Ecrire un avis

Juger les mots: liberté d’expression, justice et langue

Juger les mots: liberté d’expression, justice et langue
Actes sud 176 pages
1 critique de lecteur

Avis de Adam Craponne : "Mettez alors votre langue désinvolte dans son fourreau !"

Dans les premières pages, on présente clairement l’objectif de ce titre :

« Il s’agit d’entrer dans la fabrique du jugement des mots à partir du contentieux relatif à la liberté d’expression en France, avec une ambition qui se veut triple : mieux faire connaître le contentieux de la liberté d’expression tel qu’il est arbitré en France par les tribunaux, éclairer les critères à partir desquels les juges interprètent les mots et faire ressortir les difficultés linguistiques que pose le fait de devoir statuer sur leur signification et leur portée. Pour explorer ces questions, nous avons fait le choix de cas particulièrement emblématiques de la manière dont les mots sont jugés et des problèmes qui se posent, sans jamais prétendre à un panorama exhaustif du contentieux » (pages 11-12).

« Il s’agit ensuite d’entrer dans le vif du sujet en allant observer les juges en situation de juger les mots. Pour ce faire, le matériau présenté est essentiellement constitué de décisions de justice qui ont été rendues en France ces vingt dernières années, et plus précisément de leurs motivations. Rappelons que, dans chaque affaire, les juges appliquent la loi aux réalités des propos litigieux et qu’ils ont l’obligation de les juger, ce qui revient à en fixer la signification, quand bien même celle-ci est instable. Un autre devoir qui leur incombe est de motiver leurs décisions, d’expliciter les raisons qui aboutissent à la décision finale. Ils y développent donc l’analyse des 13 propos qui les a conduits à condamner ou au contraire à relaxer. C’est cette partie des décisions de justice qui est un matériau particulièrement riche d’enseignements, car on y voit les juges analyser des mots et fixer la frontière entre ce qu’on peut dire et ne pas dire » (pages 12-13). 

On annonce là qu’il y aura trois points focalisations dans ce livre : l’identification de la cible des discours de haine, la caractérisation des énoncés (injure ou diffamation), la complexité de l’interprétation au regard du contexte.

Les textes de référence sont la loi sur la liberté de la presse de 1881, la loi Pleven (appelé ainsi paradoxalement car le ministre de la justice d’alors, le breton René Pleven était très réticent face à son contenu, et elle fut porté par le député gaulliste Alain Terrenoire) de répression de l’incitation à la haine raciste, la loi du 30 décembre 2004 au sujet de propos sexistes ou homophones, celle de 2012 sur les identités de genre, la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme dite "Loi Cazeneuve", et un décret du 3 août 2017 qui étend la contravention de « provocation non publique à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes ».

De nombreux jugements mettant en scène une flopée de personnalités artistiques, littéraires, médiatiques ou politiques.  Le contenu tente de tordre le cou à la prétendue restriction de la liberté d’expression actuelle, dont nous rabattent les oreilles certains secteurs de l’opinion, mais aussi montre qu’on ne peut rire de tout, provoquer ou choquer sans limite.

La 17e chambre du tribunal de Paris est spécialisée dans les cas ayant trait à la liberté d’expression. « (Les juges) ont pour tâche d’analyser les mots litigieux et de trancher sur leur interprétation, même lorsqu’elle est ambiguë. Ils ne peuvent pas ne pas apporter de réponse au litige qui leur est soumis, car s’ils ne prennent pas de décision, ils commettent un dénie de justice. Le jugement judiciaire des mots est donc toujours normatif. Si les catégories permettant de condamner ou de relaxer les excès de langage sont juridiques, leurs qualifications reposent essentiellement sur des critères non juridiques : le sens des mots, leur contexte d’emploi, leur genre de discours ou encore les normes sociales et sociétales » (page 37).

On voit que certains mots sont retenus comme injurieux et d’autres pas, on condamne ce qui dénonce une communauté mais on accepte un dénigrement individuel. Ainsi Guillaume Meurice n’a pas été considéré comme ayant prononcé une phrase à contenu antisémite lorsqu’il a traité Netanyahou de nazi sans prépuce. Dessiner Nadine Morano sous les traits d’une enfant trisomique n’est pas considéré comme handiphobe mais uniquement blessant pour l’intéressée et dans la limite de la liberté d’expression (d'ailleurs depuis une vingtaine d'années, de nombreux dessins de caricature font débat devant les tribunaux) . 

Voici le sommaire de l’ouvrage:

Une liberté d'expression à la française ? (en guise d’introduction)

Chapitre 1. Le contentieux de la liberté d'expression au carrefour du droit et de la linguistique

Les délits langagiers prévus par la loi française

Qui en veut aux mots ?

Qui juge les mots ?

Quelles sanctions pour un mauvais usage des mots ?

Comment juge-t-on les mots ?

Chapitre 2. Identifier la cible du discours

1. Humain, trop humain

Suffit-il de consulter un dictionnaire ?

Quand le discours prend des détours : métaphore et métonymie

2. Le discours vise-t-il une communauté dans son ensemble ?

"C'est toi qui l'as nommé": sens littéral et stratégies de contournement

Aller au-delà des mots : le critère du contexte

Chapitre 3. Évaluer la portée négative des mots

Récit d'un fait précis ou qualification de la personne ?

Peut-on statuer objectivement sur la portée offensante des mots ?

Dis-moi comment tu juges l'atteinte à l'honneur et je te dirai quelles sont tes valeurs

Insultes et autres noms d'oiseaux

Un contentieux révélateur de l'évolution des normes sociétales

A chaque contexte ses propres règles ?

Chapitre 4. Repousser les limites de la liberté d'expression ? Satire, caricature, fiction

Satire et caricature: jusqu'où autoriser l'excès ?

L'excuse fictionnelle en débat

Conclusion

Pour tous publics Aucune illustration

Adam Craponne

Note globale :

Par - 757 avis déposés - lecteur régulier

Connectez-vous pour laisser un commentaire
Vous aussi, participez en commentant vos lectures historiques facilement et gratuitement !

Livres liés

> Suggestions de lectures sur le même thème :
> Autres ouvrages dans la même catégorie :