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Napoléon diplomate

Napoléon diplomate
Collection Biblis Histoire - Editions CNRS260 pages
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Avis de Georgia : "Les négociations de l'Empereur"

Lorsque l'on évoque le souvenir de Napoléon, on songe à l'Empire et à son rêve expansionniste qui fut l'enjeu des Guerres Napoléoniennes. Mais Bonaparte ne fut pas seulement un général brillantissime en butte à l'hostilité du reste des pays contenus dans une Europe méfiante et soucieuse de protéger ses propres intérêts. L'actualité ne se résumait pas en ces temps-là à Austerlitz, Iéna ou Waterloo. D'abord, parce qu'il en va en politique comme en sport, pour être un grand homme, il faut des adversaires de qualité afin de se surpasser et de se dépasser. Il y en eut de légitimes comme l'autrichien Metternich, l'irréductible Albion (surnom donné à l'Angleterre) en la personne de l'anglais William Pitt ou de l'Amiral Nelson, d'Alexandre III, empereur de toutes les Russies. Il y en eut aussi de plus obséquieux et fratricides parce qu'ils venaient de France comme l'opportuniste prince Talleyrand, le ministre Fouché, le président du Directoire Barère et bien sûr, les Bourbons qui réclamaient à nouveau le trône. Il y en eut aussi de plus petits ou de moins menaçants comme l'Espagne, les duchés allemands ou la Suède. Faire la guerre ne simplifiait pas tout, il fallut aussi négocier, traiter, revenir au besoin sur les promesses faites et en faire de nouvelles avec les ennemis de nos anciens amis. La politique sans la diplomatie n'est rien d'autre qu'un champ de mines dévasté. Sans humanité, sans aucun désir, sans vie. Il faut de l'esprit quand les armes ne peuvent plus parler ou qu'elles deviennent inopérantes.

Délimité en neuf études, le livre nous révèle les différentes positions de la diplomatie chez Napoléon, réaffirme la nécessité pour l'empereur de préserver l'Empire et de le faire grandir, esquisse en mots davantage qu'en cartes, l'Europe telle qu'il la souhaiterait. Conscient que l'on ne gouverne pas un état sans faire des alliances, Napoléon a aussi une vision des rapports que la France doit établir avec ses colonies et les comptoirs qu'il faut protéger par l'art de la politique et l'usage de l'économie. En plein cœur de son ouvrage, Thierry Lenz consacrés des chapitres entiers aux états satellites tels que le Maroc qui échangeait des produits agricoles avec l'Europe depuis des siècles, l'Irlande surnommée « la Vendée Anglaise », fière et résistante ou encore la Pologne, pauvre « nation sans état ». Napoléon assiste à l'émergence des nouveaux Etats-Unis en qui il voit une grande nation en devenir économiquement. La toute fin du livre est consacrée aux Antilles que l'Angleterre rêvait de nous voler. Episode colonial peu glorieux qui passa par le rétablissement dans certaines de nos colonies de l'esclavage à des fins économiques, le fiasco militaire de Saint-Domingue, les massacres en Guadeloupe et pour finir sur une note désastreuse, la vente de la Louisiane en 1803 aux Etats-Unis, trop loin, trop difficile à préserver vu notre faiblesse en mer face aux anglais.

Historien émérite et directeur de la fondation Napoléon, Thierry Lentz évoque à travers nombre de documents et de réflexions pertinentes la position du Premier Consul Bonaparte puis celle de l'Empereur Napoléon sur bien des sujets politiques qui intéressent de près la France par le biais de la diplomatie. L'historien nous explique avec précision et concision les effets d'une telle politique et les oppositions que Napoléon a dû rencontrer , afin que la complexité de certaines situations ou les aspérités de la personnalité de Napoléon ne nous échappent pas.

Pour se faire, le Premier Consul eut besoin d'un référent. Il choisit Charlemagne. Son ombre le suivait à chaque représentation officielle. Son aura servait l'ambition de Napoléon et concourait à sa gloire. Le général devenait légitime, sa lignée devenait incontournable de l'Histoire de France et il utilisa pour ne pas dire, usa des images pieuses, des références d'honnêteté et de conquête pour justifier ses agissements qu'il résumait à une volonté comme son illustre prédécesseur de mieux asseoir la paix en Europe. Mais l'Histoire aura davantage retenu sa légitimité historique qui lui viendrait de Rome et de ses empereurs. Il en est persuadé, en abuse. Ne confiait-il pas vers 1810 :« Je suis un empereur romain. Je suis de la meilleure race des Césars. Celle qui fonde... » .

