La Première Guerre mondiale en BD : albums disponibles présentant un thème particulier

Nous publions ci-dessous, en tant que tribune libre, le travail d’Alexandre.


Deux outils sortis en 2008 « 14-18 dans la bande dessinée » de Luc Révillon et Bruno Denéchère (à La Bulle au carré) et « La Grande Guerre dans la bande dessinée de 1914 à aujourd’hui » de Vincent Marie (chez Cinq continents éditions) ne manquent pas d’intérêt. Toutefois ils évoquent nombre d’albums ou de périodiques de plus en plus difficiles à se procurer. Par ailleurs ils oublient forcément tout ce qui est paru entre 2008 et 2015 (« La Grande Guerre dans la BD » toujours de Luc Révillon est une version plus complète de « La Grande Guerre dans la bande dessinée de 1914 à aujourd’hui », elle cite des albums sortis jusque dans la première partie de 2014).

revillonUn reproche que nous pouvons nous autoriser à faire à Luc Réveillon (car nous pouvons répondre à ce qui suit) est qu’il n’est pas assez compétent pour identifier les dessinateurs des histoires en images de l’époque 1915-1918 (les journaux pour enfants à une exception près disparaissent entre fin août et décembre 1914). Il en montre toutefois de très significatives autour du conflit.« La Guerre dans la BD » de Mike Conroy ne s’intéresse, quelque soit l’époque, qu’à la production anglophone. Pour la Première Guerre mondiale, elle présente la série des aventures de « La Grande Guerre de Charlie«  de Joe Colquhoun, « La mort blanche » de Charlie Adlard et survole la production de Tardi ainsi que quelques rares BD des années 1960 et 1970 toutes publiées en anglais dans des magazines et dont nous n’aurons jamais la traduction en français.

Déclaration liminaire

On n’évoquera ici que les albums de BD les plus intéressants, et uniquement les fictionnels (à l’exception près de deux documentaires) par rapport à une thématique.  Nous choisissons deux périodes de première parution en 1914-1919 et 2003-2014 ; ces dernières dates sont arrêtées pour une disponibilité à l’état neuf encore longue. Nous faisons le choix ici de n’évoquer que les titres qui montrent l’univers continental de l’Europe occidentale. Ce qui nous intéressera dans ces fictions, c’est ce qui peut se passer d’original dans les zones de combat ou dans l’arrière, occupée ou non, de la France, de la Belgique et du Luxembourg. Nous renvoyons pour la province allemande d’Alsace-Lorraine au volume 4 de l’intégrale de « Victor Sackville » au Lombard, à « Finnele » d’Anne Teuf où l’action couvre toute la guerre et est située dans la petite partie de l’Alsace tenue par les Français (autour du village vosgien de Masevaux en l’occurrence), « L’Alsace à tout prix » de Frédéric Garcia et Jean Paillot (avec une bonne partie de l’action à Münster) et enfin « L’Alsace dans le Reich 1871-1918 » de Marie-Thérèse Fischer et Didier Pageot (un documentaire).

Last not least, nous faisons le choix de ne pas exposer l’intérêt d’un ou plusieurs albums de Tardi. Ceci pour trois raisons. Premièrement, d’autres l’ont fait (« Enseigner la souffrance et la mort avec C’était la guerre des tranchées de Jacques Tardi » de Vincent Marie en 2009 au CRDP de Poitiers), or notre objectif principal ici est de faire découvrir à notre lecteur des titres qu’il ne découvrira pas tout seul chez son libraire. Par ailleurs, la vision de la Grande Guerre de l’auteur Tardi est toute personnelle. Chez lui, les soldats allemands sont des compagnons d’infortune pour le combattant français ; les ennemis des poilus ce sont leurs officiers et les gendarmes.
« La Grande Guerre de Charlie » de Joe Colquhoun tient d’ailleurs le même discours que Tardi sur ce point mais au sujet du Tommy.

