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Les fondateurs de l’école républicaine

Les fondateurs de l’école républicaine
Septentrion 331 pages
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Avis de Zaynab : "Beaucoup de Mérovingiens chez les Parisiens"

On le sait, en lisant directement des témoignages de l'enquête d'Ozouf (mais celui-ci omet de le rapporter), les instituteurs titulaires du seul brevet élémetaire était surnommés "les mérovingiens" (dynastie des "rois fainéants") par ceux qui possédaient le brevet supérieur (dont on faisait l'acquisition à la fin de son parcours de normalien ou dans certaines Écoles primaires supérieures). Ceci est d'ailleurs très significatif de la hiérarchie qui existait en parallèle chez les instituteurs. Dans la Seine par exemple, il n'était plus nommé directeur d'école à Paris (intramuros), à partir des années 1880, d'instituteur n'ayant que le brevet élémentaire, ceci alors qu'aucun texte ne le précisait. Un instituteur, avec le seul brevet élémentaire, ne pouvait alors espérer qu'une direction en banlieue quelque soit l'évaluation de sa conscience professionnelle, aussi bonne soit-elle. 

L’ouvrage est préfacé par Jean-François Condette qui a dirigé en particulier, chez le même éditeur, Les personnels d’inspection et Les écoles dans la guerre. L’ouvrage, qui nous intéresse présentement, est sous-titré  La première génération des instituteurs sous la IIIe République ; la quatrième de couverture précise qu’il s’agit d’étudier les dossiers d’instituteurs et institutrices de la Seine entrés dans l’enseignement public entre 1870 et 1886. Il faudra donc faire attention de ne pas généraliser à l’ensemble du pays, toutes les informations fournies ici. Par ailleurs, on est là face à une génération précédant celle de l’enquête Ozouf qui, en 1961, avait utilisé les fichiers de la Mutuelle générale de l’éducation nationale et en écrivant aux amicales des anciens normaliens fort nombreuses à l’époque. Il avait envoyé vingt mille questionnaires aux enseignants qui, vu leur date de naissance, ont pu enseigner avant 1914. Avec un retour exceptionnel bon du tiers environ, Jacques Ozouf avait donc interrogé les instituteurs qui enseignaient à la Belle Époque (1896-1914).

À cette dernière période les instituteurs sont fonctionnaires (loi de finances de 1889), ce qui d’ailleurs veut dire que la plupart des anciens se voient maintenir un traitement auxquels ils n’auraient plus droit. La fonctionnarisation c’est la paupérisation des instituteurs, certes avec des nuances car par exemple des villes comme Paris versent des primes fort conséquentes en surplus du salaire mais on se doute que dans les campagnes cela n’est pas l’usage.

De nombreuses conséquences découlent du fait qu'à partir de 1882 l’instruction deviennne obligatoire et se réalise la laïcisation des écoles communales. En conséquence tous les membres d’une congrégation enseignante doivent être remplacés par des laïcs et ceci quasiment dès la rentrée 1880 pour des raisons assez complexes. En conséquence les deux tiers des enseignants du primaire du département de la Seine, à avoir été recrutés entre 1870 et 1886, sont rentrés dans le métier entre 1879 et 1884. En 1872 ce département est doté d’une École normale de garçons et l’année suivante d’une École normale de filles.

Image non reproduite dans ce livre

Trois remarques s’imposent la première est qu’un établissement de formation des maîtres ou des maîtresses existait déjà (en particulier depuis 1827 pour les garçons à Paris) et souvent en province il était appelé "école modèle", la seconde est qu’il existait pour les écoles protestantes à Courbevoie et à Boissy-Saint-Léger des établissement visant à former des maîtres ou maîtresses pour la région parisienne (la province en avait plusieurs à Montbéliard et dans la Drôme pour l’essentiel), la troisième est que jamais sous la IIIe République ne sortirent des deux écoles normales réunies plus de 90 normaliens. Vu les besoins, il y avait nécessité d’un recrutement parallèle qui se faisait par l’essentiel auprès de remplaçants (intégrés après plusieurs années par l’obtention du CAP) et par l’intégration d’instituteurs ayant été formés auparavant dans les Écoles normales de province (au tournant du XXe siècle, aucun instituteur non titulaire du brevet supérieur ou du baccalauréat n’était intégré, le brevet élémentaire diplôme nécessaire pour enseigner n’était pas suffisant).       

Au sujet de l’origine sociale, la connaissance de la statistique globale (instituteurs et institutrices) n’est pas d’un grand intérêt tant les écarts varient d’un groupe à l’autre, si ce n’est en matière de fils ou fille d’agriculteur (avec une surreprésentation de ceux-ci chez les non-natifs de la Seine, mais on s’en serait douté). En effet la profession d’institutrice est un des rares métiers convenables pour une enfant de fonctionnaire ou d'instituteur, de commerçant ou de petit bourgeois (comme avocat ou médecin). Alors que plus d’un quart des hommes sont issus d’un milieu agricole, ce n’est le cas que pour près de 3% des femmes ; par contre on a en gros deux fois et demie de plus de filles tant pour les enfants d’employé ou fonctionnaire non-instituteur que pour la petite et moyenne bourgeoisie. Le pourcentage de jeunes ayant un père instituteur est sensiblement égal pour les deux sexes, toujours autour de 13,5%.

