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Louis Hémon ou la vie volée de l'auteur de Maria Chapdelaine

Louis Hémon ou la vie volée de l'auteur de Maria Chapdelaine
Le Télégramme238 pages
1 critique de lecteur

Avis de Benjamin : "Enfin on lève une chape de plomb sur l’auteur de Maria-Chapdelaine"

Maria-Chapdelaine est un des rares lieux au monde qui tient son nom d’un personnage de fiction, ainsi s’appelle un lac et une municipalité régionale de comté, ce qui correspond à peu près à notre concept contemporain de pays en France. Maria Chapdelaine est l’héroïne du roman éponyme écrit par Louis Hémon en 1913. Le récit se déroule à Péribonka au bord du Lac Saint-Jean au tournant du XXe siècle. C'est là le début du défrichement d'une région qui se développe.

Il est publié à partir du 27 janvier 1914 dans le quotidien "Le Temps" (ancêtre du "Monde") car le père de son auteur Inspecteur général de l’Instruction publique a usé de ses relations afin que ce texte majeur de son fils décédé le 8 juillet 1913 soit publié. Découvert dans ce journal par le critique littéraire québécois Louvigny Testard de Montigny il paraît au Canada sous forme de roman avec quelques illustrations de Marc Aurèle de Foy Suzot-Côté mais ne rencontre pas de succès. En 1921 l’éditeur Bernard Grasset le publie et appuie sa sortie par une campagne de presse. C’est le succès et l’ouvrage sera traduit dans une quarantaine de langues. Il est vraisemblablement le roman français le plus vendu au monde, après en particulier "Le petit prince" et certains romans de Jules Verne.

Comme pour les œuvres d’auteurs régionalistes dans l’Entre-deux-guerres, il trouve une partie de son lectorat dans un public inquiet devant l’urbanisation galopante. L’un des personnages qui réside aux USA déclare :

« Batêche, je me sens tout découragé pour vous autres, moi qui n'y habite plus, et j'en suis à me demander comment ça se fait que tous les gens d'icitte ne sont pas partis voilà longtemps pour s'en aller dans les places moins dures, où on trouve tout ce qu'il faut pour faire une belle vie, et où on peut sortir l'hiver et aller se promener sans avoir peur de mourir... »

Même si entre trois prétendants l’héroïne choisit celui  qui lui offre la perspective de rester dans son village d’origine, le récit n’est pas un hymne aux maintiens des traditions mais plutôt une dénonciation de la résignation et un désir de voir la vie des campagnes se moderniser sous l’action des pionniers qui luttent contre la Nature. L’image du curé n’est d’ailleurs pas très positive et au départ au Canada (mais pas en Europe) l’ouvrage est dénoncé en chaire ; une autre autorité celle du médecin est battue en brèche.  

Dans les années 1930, le roman est utilisé comme outil de propagande pour inciter les colons canadiens à continuer à vivre en milieu rural et en matière de littérature il enferme la production québécoise dans le particularisme. Aujourd’hui l’immense succès de "Maria Chapdelaine" se poursuit car on trouve un intérêt ethnographique dans ce roman de la frontière. Le livre d’Alain Boulaire ne le précise pas mais Sylva Clapin a donné une suite au roman de Louis Hémon, parue en 1982 elle s’intitule "Alma Rose". Par ailleurs en 2013 les éditions La bagnole ont fourni une adaptation jeunesse à "Maria Chapdelaine" sous le crayon et la plume de Francesc Rovira et Jennifer Tremblay. Par ailleurs en 2015 a été produit un documentaire qui évoque le tournage du film éponyme en 1934 par le cinéaste français Julien Duvivier ; on pouvait y voir Jean Gabin dans le rôle d’un des trois fiancés possibles en l’occurrence le trappeur.  

Alain Boulaire s’est donné pour mission de reconstituer la vie de ce natif de Brest qui gagna sa vie tant comme journaliste sportif et nouvelliste que comme secrétaire ou représentant de commerce. Il est âgé de deux ans lorsque son père quitte le lycée de Brest pour un poste dans un lycée parisien ; il va donc vivre à Paris jusqu’à l’âge de vingt-sept ans. Après avoir résidé quatre ans à Londres il part pour le Québec fin 1911 et meurt bêtement dans l’Ontario en marchant au milieu des rails, un train le renversant.

L’ouvrage reproduit le contenu de sa dernière lettre :

«  Montréal,  24 juin 1913


Ma chère maman,
 

Je pars ce soir pour l'Ouest. Mon adresse sera : "Poste Restante" Fort William (Ontario) pour les lettres partant de Paris pas plus tard que le 15 juillet. Ensuite : "Poste Restante" Winnipeg (Man.) pour les lettres partant de Paris pas plus tard que le 1er août. Après cela je vous aviserai. Marquer toutes ces lettres dans le coin : "To await arrival".


Amitiés à tous

L. HÉMON


P.-S. J'ai envoyé à votre adresse (mais à mon nom) trois paquets de papiers, comme papiers d'affaires recommandés. Mettez-les dans la malle, avec mes autres papiers, S.V.P. L.H. » (page 170)

 

Peu avant sa mort sa famille apprend qu’il est le père d’une jeune enfant :

«  Montréal, 19 Mai 1913.


