exhumé des pièces enfouies dans les archives du Vatican (le Ms. Lat. Vat. 4025 et Collectorie 434 et 434A de l'Archivio Apostolico Vaticano) et peut-être échouées là par hasard. Avec ses collaborateurs Laurent Héry, Jean-Paul Le Guillou, Yves Le Guillou et Armelle Le Huërou, Vauchez nous livre ici une édition bilingue, en latin avec traduction en français, de cet ensemble totalement inédit qui était sorti des mains des personnes chargées de recueillir les déclarations et dépositions orientées, dans le sens voulu par Raoul de Kerguiniou, des 164 témoins auditionnés sous la foi du serment entre le 9 septembre et le 18 décembre 1371, à Angers, assez loin des terres bretonnes où les Monfort n'auraient jamais permis que l'on pût traiter d'une telle affaire, qui ne pouvait tourner qu'à leur désavantage.

C'est de cette masse documentaire qu'auraient dû ensuite se saisir les cardinaux et Sa Sainteté le pape, dans un consistoire secret, en vue de proclamer la canonisation de Charles de Blois.
Évidemment, les textes que nous pouvons lire ne sont pas la retranscription littérale des propos qui ont été tenus. Ils ont été amendés et retravaillés pour coller avec ce qu'il fallait démontrer de dévotion, de sagesse, de prudence, de tempérance, d'humilité, de force, de justice, de charité chez Charles de Blois, toutes vertus que l'on disait avoir été très développées dans son cas.

Raoul de Kerguiniou n'attendit pas que des témoins vinssent à lui, il alla lui-même les chercher et les choisit en fonction des faits miraculeux dont on devait rendre incontestable la manifestation. Des faits extraordinaires où l'on voulait voir des interventions célestes en rapport avec une dévotion ou d'une dulie où Charles de Blois était concerné, seuls 41 des 123 miracles évoqués durant la procédure retinrent l'attention des juges. C'est Raoul de Kerguiniou en personne qui se porta garant de l'authenticité des témoignages qui rapportaient l'apparition de traces de sang sur un portrait de Charles de Blois visible au couvent franciscain de Dinan en 1368, événement auquel le promoteur de la cause aurait lui-même assisté.
Bien sûr, dans un texte aussi long, il y a d'inévitables redites, exagérations et inventions dans le but de prouver que Charles de Blois fut incontestablement un saint. Néanmoins, l'ensemble n'en constitue pas moins un modèle exemplaire de ce que pouvait être un dossier procédural en canonisation au Bas Moyen Âge, même si celui-ci n'aboutit pas au résultat escompté.
Le travail conduit par André Vauchez est de nature scientifique. Mais qui sait s'il n'aidera pas à réveiller l'intérêt de certains croyants pour cet homme dont on aurait bien pu proclamer la sainteté.
Remercions les Presses Universitaires de Rennes et l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres d'avoir patronné cet important travail de groupe et publié ce livre.

François Sarindar, auteur de Charles V le Sage, Dauphin, duc et régent publié en 2019 et de Charles V le Sage ou les limites d'un grand règne, ouvrage publié en mars 2023.

(1) Il avait été uni en 1360 à Marie de Bretagne, fille de Charles de Blois et de Jeanne de Penthièvre.
coup de coeur ! idé cadeau

Réservé aux spécialistes Quelques illustrations

Note globale :

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