Déclaration d’écriture en état de guerre

Les albums produits plusieurs décennies après les évènements qu’ils relatent en disent beaucoup plus sur les idées du moment où ils sortent (à travers leur choix de mémoire) que sur les pensées objectives des personnages à leur époque. Il ne faudrait pas oublier que le document historique est par définition un témoignage réalisé à son époque. Pour la Grande Guerre nous disposons de trois groupes d’ouvrages. Ce sont les albums de « Bécassine », ceux des « Pieds nickelés » et « Flambeau » de Benjamin Rabier.

Sorti directement en album en 1916, ce dernier est heureusement réédité en 2003 avec une préface intéressante d’Annette Becker. L’objectif est de montrer, tout d’abord avec un petit chien, puis de façon secondaire avec des bêtes de la forêt que les soldats français ont les animaux avec eux mais aussi que les bêtes ont alors assimilés les valeurs nobles des hommes, alors que les individus germaniques ont un comportement bestial. Il s’agit sur ce point de la translation de l’idée de propagande en direction des adultes, du noir « nouveau civilisé » face à l’Allemand en qui remontent ses racines barbares. Cet album pourrait être présenté aussi bien à des élèves de dernière année de maternelle qu’à un lectorat adulte. Ici comme dans « Les Aventures des Pieds nickelés durant la Grande Guerre », faire relever par des élèves de l’école primaire tous les défauts physiques, de conduite et de caractère est une activité qui permet de percevoir comment l’ennemi pouvait être diabolisé.

Ces épisodes des « Pieds nickelés s’en vont en guerre » suivent d’ailleurs ceux où les trois héros s’impliquent dans les Guerres balkaniques de 1912 à 1913. Il serait souhaitable de comparer l’attitude très différente des héros de Forton dans les deux conflits et en particulier leur rapport avec l’institution militaire. Toutes ces aventures sont parues à l’origine dans « L’Épatant » qui va progressivement durant la Grande Guerre devenir un journal lu très majoritairement par des garçons d’une dizaine d’années alors qu’il était destiné prioritairement à des appelés de 1908 à 1914. En 2008 dans « Le Meilleur des Pieds-Nickelés, tome 7 » apparaissent « Les Pieds-Nickelés chez le kaiser », toutefois la reproduction est de mauvaise qualité avec une taille réduite par rapport à l’original qui rend les textes peu lisibles et des gris sales (pour les pages à l’origine en couleurs). Sur plus de trois cent pages des Pieds-Nickelés parues entre janvier 1915 et fin 1917 dans « l’Épatant », Vents d’Ouest a sélectionné moins de 50 pages, uniquement autour du séjour en Allemagne. Heureusement en octobre 2013 Vuibert nous a donné « Les Pieds-Nickelés s’en vont en guerre », en recolorisant ou colorisant selon les pages, le tout début de ces aventures, soit environ 80. La surface des vignettes a été augmentée de 10% ce qui rend plus confortable la lecture des textes copieux sous les images. Bref on aimerait que Vuibert continue mais pour le moment malheureusement les Pieds-Nickelés jouent les planqués chez Vuibert.

Il y avait eu une réédition autour des années 1990 de trois albums de « Bécassine » qui nous intéressent chez Gautier-Languereau : « Bécassine pendant la Grande Guerre« , « Bécassine chez les Alliés« , « Bécassine mobilisée« . Ces titres viennent d’être réédités en 2014. Le dernier cité permet de réfléchir avec des jeunes sur le rôle des femmes durant la guerre. La série contemporaine « L’ambulance 13 » est intéressante par rapport au même point et on a une demi-douzaine de vignettes où on voit le travail des femmes à l’usine et dans les champs pour « La Grande guerre racontée aux enfants » de Christian Goux et Guy Lehideux ; c’est le second ouvrage à objectif documentaire que nous citerons ici mais il en existe d’autres.