J'ai bien reçu ta lettre du 3 mai, contenant une lettre à moi adressée, et ouverte. J'ai également pris bonne note de tes explications à ce sujet. Que cette lettre ait été ouverte par erreur, dans un moment de hâte, je peux le croire, encore que mes noms et prénoms, clairement étalés sur l'enveloppe, rendent déjà cette supposition difficile: mais que une fois ouverte, en face d'une lettre qui commençait « Cher Mr. Hémon » et écrite en anglais, on en ait pris connaissance à loisir au lieu de se reporter à l'adresse, etc... je regrette de ne pas trouver en moi la candeur suffisante pour trouver cela vraisemblable. L'ouverture de cette lettre a pu être une erreur, sa lecture n'a été à coup sûr qu'une grossière indélicatesse.
Et, cédant une fois de plus à cette soif d'intervention ineffective et platonique que vous considérez évidemment comme un devoir, vous demandez les plus complètes explications. C'est bon.
II y a une petite fille — de quatre ans — dont je suis assurément le père. Il n'y a eu en l'espèce ni mariage, ni séduction (loin de là). Si la mère mérite de l'estime? Et l'estime de qui? J'imagine que vous et moi ne voyons pas ces choses-là de la même manière. La question ne se pose même pas; autrement j'aurais répondu oui. La question ne se pose pas parce qu'elle mérite à coup sûr de la pitié, car elle est à présent à l'asile d'aliénés de Hanwell, et atteinte de folie probablement incurable. C'est sa sœur, la tante de l'enfant, qui en a pris soin. C'est d'elle que venait la lettre que vous avez ouverte. Il se trouve précisément que sa lettre s'est croisée avec une de moi, dans laquelle je lui envoyais de l'argent; car il va sans dire qu'elle a été payée pour sa peine; pas très régulièrement il est vrai, pour des raisons qui se comprennent toutes seules.
Vous n'avez jamais eu à intervenir là-dedans parce que je considère que cela ne vous regarde en rien. J'ai mon code. Tout comme vous. Je fais ce que je pense devoir faire; et quand il s'agit d'une chose qui regarde moi d'abord, j'entends non seulement faire ce que je veux, mais encore que vous fassiez ce que je veux; c'est-à-dire rien. C'est facile, commencez de suite. (…) »  

Personnellement à travers le récit de sa vie, j’ai ressenti l’intuition que s’il n’était mort si tôt dans ces tragiques circonstances, il ne serait pas aujourd’hui connu grâce à son principal roman. Son père, lui reprochant d’avoir démissionné après son admission à l’École coloniale, était bien décidé à ne pas l’aider à publier un de ses romans. Cela alors qu’en 1904 il était intervenu auprès d’une maison qui vivait essentiellement de ses productions scolaires, à savoir Delagrave, pour que l’ouvrage de son autre fils décédé en 1902 de la typhoïde soit publié. Il s’agissait du récit de la campagne de ce dernier en Chine.

Seul le passage dans le journal "Le Temps" ou "Le Figaro" garantissait que ce feuilleton soit lu au Québec ce qui entraîna une première publication sous forme de livre. Grasset s’y intéressa parce qu’il avait franchi les deux étapes antérieures et décelant qu’il était dans la veine d’un des derniers prix Goncourt ("Nêne" d’Ernest Pérochon est un roman paysan couronné en 1920, là encore l’héroïne se sacrifie) il le lance comme une savonnette avec une caution qu’il trouve auprès de frustrés (Poincaré, Léon Daudet, Foch et Joffre) du contenu du Traité de Versailles et certains diront du Traité de Paris de 1763, des hommes très populaires au sein de la mouvance catholique. C’est d’ailleurs le premier titre d’une collection Les Cahiers verts   dirigé par Daniel Halévy qui s’est alors rapproché de l’Action française. Le très copieux commentaire de l’abbé Bethléem dans "Romans-revue", retrouvé personnellement par nous dans le numéro du 15 juillet 1921 sur les pages 424 à 426, fait d’ailleurs beaucoup pour le succès de "Maria Chapdelaine". On citera une dimension aussi à prendre en compte pour la popularisation du livre dans l’hexagone, celle de voir dans les personnages de courageux catholiques d’origine française ayant résisté aux persécutions de maudits anglais hérétiques :

« Quand à l’esprit qui d’un bout à l’autre anime le livre, on peut le caractériser d’un trait : il fait resplendir l’âme honnête et forte, l’âme profondément catholique  et profondément française du Canada ».

Or Louis Hémon n’a pas écrit pas pour ce type là de lecteurs et on retardera jusqu’à l’année 1950 la sortie d’un de ces romans "Monsieur Ripois" afin de ne pas modifier l’image que sa famille a laissé construire de lui, à savoir un Breton attaché aux traditions.       

Pour connaisseurs Aucune illustration

Benjamin

Note globale :

Par - 465 avis déposés - lecteur régulier

465 critiques
28/08/15
Extrait du film de 1934

https://www.youtube.com/watch?v=BeyipEU1Rbc&index=5&list=PLxYZ2RZBDmH5733xJzdS13wxQ-AUT1C5o
734 critiques
25/03/16
Déménagement du Musée Louis-Hémon

http://ici.radio-canada.ca/regions/saguenay-lac/2016/03/24/007-demenagement-musee-louis-hemon-dirigeants-font-le-point.shtml
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