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L’école du peuple: Histoire d’une hypocrisie sociale

L’école du peuple: Histoire d’une hypocrisie sociale
Presses universitaires de Rennes121 pages
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Avis de Zaynab : "La ségrégation scolaire contemporaine, fille aînée de la politique de la ville"

Dans son avant-propos, l’auteur cite trois ouvrages d’un autre que lui-même : le premier L’Ascension d’un peuple. Mon village, ses hommes, ses routes, son école est de Roger Thabaut, né le 19 mai 1895 à Mazières-en-Gâtine (Deux-Sèvres), un fils de sabotier qui, dans l’Éducation nationale, gravit tous les échelons d’instituteur à inspecteur général. C’est lui qui eut l’idée de la création des classes de transition, en usage entre 1963 et 1977 où aurait dû se vivre une pédagogie novatrice, pluraliste, concrète pour des enfants ayant terminé leur CM2 avec des résultats médiocres. Le second titre est paru en 1925 et il s’agit de La Barrière et le niveau d’Edmond Goblot ; ce sociologue met en avant la barrière culturelle qu’érigent les classes dirigeantes afin de se prémunir de l’accession sociale des enfants des milieux populaires. Cinquante ans plus tard, Pierre Bourdieu lui reprendra le concept de "distinction". L’ouvrage de Goblot est accessible ici https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k64781x. Le troisième titre s’intitule L’Hypocrisie scolaire : Pour un collège enfin démocratique, il est de Dubet et Duru-Bellat.

Le premier chapitre montre qu’il y eût dans l’enseignement public au départ deux voies et ceci dès le cours préparatoire. En effet les classes de lycée ou de collège (à l'origine le collège ne prépare pas à un brevet) se proposaient de recevoir des élèves dès six ans pour les amener au baccalauréat, les frais de scolarité existaient là et il s’ajoutait souvent des coûts de repas à midi voire d’internat. Les enfants des milieux populaires fréquentaient l’école communale puis un petit nombre d’entre eux accédait au primaire supérieur ou aux écoles techniques et un nombre encore plus restreint rejoignait la sixième pour étudier les langues anciennes. L’auteur expose d’autres dimensions comme celui de l’absentéisme (très fort en milieu rural jusqu’à l’instauration des allocations familiales) ou la présence de boursiers dans l’enseignement catholique.

Le second chapitre explique comment, dès les premières années du XXe siècle et façon plus intense à partir des années 1920 (avec notamment l’action des Compagnons de l’université nouvelle), la démocratisation de l’enseignement secondaire reste un idéal qui ne se traduit que par quelques petites avancées (comme la gratuité des enseignements pour les élèves des classes de lycée, elle est progressive à partir de 1930). En 1941 le gouvernement de Vichy intègre dans l’enseignement secondaire les Écoles primaires supérieures et les Écoles de commerce et d‘industrie. Le but est d’imposer une culture plus théorique et donc moins basé sur des réalités concrètes à tous ceux qui quittent l’école primaire pour poursuivre des études.

Tous les enfants nés en 1953 ou après se voient imposer une scolarité jusqu’à seize ans ; l’entrée de tous dans le secondaire, à la fin des années soixante, se fait dans la division. Un cinquième des jeunes vont en transition puis en classe pratique, et les autres se divisent entre ceux qui font du latin puis du grec et ceux qui n’en font pas. Dans les années précédant la réforme Haby qui supprime à la rentrée 1977 les filières au collège, le critère de sélection passe progressivement des langues anciennes aux mathématiques. Les parents éclairés jouent avec les options au collège puis au lycée pour contourner la carte scolaire (le choix de classes européennes, classes musicales ou langues rares comme le chinois ou le russe est une stratégie).       

Patrick Cabanel montre commet l’enseignement privé est devenu massivement l’outil privilégié de ségrégation scolaire à partir de 1990. Notre expérience personnelle nous a montré qu’aux yeux de la grande majorité des parents et d’une partie des personnels du public (pas obligatoirement enseignants), un bon établissement scolaire n’était plus celui qui mettait en réussite la quasi-totalité de ses élèves mais était celui où on ne comptait que peu d’élèves issus des milieux populaires. Aucun parent n’oserait avancer, si c'était le cas, que son enfant est mis en échec dans le privé par le caractère trop abstrait des leçons ou cours (et donc le manque de manipulation), par l’attente qu’il ait les références culturelles permettant d’accéder au contenu proposé, par le contenu assommant du travail à faire à la maison afin d'assimiler tout ce qui aurait dû l'être en classe et par l’incapacité de proposer une remédiation individuelle qui ne soit pas du rabâchage de la leçon collective. Si l’enfant ne réussit pas on peut proposer le redoublement en primaire et l’exclusion dans le secondaire.

L’auteur poursuit en évoquant, pour les enfants de la bourgeoisie, l’accès réservé aux classes préparatoires aux grandes écoles et aux grandes écoles. L’auteur conclut que la ségrégation scolaire perdurera, il ne voit pour la faire disparaître qu’une solution à savoir appliquer la carte scolaire aux établissements privés sous contrat. Sachant la situation géographique dans les villes de ces derniers, c’est à un découpage savant et discontinu auquel il faudrait procéder. Selon nous, on risque d'aller de plus, en milieu urbain, vers la fuite des enfants des milieux popûlaires les plus investis dans leur réussite scolaire (du fait de la pression des parents). 

Notons que Patrick Cabanel, malheureusement sans argumenter les avantages, propose d’imposer une double licence à ceux qui voudraient devenir enseignant. Ce serait le retour vers les compétences des PEGC qui permettraient de réduire le nombre de professeurs par classe et donc limiter le saucissonnage de l’enseignement ; le professeur ferait plus aisément le lien entre le français et l’histoire-géographie s’il avait la charge de cet ensemble (la même chose avec par exemple les mathématiques et les sciences). C’est une offre plus globale et pratique des enseignements qui permettra de motiver tous les élèves et plus particulièrement ceux des classes populaires.   

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Zaynab

Note globale :

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06/09/23
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