Dans « Bécassine, mobilisée et désarmante », une contribution parue dans « 14-18 la très Grande Guerre » et dans son ouvrage « La Guerre des enfants« ,   Stéphane Audoin-Rouzeau montre bien que le discours de Pinchon est distancié par rapport au contenu habituel de la propagande. J’ajouterai que, intrinsèquement moralisateur, ce journal peut difficilement proposer certains conduites, même pour lutter contre les Boches. En fait aucun de ces trois ensembles ne vise à l’origine le même lectorat, ce qui explique que l’argumentaire de dénigrement varie. Il est dans un cas en priorité pour des jeunes garçons et filles de 5-8 ans, en second lieu pour des garçons de dix à dix-huit ans de milieux populaires et enfin pour des filles de plus de huit ans issues des classes favorisées catholiques. On peut se préparer à l’analyse de certaines pages de « Bécassine » ou des « Pieds Nickelés » en lisant l’ouvrage « Guerre et littérature de jeunesse (1913-1919) » de Laurence Olivier-Messonnier.

Déclaration d’aptitude pour le service devant le conseil de révision

Paroles-de-poilusLa lettre de poilus est devenue un classique des cérémonies du 11 novembre. Le titre « Des Lignes de front » de David Möhring et Philip Riseberg est paru chez Warum, il est bilingue ; cet ouvrage a deux premières pages de couverture (l’une en français et l’autre en allemand) et n’a donc pas de quatrième de couverture. Il s’agit d’une seule lettre de poilus, composée à partir d’extraits de plusieurs courriers authentiques. L’illustration renvoie à des clichés photographiques de l’époque repassés pour devenir des dessins en clair-obscur. Bien que très esthétisée, la souffrance portée par l’illustration entre intelligemment en contradiction avec le contenu rassurant du courrier proposé. Le passage de la réponse du poilu à propos du casque boche demandé par son fils est repris dans l’ouvrage « Paroles de poilus : les plus belles lettres en BD » chez Librio dans une des quatorze courtes histoires (dont douze à partir de lettres) ; les images placent souvent le soldat dans un univers chaud et apaisant pour répondre. Ici on a systématiquement sur une page une présentation du militaire puis sa lettre et ensuite vient la BD qui reprend le contenu du courrier deux à cinq pages. En choisissant un illustrateur différent pour chaque lettre, on assiste à des changements radicaux d’atmosphère. On notera un courrier de Gervais Morillon du 90e RI, un régiment en garnison à Châteauroux, mentionnant une fraternisation entre soldats français et allemands le 12 décembre 1914 dans les Flandres.

Certains passages du tome 2 du « Baron rouge » de Pierre Veys et Carlos Puerta dépeignent bien le Luxembourg et la Belgique envahis en août 1914, avec la crainte des francs-tireurs qui conduit à des exactions. Le tout début de la guerre en Belgique est mis en scène par Barroux à partir des souvenirs authentiques d’un poilu dans « On les aura« , mais aussi par Didier Courtois avec « Il était une fois 1914«  et grâce à « Le Long Hiver, premier tome 1914«  de Patrick Mallet où l’attentat de Sarajevo couvre trois pleines pages. Ce dernier évènement est très largement exposé dans « Gavrilo Princip l’homme qui changea le siècle » d’Henrik Rehr et « François-Ferdinand, la mort vous attend à Sarajevo » de Le Naour et Chandre.

La question de savoir qui sera le dernier mort de cette guerre revient, sans se soucier de celui considéré officiellement comme tel. Ces albums fantasment parfois d’ailleurs sur le choix par un homme d’accepter ce rôle, à retenir sur ce sujet « Le roi cassé » de Dumontheuil publié par Casterman. Une autre réponse apportée par la fiction porte sur la personnalité du soldat inconnu, on lira certes de Manu Larcenet « Une aventure rocambolesque du soldat inconnu : Crevaisons » chez Dargaud, mais surtout « L’Homme de l’année, 1917«  de Duval, Pécau et Mr Fab pour Delcourt.

