Avis de Patricia : "DE SON VIVANT"
Notre titre de chronique reprend le nom d’un film récent évoquant la fin de vie d’un malade atteint d’un cancer au pancréas et non la réplique de Desproges sur le fait de savoir s’il admirait Serge Gainsbourg après une sortie très alcoolisée de ce dernier sur un plateau de télévision (voir https://musicwithoutborders.wordpress.com/2012/02/16/who-the-fuck-is-gainsbarre/).
Erwan Le Morhedec est connu comme blogueur sous le pseudonyme Koz ; catholique convaincu, il est un avocat et essayiste français. Il a pris position contre le mariage homosexuel et l'homoparentalité et lutte contre l'influence des milieux de droite radicale ou d'extrême-droite sur les catholiques français, par le biais de l'évocation de thématiques identitaires. En 2008 l’auteur a fondé avec Emmanuel Hirsch (à ne pas confondre avec Martin Hirsch, ancien ministre et actuel le directeur général de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris) l’association "Plus digne la vie" pour contribuer aux débats et choix de la société (voir https://plusdignelavie.com/?page_id=13).
Le Centre national des soins palliatifs et de fin de vie (CNSPFV) créé en 2016 vient de voir son existence assurée jusqu’au 31 décembre 2026 avec une redéfinition de ses missions ; son objectif principal étant de élargies et de mieux faire connaître leurs droits aux personnes en fin de vie ainsi que les directives anticipées. Ce livre a été écrit alors que notamment en avril 2021, l'Assemblée nationale avait débattu d’une proposition de loi du député rochelais divers gauche Olivier Falorni. Son examen n'avait pas abouti, toutefois 240 députés avaient approuvé le principe d'une "assistance médicalisée active à mourir". Parmi les candidats à l’élection présidentielle de 2022, Anne Hidalgo (PS), Yannick Jadot (EELV) et Jean-Luc Mélenchon (LFI) désirent modifier la loi de 2016 (dite Claeys-Leonetti) qui actuellement interdit euthanasie et suicide assisté. Il est certain que l’autorisation de certaines formes d’euthanasie en France sera un des sujets sociétaux les plus clivant du début et du milieu des années 2020.
L’ouvrage commence en rappelant qu’un sondage annonçait que 93% des Français désiraient la légalisation de l’euthanasie. L’auteur avance, grâce à un sondage aux questions plus fines, qu’en fait une moitié des Français est pour une sédation, à savoir le soulagement de la douleur alors qu’une autre moitié opte pour l’administration d’une substance létale (un produit toxique qui entraîne la mort) par un médecin ou par soi-même. Un troisième sondage ferait apparaître que la majorité de la population de l’hexagone souhaiterait avant tout un accompagnement familial dans les derniers jours. Il dit s’être rendu en unités de soins palliatifs où il a rencontré des soignants et des bénévoles accompagnateurs.
L’auteur rappelle dans quelle société vivent les personnes du monde occidental, celle où le jeunisme est ultra valorisé et où la vieillesse est marquée du sceau des incapacités (y compris celles de personnes valides comme avec la non-maîtrise de l’internet, ajoutons-nous personnellement). Il cite à ce propos J. Ricot qui écrit à la page 155 dans Penser la fin de vie : L’éthique au cœur d’un choix de société : « Quand toute une société martèle que le critère de vie valant d’être vécue est d’être en pleine possession de ses moyens, est-on si libre de se déterminer ? ». Erwan Le Morhedec met en exergue le fait que la présence d’un membre de la famille en soins palliatifs implique un certain nombre de contraintes pour les autres membres de cette dernière et que le poids des contraintes inhérentes à cette situation peut peser sur la décision de la personne sous sédation de souhaiter quitter ce monde le plus tôt possible.
