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Derrière la façade, vivre au château de Versailles au XVIIIe siècle

Derrière la façade, vivre au château de Versailles au XVIIIe siècle
Perrin272 pages
1 critique de lecteur

Avis de Kingsale : "quel contraste avec l'image si brillante !"

W.R. Newton est un historien américain qui a réussi à damer le pion à tous ses collègues français en devenant le spécialiste incontesté de Versailles, l'auteur d'ouvrages de référence sur un sujet des plus difficiles quand on veut aller dans le grand détail. Sa performance a suscité l'enthousiasme du grand Marc Fumaroli (1). On lui doit :

1) L'Espace du roi, la Cour de France au château de Versailles (Fayard, 2000)

2) La Petite Cour, services et serviteurs à la Cour de Versailles (Fayard, 2006)

3) Derrière la façade, vivre au château de Versailles au XVIIIe siècle (Perrin, 2008)

4) Versailles, côté jardins (Tallandier, 2011)

5) Dans l'ombre de la Cour (Honoré Champion, 2015)

6) Les Chevaux et les chiens du roi à Versailles (Honoré Champion, 2015)

Un seul reproche : avoir choisi pour les deux derniers un éditeur aux prix peu abordables. Mais pour le reste, quelle mine de documentation !

L'Espace du roi et La Petite Cour sont réservés aux spécialistes. A partir essentiellement des données de la série O (Maison du roi) des Archives nationales, l'auteur  nous retrace l'évolution des appartements du château et de ses dépendances, avec de nombreux plans à l'appui, et nous fournit la liste de leurs occupants. Les fonctions de ces occupants, qu'ils soient nobles ou roturiers, sont à cette occasion explicitées et leurs rémunérations détaillées.

Le livre le plus accessible et le plus vivant de la série est Derrière la façade. Comme son titre l'indique, il étudie le fonctionnement de cette immense machinerie, ce qui se cache derrière l'apparat et qui est le plus souvent fort peu reluisant. Ses chapitres sont consacrés au logement, à la nourriture, l'eau (donc l'hygiène), le chauffage, l'éclairage, le nettoyage et le blanchissage. Chacun de ces chapitres contient sa part de révélations étonnantes. On découvre ainsi les bagarres entre représentants de l'administration et lavandières pour le contrôle des points d'eau (les bassins du parc sont l'objet de toutes les convoitises) et le séchage du linge (aux branches dudit parc !), la lutte contre les rats qui galopent par centaines sous les dallages pour laquelle on est obligé de faire appel à des spécialistes étrangers, les risques d'asphyxie des vidangeurs qui descendent dans les fosses d'aisance, avant qu'on ne se résolve sous Louis XVI à utiliser des pompes, les courtisans qui intriguent pour obtenir des doubles chassis en verre de Bohème si appréciés pour lutter contre les températures extrêmes (2), leur passion pour les glaces qui coûtent encore très cher mais permettent de réfléchir la lumière et donnent une sensation d'espace, l'énorme consommation de chandelles, à la fois source de trafics lucratifs et risque permanent pour la sécurité des bâtiments (le domestique qui s'endort, chandelle à la main), les "cheminées postiches" souvent construites sans autorisation, dont les tuyaux percent les façades et qui noircissent les murs...

Le problème du chauffage se pose en effet avec une acuité qu'on a peine à imaginer. On cite souvent l'eau ou les sauces qui gèlent sur la table royale. Aucun chauffage central, pas de bouches de chaleur ni de récupérateurs dans les cheminées. Les pièces, trop grandes, sont inchauffables. Certains résolvent le problème en s'enfermant dans des chaises à porteur en compagnie d'une chaufferette, d'autres se couvrent de fourrures et de lainages. Comme les cheminées, au nombre de 1169 dans l'état de 1783, tirent mal, on leur adjoint souvent des poêles, le nec plus ultra étant le poêle en faïence, mais la plupart doivent se contenter de poêles en fer dont l'installation est le plus souvent bricolée. Les tuyaux et conduits en mauvais état laissent passer la fumée qui obscurcit les grands salons et noircit les fresques. W. R. Newton note par contre l'excellence de l'approvisionnement en bois, fourni gratuitement et en abondance par les forêts royales, et réparti par les garçons de la Fourrière. Il relève toutefois des problèmes de stockage bien compréhensibles, chacun voulant avoir son bois au plus près de son logement.

Sensations garanties à la lecture du chapitre consacré à l'eau. On savait que Versailles rencontrait des problèmes dans le domaine de l'hygiène et des odeurs. Mais le tableau de la situation que nous dresse W.R. Newton est apocalyptique. Cela va des latrines bouchées qui exhalent à des dizaines de mètres aux citernes qui débordent, en passant par les pots de chambre vidés par la fenêtre ou les valets qui se soulagent dans les couloirs sous le nez des courtisans. Quant aux progrès de l'hygiène corporelle, ils sont bien lents et le plus souvent on masque l'absence de toilette quotidienne par l'emploi de force parfums. Seule la famille royale peut se permettre des appartements de bains avec distribution d'eau chaude par des réservoirs. Louis XIV se paie même (à prix d'or) une sorte de jacuzzi en marbre rose de forme polygonale, avec banquette pour s'asseoir à plusieurs, qui sera utilisé principalement pour les retours de chasse. Son sort sera rocambolesque. Abandonné au début du XVIIIe siècle, puis masqué par un plancher, il est évacué au milieu du siècle en mobilisant 22 hommes pour être installé dans l'Ermitage, qu'occupe alors madame de Pompadour. Vers 1900, Robert de Montesquiou le rachète et le met dans son jardin du boulevard Maillot à Neuilly, puis dans sa propriété du Vésinet sous un temple grec. Entre les deux guerres, le conservateur de Versailles Gaston Brière, qui l'avait repéré, le récupère et l'installe dans l'Orangerie... Ce qui nous fait penser qu'il manque à la saga un livre sur le destin des œuvres, dont le retour est si important pour faire vivre et resplendir Versailles

 

(1) http://www.lemonde.fr/livres/article/2007/02/01/william-ritchey-newton-versailles-mode-d-emploi_862227_3260.html

(2) Il en subsiste quelques uns au château, et au Hameau de la reine, on trouve des doubles fenêtres avec des vitres de plusieurs couleurs, qui donnent un résultat très savoureux

Pour tous publics Peu d'illustrations Plan thématique

Note globale :

Par - 16 avis déposés - lecteur régulier

7 critiques
10/09/16
Sait-on si ces problèmes de confort et d'hygiène étaient à la mesure se ceux rencontrés dans tous les châteaux, ou s'ils étaient spécifiques à Versailles ? Merci
16 critiques
14/09/16
Ils étaient spécifiques à Versailles, en raison de la taille du château et de systèmes plus rustiques pour l'hygiène dans les châteaux privés
16 critiques
14/09/16
Pas de problèmes de conduites qui fuient, de latrines ou de fosses qui débordent quand vous utilisez des pots de chambre et des seaux hygiéniques vidés plusieurs fois par jour et pas par la fenêtre !
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