La conquête d''Egypte. Préparée dans le plus grand secret, elle ne relevait pas seulement de l'envie d'un général d'y briller. Le début du dix-huitième siècle se piquait déjà de mysticisme et rêvait en songeant aux travaux réalisés sur l'art des hiéroglyphes et les mystères de l'édification des pyramides. Sans compter que la franc-maçonnerie, héritage du siècle des Lumières, faisait déjà des ravages dans une société où les plus grands esprits s'y adonnaient avec fureur. On ne parle rien de moins que Mozart. On cite Napoléon. Partir en Egypte fut d'abord une idée de Talleyrand qui en parla au Directoire. Il y eut une réelle envie politique par la suite d'y envoyer une gigantesque expédition. S'en aller conquérir les Indes stopperait l'expansion économique et donc politique de l'Angleterre qui vivait pour l'essentiel de ses colonies. « Les temps ne sont pas éloignés où nous sentirons que pour détruire véritablement l'Angleterre, il faut nous emparer de l'Egypte. Le vaste empire ottoman qui périt tous les jours, nous met dans l'obligation de penser de bonne heure à prendre des moyens pour conserver notre commerce au Levant » écrivit le général Bonaparte au Directoire. Tout est dit. Il fallait bien voir plus loin et pactiser avec d'autres civilisations afin d'asseoir sa prépondérance politique et économique en Europe.

La politique de Napoléon sous le Consulat puis l'Empire ne se caractérisait en rien par une idéologie humaniste ou une volonté guerrière. Il ne fut pas un utopiste tout droit sorti d'une Révolution dont il avait pourtant hérité les principes de justice. Son engagement se veut pragmatique, actif et évolutif. Si le général Bonaparte rêve de gloire, l'Empereur lui, se réserve le droit de vivre dans une époque où la rivalité constante avec l'Angleterre et la faiblesse maritime de la France le contraindra des années durant à se battre avec les mêmes armes : contrôler l'Europe et le reste du monde par des guerres, briser les alliances de l'Angleterre et la dépossession de leurs colonies, favorisant le blocus continental. Mais si la « perfide Albion » faisait mine de favoriser l'équilibre des forces en présence en Europe en portant le combat sur un champ de bataille économique, la France finissait par écoeurer à force d'imposer, décider et dominer si l'occasion s'en présentait.

Déjà, du temps ou la Convention tentait d'imposer ses idées de liberté et d'égalité, par le vote de l'abolition de l'esclavage le 16 Pluviôse An II ( soit le 4 février 1794), les premiers troubles apparurent dans les îles : insubordination, émeutes raciales, incapacité à protéger les colons....Il fallut que Bonaparte, alors Premier Consul, réagisse puisque nos colonies françaises et plus particulièrement les Antilles représentaient un vaste espace à disputer aux Anglais et une importante source de revenus. Il envoya des troupes afin de rétablir l'ordre et mater la rébellion. L'idée en soi n'était pas tant que l'esclavage était une notion philosophique qu'il pouvait concevoir mais Napoléon s'effrayait des retombées économiques d'une telle débandade. Il fallait bien conserver nos territoires.

Afin d'expliquer la complexité d'une telle époque et la nécessité d'y faire face rapidement, dans une première phase déterminante de son ouvrage, Napoléon diplomate, Thierry Lentz définissait l'idée de Napoléon, créer son propre système. Il le voulait européen bien sûr, mais surtout fédéraliste, égalitaire et libéral. Il le voulait mais ne le déclara pas ouvertement, restant flou sur la réalisation de son projet ambitieux. Il tenta de le définir à Sainte-Hélène sans parvenir réellement à le justifier. L'historien souligne les failles du raisonnement politique de Napoléon, se laissant parfois porter par la vague déferlante des évènements politiques qu'il n'avait pas envisagés. Il reconnaissait que l'aventure désastreuse de Saint-Domingue fut « ma plus grande sottise ».

Partout où il le put, Napoléon imposa le système français, autant dans les états conquis, que dans les « états-soeurs « , ceux-là même où il mit sa famille au pouvoir afin de mieux les contrôler. Il fit de même dans les pays qu'il jugeait de moyenne importance politique (Pologne, Irlande et l'Espagne qui fut sa première grande alliée ...) avec lesquels il fallait bien contracter des alliances. Partout, il imposa sa loi sans offrir de réelles compensations. On se fatigue vite du sentiment d'humiliation et de soumission. Le congrès de Vienne mit fin à cette domination sans partage et pour conclure, Thierry Lentz dresse un constat d'échec. Il ne reste plus rien désormais du rêve ni de l'Empire napoléonien.

 

 

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Georgia

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