Au sujet de l’origine géographique, on trouve plus de 36% de natifs de Paris, le reste des communes de la Seine amènent 1,5%, Seine-et-Oise et Seine-et-Marne sont à un peu plus de 2,5% et ce sont dans l’ordre des anciennes régions de Picardie, Champagne ainsi qu’à égalité la Bourgogne et l’ensemble lorrain (privé de l’espace mosellan) d’où vient ensuite l’apport le plus conséquent. L’apport de l’Alsace annexée est de 3% mais nul pour la Lorraine devenue allemande. Signalons que, ne relevant toutefois pas de cette période d'entrée dans le métier, Marius Maitron de la Nièvre, né en 1880, est reçu à l'ENG de la Seine; c'est le père de Jean Maitron.

Pour ceux dont la scolarité est connue, on a près de 12% venant de l’enseignement religieux, mais (réflexion personnelle) le maquillage d’un parcours ou l’absence de réponse peut être très facile pour un candidat à l'intégration venant de province.  Pour avoir consulté les réponses d’une dizaine de départements de province de l’enquête Ozouf, nous avons vu, en particulier chez les institutrices, qu’un nombre encore non négligeable de répondants avaient été scolarisés dans l’enseignement religieux. Parmi les inspecteurs primaires de la Seine de cette époque, on trouve Alfred Binet et Théodore Simon; dans la Seine nombre de leurs jeudis sont passés à former la floppée de remplaçants, c'est une tâche très spécifique à la Seine.

Dans la Seine, on anticipe sur le passage de l’inspection d’école au rapport d’inspection individuel qui démarre officiellement au début de l’année civile 1887. Déjà à cette époque, les inspecteurs regrettent que, dans les classes, l’on exerce plus la mémoire que l’intelligence et que les élèves ne soient pas plus actifs (absence de place pour la démarche expérimentale et cours magistraux). Toutefois le contenu du certificat d’études n’aide sûrement pas dans ce sens, d’après nous.

L’auteur s’interroge sur les qualités qui sont demandées pour obtenir un poste de directeur, revenant en particulier sur le cas de Fortuné Goyard directeur de l'école de la rue Thiers à Pantin, c'est un sujet qu'il avait déjà évoqué dans un article de la Revue d'histoire moderne et contemporaine en 2010. Rappelons que durant cette période les nominations tant comme enseignant ou directeur sont à l’entière discrétion de l’Inspecteur d’académie et en province du préfet. C’est ce dernier qui nomme un membre de l’enseignement primaire, sur proposition des inspecteurs et il peut aller contre les suggestions de ce dernier. La pressante suggestion des élus est quelque chose de courant en province, elle l’est sûrement moins intense à Paris où il n’y a pas de patron du département (en général le parlementaire qui est également président du Conseil général).  

Les déplacements, pour opposition politique avec le maire, sont en partie limités parce que les instituteurs ne peuvent être candidats là où ils enseignent (et les institutrices n’ont pas le droit de vote). Toutefois Marie Manceaux une institutrice de Bagnolet, à l’école des Coutures, paie de l’opposition de son mari radical-socialiste au nouveau maire (je pense Édouard Stoff) un déplacement, d’où duel entre les deux hommes. Et à Clamart, son mari se met dans l’opposition au maire de cette dernière commune de banlieue (pages 238-39)… Notons que radical-socialite durant les années 1890 est une étiquette très à gauche.

L’ouvrage n’abordant pas, la période de l’Ordre moral, qui vit en province nombre d’instituteurs et inspecteurs déplacés pour des raisons politiques, on doit conclure que Jérôme Krop n’a pas rencotré ce cas. Il est vrai que dans le village l’enseignant du primaire (souvent secrétaire de mairie) a une influence sans commune mesure avec celle qu’il peut avoir en région parisienne. Par contre, on a plusieurs pages autour de la Crise boulangiste et on passe à la dimension de l’engagement socialiste et pacifiste (page 252 à 255) pour la Belle Époque ; on reparle de Fortuné Goyard de Pantin et on évoque l'allemaniste Albert Signard, instituteur parisien en particulier dans les écoles de la rue des Tournelles et de la rue de Tlemcen. Rappelons qu’on estimait que près d’un quart des militants du parti socialiste SFIO étaient des instituteurs ou professeur d'école primaire supérieure (établissements sujets d'une autre étude par le même auteur) en 1914. Certains étaient députés d'ailleurs, comme le trois pèlerins de Kientha. Toutefois ce sont ceux nés après 1880, donc recrutés au mieux dans les quelques années qui précèdent 1900, qui adhèrent à un mouvement socialiste en grand nombre et on est donc dans la génération suivante à celle étudiée.    

