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Le Journal d’Adèle

Le Journal d’Adèle
Gallimard 141 pages
1 critique de lecteur

Avis de Octave : "Le Journal d’Adèle : un passage de l’enfance à l’âge adulte durant la Première Guerre mondiale"

Le titre, la couverture du livre (de cette édition) ainsi que l’âge de la narratrice évoquent évidemment Le Journal d’Anne Franck. Le choix du prénom d’Adèle peut également faire penser au journal intime d’Adèle Hugo d’où les biographes de l’écrivain ont tiré des informations précieuses sur ce dernier.

Alors que Le Journal d’une enfant pendant la Grande Guerre : Rose 1914-1918 présentait des pages que la fiction attribuait à une jeune fille originaire du département du Nord et obligée de se réfugier dans le Sud-Ouest, ici l’héroïne est une jeune Bourguignonne, née aux tous premiers jours de l’automne 1900, qui habite un village à l’ouest de Dijon.

Cet ouvrage à l’instar des Gardiennes d’Ernest Pérochon (mais sans la même vision sociologique et la complexité identique de l’intrigue de l’écrivain poitevin) paru dans l’Entre-deux-guerres montre les faits et gestes des villageois qui pour leur quasi-totalité ont un des leurs au front. L’adresse de Paule du Bouchet est de réussir à régulièrement et adroitement caler à dose homéopathique dans le récit des touches qui montrent l’essentiel de l’univers des combattants (description des tranchées, changement des uniformes, mutineries, apparition des gaz, hygiène dans les tranchées …) à travers l’inquiétude constante de l’héroïne pour ses deux frères, son père ou son filleul à des moments successifs dans les tranchées ou en camp de prisonniers. Adèle à travers son journal conte l’essentiel des évènements qui animent le village et parfois la ville de Dijon où réside sa marraine Berthe. Apparaissent les multiples changements dans le mode de vie à l’arrière essentiellement dans les campagnes (comme les réquisitions successives, le travail des enfants aux champs …) mais aussi en ville (travail féminin en usine d’armement par exemple).

L’interdiction de la chasse en 1915 est mentionnée, il est toutefois dommage que quelques mots n’aient expliqué qu’elle est liée à la crise des munitions. Ce petit roman de moins de 150 pages avec des blancs systématiques et parfois des dessins dans un style très réaliste entre les paragraphes reliés à chaque jour se lit facilement. Du fait du choix des caractéristiques du personnage principal, une héroïne qui passe progressivement du monde de l’enfance au mariage, ce roman propose une bonne approche de la Première Guerre mondiale pour d’abord un lectorat de jeunes filles de dix à quatorze ans.

Quelques petits passages seraient discutables à l’aune de la loupe de l’historien. Il s’agit en particulier du stéréotype qui veut que les troupes indigènes étaient volontairement plus exposées (« parce qu’ils étaient noirs et qu’ils ne comprenaient pas le français »). Il est d’autre part surprenant de voir l’auteure qualifier la perte totale d’une jambe de “fine blessure“. Maurice Genevoix dans Ceux de 14 parle lui dans cet ordre d’idée de “bonne blessure“ à la page 312 de l’édition du Seuil de 1996. « Le rêve de chacun serait de recevoir une balle dans un membre qui n’esquinte rien d’essentiel » écrit Lucien Jeannard à son épouse alors qu’il est dans une tranchée de Verdun en guise de définition de la fine blessure (http://crdp.ac-amiens.fr/pensa/1_3_jeannard.php).

Par ailleurs Paule du Bouchet situe précisément dans une commune rurale fictive près de l’authentique Sombernon le lieu où vit Adèle. Elle fait rentrer cette dernière à l’école primaire supérieure de ce chef-lieu de canton à seize ans passés où elle est accueillie par le directeur de l’établissement. L’auteure accumule ici les erreurs : une EPS n’est jamais mixte ni à l’époque ni jusqu’à leur disparition en 1941, il n’y a point eu de direction masculine pour une école primaire supérieure de filles (chose impensable en temps normal et impossible matériellement en tant de guerre), on n’aurait jamais vu entrer dans ce type d’établissement (du niveau du collège d’aujourd’hui) une jeune en âge d’être à l’école normale et enfin Sombernon de par sa taille très modeste n’a jamais eu d’EPS (les deux EPS de filles de la Côte d’Or sont à Dijon et Saulieu) et n’a même pas droit à un cours complémentaire. Peut-être faut-il voir dans le choix de Sombernon une pensée de l’auteure non explicitée envers Eugène Spuller (décédé là en 1896) ministre de l’Instruction publique à deux reprises dans les années 1880 et 1890 dans un roman qui rend magnifiquement l’état d’esprit majoritaire des campagnes d’alors qui voit en une lectrice une fainéante et contrarie la vocation d’une fille qui désire être institutrice.

Octave

Note globale :

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