Il cite l’exemple d’un patient à qui on a fait passer une solution létale pour une chimiothérapie (page 48), sa famille et son médecin (sic) étaient d’accord pour cette euthanasie car ils ignoraient tout des soins palliatifs. L’auteur rapporte des propos de soignants énonçant que des gens avaient des fins de vie heureuse alors que leur situation physique leur limitait quasiment toute autonomie. A contrario, il livre (à travers une littérature scientifique) des situations critiques issues en particulier d’une Belgique où l’euthanasie a été dépénalisée le 28 mai 2002. D’autres affirmations, issues de situations vécues aux Pays-Bas ou dans certains états des USA, dûment référencées par une étude ou un article de revue, étonnent beaucoup ou ne surprennent qu’à moitié. On peut ainsi lire page 81 : « (…) pour les Pays-Bas (…) 55% des patients euthanasiés pour raisons psychiatriques l’ont été pour dépression ; l’Oregon où l’on rapporte des cas dans lesquels les malades ont pu recevoir des courriers de leurs assurances médicales les informant de l’arrêt du remboursement de leur chimiothérapie mais de leur bonne disposition à rembourser la pilule euthanasique (…) » (page 81).
Si l’on peut suivre l’auteur autour du fait que les soignants n’ont pas le temps matériel d’assurer une vraie présence auprès des malades en soins palliatifs, on est confondu de lire que « la réalité est que nombre de soignants qui pratiquent des euthanasies sont des soignants en souffrance psychique » (page 108). Bref il est vrai que l’euthanasie a moins de chances d’être offerte à des patients en situation économique précaire qu’à des malades recevant une prise en charge matérielle et médicale relativement confortables. D’ailleurs Erwan Le Morhedec cite le député communiste provençal Pierre Dharréville (ancien permanent à la Jeunesse ouvrière chrétienne) qui déclare, dans le débat autour du texte porté par Olivier Falorni : « Comment évoquer sans être obscène l’inquiétude que peut inspirer la toile de fond : les logiques d’économies budgétaires dans le système de santé, la pression pour libérer des lits, le discours sur le trou de la sécurité sociale et le coût du vieillissement » (pages 140-141). Quand aujourd’hui un Martin Hirsch estime qu’il faudrait questionner le droit des non-vaccinés au COVID à continuer de bénéficier de la prise en charge des soins, demain ne verrait-on pas une prise en charge en soins palliatifs limitée à un nombre de jours ? (hypothèse personnelle)
Une cinquantaine de pages plus loin, l’auteur écrit en prolongement : « Trouverons-nous encore des soignants qui auront le temps de nous laisser mourir naturellement ou serons-nous, ceux qui refuseront de partir comme on nous le proposera, des patients encombrants dans des services débordés habitués à valoriser l’efficacité et soulagés que la société y voit une plus grande humanité ? » (page 199). L’ouvrage se termine avec le reproche aux gens dits de gauche qui portent le projet de légalisation de l’euthanasie, d’être dans une logique d’émancipation individuelle au détriment d’un objectif d’émancipation collective (qui était sans contexte le sien durant les XIXe et XXe siècles, alors que l’euthanasie était associé spontanément au régime hitlérien dans la seconde moitié du XXe siècle, précisons-nous personnellement).
Ceux qui ont travaillé ou connaissent des personnes qui ont été soignants auprès de patients en soins palliatifs nuanceront certes que ces derniers sont l’un des rares endroits où sollicitude et fraternité se déployaient à l’abri de l’urgence et de l’obsession budgétaire (page 202). Toutefois l’auteur apporte au lecteur catholique, croyant d’autres religions ou mécréant une pertinente vision des dangers que fait courir la légalisation de l’euthanasie, cette dernière modifiant profondément l’aspect de la société.
Pour tous publics Aucune illustration
Voir https://www.estrepublicain.fr/pour-sortir/loisirs/Rencontre-conference/Conferences/Lorraine/Meurthe-et-moselle/Villers-les-nancy/2022/04/05/Fin-de-vie-en-republique-euthanasie-soins-palliatifs
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