L’on sait que souvent les rapports sont déplorables entre le directeur d’école et certains de ses adjoints, alors le premier régit, selon son bon vouloir, une multitude de domaines dans le fonctionnement de l’école. Jusqu’en 1914 les conflits d’ordre général concernent les rapports des directeurs  avec les maîtres et jamais ceux des instituteurs (dans leur ensemble) avec leur inspecteur. D’ailleurs, à fort juste titre, cet aspect durable du rejet d’une tutelle du directeur sur la marche de son école est reprécisé en conclusion (page 298).

Illustration non reproduite dans ce livre

Ceci amène à parler du développement des Amicales d’instituteurs qui jouent un rôle de syndicat, vu que la syndicalisation des fonctionnaires est interdite jusqu’à la victoire du Cartel des gauches en 1924 (ce qui ne veut pas dire qu’il n’existe pas et on connaît l’action de nombreuses institutrices (les hommes étant mobilisées) du syndicat des instituteurs de la CGT dans la propagande pacifiste. Ce qui nous amène à dire que notre auteur rate un beau lien, celui entre Léopoldine Daversin  et Hélène Brion. Si la première tient une conférence patriotique à Pantin, c'est que dans l'école maternelle du même groupe scolaire, a été arrêtée pour "défaitisme" la responsable du syndicat CGT de l'enseignement primaire, à savoir Hélène Brion.  Aux pages 138 à 144 sont cités des enseignants, dont Léopoldine Daversin (dont il parle longuement pour l'avant-guerre et l'après-guerre), qui s’investissent dans les œuvres périscolaires jusqu’en 1914 et dans les pages suivantes ceux qui se font remarquer durant la Première Guerre mondiale (donc en toute fin de carrière).

Jérôme Krop évoque le cas d’enseignants qui montrent une attitude cléricale et en particulier expose les sanctions à l’encontre la directrice de l’école de filles de Courbevoie, on sait (même si ici on n’en parle pas) qu’autour d’Émile Bocquillon (directeur d’école à Paris) se rassemble tout un courant d’enseignants hostiles à la République, membres ou sympathisants de l'Action française. Émile Bocquillon (né en 1868) est d'ailleurs évoqué à la page 33 dans Les écoles dans la guerre. Toutefois se fixe, à cette époque (et dans la conclusion  cela est rappelé) une culture dominante originale des valeurs républicaines dans les enseignants du primaire (et uniquement du primaire).

Couverture non reproduite dans ce livre

Deux romans, dont Jean Coste (cité dans l'article reproduit), qui évoquent de difficiles relations entre municipalité et enseignants, à la Belle Époque, pour d’autres raisons que religieuses et en province sont brièvement évoqués. Ce n’est pas le cas (ici ou ailleurs dans l’ouvrage) de La Maternelle de Léon Frapié (avec une action à Ménilmontant), prix Goncourt en 1904, ni de L'Institutrice de Province roman paru sept ans avant, tous deux bâtis à partir de l’expérience d’institutrice de l’épouse de l’auteur, née Léonie Mouillefert née en 1859 donc institutrice dans la période qui nous intéresse.      

En 1880 l’enseignement primaire est à 49,4 public et donc pour le reste congréganiste (à 20%) ou laïc privé (à 30%) ; on compte d’ailleurs comme élève des frères des écoles chrétiennes, rue des Fournaux à Paris, de 1871 à 1879 Benjamin Rabier (remarque personnelle). Bien entendu selon que l’on considère les garçons ou les filles la proportion dans l’enseignement catholique est fort différent, il est de 23% dans le premier cas et de 38% dans le second. Géographiquement évidemment l’ouest de la capitale est bien plus doté en écoles congréganistes. Jusqu’en 1900 c’est le privé laïc qui fait les frais de l’accroissement de la scolarisation dans les deux autres secteurs. Et pour avoir nous-mêmes travaillé sur des dossiers d’instituteurs de la Belle Époque pour la Seine, nous avons trouvé des cas d’enseignantes qui passent du laïc privé au laïc public lorsque l’établissement qui les employaient se met à fermer. Le public fait un gros effort pour développer les maternelles, alors que l’on sait que de nos jours des jeunes enfants rentrent dans une école privée parce que l’administration refuse de leur offrir une place dans l’école publique. Comme en province, certains curés mettent les heures de catéchisme le matin des lundis, mardis, mercredis ou vendredis (au lieu du jeudi fait pour cela) sur le temps prévu de présence en classe d’une école publique afin de décourager la fréquentation de cette école (page 220).

On apprécie l'index des noms de personnes et les vingt-trois créations de graphiques par l'auteur. Par contre une ou deux photographies d'instituteur auraient été un plus.      

Pour connaisseurs Peu d'illustrations

Zaynab

Note globale :

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