L’antisémitisme de gradés vis-à-vis de soldats ne se retrouve que dans « Les Folies bergères » sorti chez Dargaud. Ceci nous amène à nous poser, à côté de cela, la question des conditions dans lesquelles les troupes des colonies françaises combattent et outre « L’Homme de l’année, 1917 » on a pour y répondre « Turcos le jasmin et la boue » publié par Tartamudo, chez Physallis à la fois « Sang noir » de Chabaud et Monier ainsi que « Demba Diop » de Tempoe et Mor, la série « Amère patrie » pour Grand Angle, la série « Les quatre coins du monde » pour Dargaud et la série « La Grippe coloniale » chez Vents d’Ouest (où ce sont des Réunionnais qui sont croqués). Dans ce dernier titre l’essentiel de l’action est après-guerre et cela nous permet d’approcher les solidarités maintenues ou fissurées ainsi que les conséquences sociales, psychologiques ou physiques du conflit. Dans cette catégorie des suites du conflit dans la vie d’après-guerre on trouve le problème des gueules cassées avec de Weissengel et Cassier auteurs de « Gueules cassées » (on espère qu’avec la sortie du troisième tome chez un nouvel éditeur, on pourra de nouveau se procurer les deux premiers volumes à l’état neuf, le premier éditeur a cessé toute acticité) et la série « Pour un peu de bonheur » de Laurent Galandon.

Le pacifisme à l’arrière est souvent porté par des femmes, comme on le voit dans « Un long destin de sang » de Bollée et Bedouel chez 12 Bis où apparaît très longuement l’institutrice syndicaliste pantinoise Hélène Brion. Ce qui touche de la façon la plus manifeste la désertion est à chercher dans « Louis Ferchot, tomes 7 et 8 » de Courtois et Giroud, « Mattéo, tome 1 » chez Olis, « Mauvais genre » de Chloé Cruchaudet et « Ambulance 13, 5 Les plumes de fer«  d’Ordas et Mounier. On a même le cas d’un déserteur allemand qui passe quasiment toute l’année 1915 avec des enfants orphelins à l’arrière du front mais côté allemand, il s’agit du tome 2 de la série « La Guerre des Lulus« .

Pour les jeunes autour de 10-12 ans trois titres très adaptés : la BD muette « Le Front » de Nicolas Juncker, la série, dont on vient de parler, « La guerre des Lulus » où des jeunes jouent les Robinson à l’extrémité nord-est de la Picardie, dans l’Aisne, donc dans une zone occupée quasiment durant tout le conflit par l’armée allemande (mais toutefois assez éloignée du front pour que le soldat allemand y soit relativement rare) et la série « Les Godillots » où un Basque de douze ans  au front veut retrouver son frère avec des faits authentiques très significatifs portant l’intrigue. Une tentative de mutilation volontaire est évoquée d’ailleurs là dans le premier tome en BD (attention la série existe en roman également). On signalera dans « Carnets 14-18 : quatre histoires de France et d’Allemagne », chez Le buveur d’encre, la vision du conflit par un enfant René Lucot de Villers-Cotterets dans l’Aisne qui va sur ses six ans le jour de la déclaration de guerre, c’est la mise en images du témoignage qu’il a publié en 1985. Il figure à côté de deux combattants (un médecin français et un lycéen allemand engagé à 17 ans 2 mois), on a aussi celui d’une jeune fille de Saxe qui fête ses 14 ans à la mi-septembre 1914.

La quille

Vue la place impartie, nous écartons des thèmes comme la vie des civils en zone occupée, les enfants héros, les amulettes, l’aviation, Verdun, les fusillés pour l’exemple, les généraux qui font tirer sur leur propre troupe, les espions allemands… Toutefois dans nos comptes-rendus de BD sur ce site, nous évoquons souvent cela. Pour Clemenceau, non seulement dans le cadre de la Première Guerre mondiale mais pour toute sa biographie, nous présenterons bientôt sur ce blog quelque chose d’original, à l’aide d’une vingtaine d’album. Dans la moitié d’entre eux l’action se passe avant 1914 et dans l’autre moitié elle couvre de la déclaration de guerre à la signature du Traité de Versailles.

Alexandre

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